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VII/
Père, entre tes mains je remets mon esprit

 

Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. Femme, voici ton fils ; fils, voilà ta mère. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné J’ai soif Tout est achevé Père, entre tes mains je remets mon esprit

 

 

 

Paroles des hommes : Je rêve de vous laisser, quand je mourrai, un reste de mon âme, une voix, quelques lignes, du sens ténu, effaçable, léger, en somme du spirituel, vite évanouis en votre oubli comme une bruine translucide. Ô bien-aimés disparus, à peine me souviendrai-je, au moment de disparaître, de votre dernier sourire derrière la buée de mes larmes. Lorsqu’expire l’Incarné, il nous lègue, à l’inverse et pour toujours, corps et sang, sa part la plus dense, durable, charnelle et, comme nous, remet son âme immortelle aux mains du Père. Quand l’Incarnation s’achève, ou le corps vif se défait, chez nous tous, en molécules éparses ; ou il reste parmi nous et nous le consommons en mémoire immortelle de Lui. Nous nous évaporons, il demeure. Paroles du Christ qui résonne aux paroles des hommes : Seigneur, je remets mon âme entre tes mains ;
* * *
Tremblement de terre La terre servait autrefois aux enterrements ; elle recouvrait les morts, les cachait, les protégeait, les dissolvait, se fécondait de cadavres. Celle où l’on croit enterrer le Seigneur devient une tout autre terre, car le tombeau, vide, ne contient plus rien. À peine une ombre en aube blanche. Ci-gît désignait jadis un lieu, remarquable en effet parce que marqué d’un corps mort. Il n’y a plus de lieu, il n’y a plus de terre, parce qu’il n’y a plus de mort. Tremblante de la pierre qui roule devant la Résurrection, la terre d’où tous les pécheurs condamnés ressuscitent change, se transforme, devient autre. Elle frémit de cette révolution, vibre devant la Bonne Nouvelle, devant l’annonce de la nouvelle histoire. À partir de ce jour, la nouvelle terre, vierge et mère, engendre une nouvelle ère où le temps, nouvellement orienté, tourne le dos à la mort. La mort ne gît plus devant notre temps, comme notre terme, mais elle fuit, vaincue, derrière nous. Jadis mortifère, la terre frissonne d’immortalité.
Serres

καὶ φωνήσας φωνῇ μεγάλῃ ὁ Ἰησοῦς εἶπεν· Πάτερ, εἰς χεῖράς σου παρατίθεμαι τὸ πνεῦμά μου. τοῦτο δὲ εἰπὼν ἐξέπνευσεν.
Et Jésus, s'écriant d'une voix forte, dit : Père, je remets mon esprit entre tes mains. Et ayant dit cela, il expira. (Luc, 23, 45)

Luc insiste - et la chose ne me semble pas anodine - sur cette voix forte ; il faut dire qu'elle succède immédiatement au déchirement du voile du Temple et précède tout juste ce rare moment où la foule, apeurée et lucide pour quelques secondes, se demande si elle ne vient pas de mettre à mort un juste.

 

Mais l'histoire ne se finit pas vraiment là. Dans quelques jours il réapparaîtra. Et c'en sera fini de sa mission avant qu'il n'annonce l'avènement imminent du Fils de l'Homme

En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera point que toutes ces choses n'arrivent.
Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.
Or, pour ce qui est de ce jour-là et de l'heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul.
Mais, comme furent les jours de Noé, ainsi sera l'avènement du fils de l'homme.
Mt; 24,34*37

Qu'importent ici les subtilités théologiques : l'annonce de grands troubles à venir, celle de la venue d'un nouveau Messie ( le même ? ) disent en tout cas que l'histoire n'est pas tout à fait finie, même si elle doit à coup sûr ne pas être de tout repos ; qu'entre l'homme et le divin tout n'a pas été dit encore ; ni fait.

Je veux croire ceci qui donne un sens à ces questions posées ici : la Parole est vivante et elle ne passera pas ! Jamais.

Je ne m'occupe pas du facteur qui me porte lettre mais uniquement du contenu de cette dernière ! Qu'elle engage mon existence, adoucisse mes gestes et oriente la direction à suivre, alors je la conserverai sur moi tel Pascal son Mémorial comme un trésor non pas secret mais intime. J'ai trop peur de l'idolâtrie et vénérant le messager d'y sombrer. Que vaudrait au reste un tel culte si les œuvres ne le scandaient point. S'efforcer en chaque moment d'être à hauteur de l'ἀγάπη dit l'impossible achèvement.

Remettre son esprit entre ses mains, l'expression est belle cependant qui bien sûr postule l'immortalité du divin mais suggère que rien ne nous appartient véritablement ; pas même notre esprit comme si nous l'avions emprunté et qu'il nous eût fallu le restituer.

Qui me fait songer à cette logique de locataire à quoi nous invitait Serres dans le Malpropre qui plutôt que de pousser à souiller ceci que nous nous entêtons à vouloir posséder et maîtriser nous enjoint plutôt à restituer en l'état initial au moins voire embelli ce que nous avions en garde - nous-mêmes au moins autant que le monde.

La vie est un emprunt que nous contractons auprès de l'Etre

Et je ne crois pas qu'il y ait d'autre manière de l'honorer que cet étroit chemin où service, grâce et être se rejoignent.