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V / J'ai soif

Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. Femme, voici ton fils ; fils, voilà ta mère. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné J’ai soif Tout est achevé Père, entre tes mains je remets mon esprit

 

Fille volontaire, Rebecca puisait l’eau d’un puits, au désert, comme tous les soirs, pour le repas et les bêtes, quand parut Isaac, par l’intermédiaire de son serviteur, voyageur assoiffé ; fille dite belle, Rachel puisait de même, à la margelle, lorsque Jacob parut, aussi assoiffé ; tous deux burent au vase que leur tendirent les femmes et se fiancèrent à celle qui ainsi versa de l’eau. Des générations plus tard, une Samaritaine reçut, de la même façon, le Fils de l’Homme à une semblable margelle d’un semblable puits ; Jésus lui dit : nos ancêtres burent de cette eau et moururent ; je te verserai la boisson d’immortalité.
Paroles des hommes : J’ai soif, infiniment, d’eau, de savoir et d’amour ; j’ai soif de vin, de beauté, d’aimer, d’être aimé ; même à l’article de mourir, j’aurai encore soif de vivre, de connaître et de rencontrer l’amour ; infiniment, j’ai soif d’immortalité.
Serres

Voici parole bien anecdotique qui paraît n'avoir aucun sens théologique assignable. Il faut bien tout le talent d'un philosophe pour en tirer néanmoins quelque sens !

Serres la rattache à l'épisode de la rencontre, au puit de Jacob, entre le Christ et la Samaritaine. Où la rencontre avec non seulement une femme mais plus encore de Samarie atteste combien la Parole est universelle et ne saurait observer en rien les préventions des uns contre les autres.

Symbole de vie parce qu'elle la rend possible et perpétuable, richesse suprème parce qu'elle les autorise toutes, et qui, rappelle Aristote, doit être gratuite précisément parce qu'elle est bien commun et donc universel.

Car la parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu'une épée quelconque à deux tranchants, pénétrante jusqu'à partager âme et esprit, jointures et moelles ; elle juge les sentiments et les pensées du coeur.
Hébreux 4,12
puisque vous avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la parole vivante et permanente de Dieu.
1Pierre 1,23
Mais elle est surtout ici synonyme de la Parole. Rien n'est plus fréquent dans les textes évangéliques que l'assimilation entre la Parole et la Vie.

On peut l'entendre dans sa version sacrée aussi bien que profane puisqu'en réalité ceci revient au même.

Profane ceci signifie que la connaissance offerte est la seule opportunité d'une resurrection véritable. Le vieillard subitement se redresse et marche ! L'enfant soudain parle et ce qu'il dit éclaire ceux qui l'entourent. Et la femme, celle-là même que l'on n'écoutait pas, par la magie d'un geste, par la grâce d'une table ouverte, offre enfin le chemin.

Profane parce que réside ici, en cet endroit précis, l'espace du partage comme malaisément homme sait en trouver. Qui cherche et parfois trouve, qui transmet surtout le peu de connaissance qu'il possède et la route qui y conduit, celui-ci sait parfaitement qu'il fait don précieux sans jamais perdre rien de ce qu'il offre. Ici est le partage ! Le plus émouvant qui soit. Le plus intarissable qui soit. Vivifiant.

De dialogue il n'est possible qu'avec l'autre et c'est déjà grande joie que d'y parvenir. De partage il est possible, parfois, avec l'être. Ici est la grâce sans pesanteur aucune.

L'a-t-on assez remarqué ? Les termes qui désignent notre alimentation disent ensemble notre incessante lutte contre la dégradation. Combien nous sommes des bombes à néguentropie. Quand nous nous restaurons que faisons nous que nous désabîmer , que tenter de nous remettre en état le plus proche de l'origine ? quand nous nous désaltérons que tenter de lutter contre la lente désagrégation ?

Profane : nous savons l'extraordinaire force qui maintient unis atomes, matières ou galaxies. Qu'importe la manière dont nous la nommons ! Qu'importe vraiment - même si poétiquement, je ne détesterais pas qu'on y vît le doigt de Dieu : que cette force vienne à manquer ou s'affaisser et rien de l'ordre qui porte le si joli nom cosmos ne saurait survivre et toutes les forces centripètes se conjugueraient pour faire se distendre et exploser tout ce qui s'était ligué et noué pour rendre l'être possible.

Sacré : on pourrait appeler divine cette force qui se déverse à flots - que j'imagine réguliers - mais qu'importe le nom. Si pourtant ! de l'imaginer être l'autre nom de l'Etre ou bien encore l'autre forme de la Parole vivante, me permet au moins de remercier pour cette grâce offerte et m'oblige surtout à en être digne.