Bloc-Notes 2018
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Clemenceau

Personnage curieux que celui-ci. G Courtois consacre une série d'articles autour de l'armistice de 1918 dont on fête le centenaire. Un de ceux-ci est consacré à Clemenceau : les larmes du Tigre.

Comme les félins à qui l'on prête sept vies, lui en aura connu au moins trois. Le temps du tombeur de ministère, réputation qu'il acquit dès les années 80 en faisant tomber notamment Ferry sur sa politique coloniale ; celui du républicain engagé et toujours farouche qu'on retrouvera tout aussi bien durant l'année tragique de la défaite de 70 et de la Commune que durant l'Affaire - c'est son journal qui publia le J'accuse de Zola - ; celui du pouvoir puisqu'il sera Président du Conseil à deux reprises, d'abord de 1906 à 1909 où il se targuera d'être le premier flic de France et se révèlera efficace briseur de grèves, ensuite de 1917 à 1920 où se forgera sa légende et conduira à la fois la fin de la guerre et les négociations de paix devant conduire au Traité de Versailles.

Contrairement à ce qu'affirme Courtois, Clemenceau n'est pas signataire de la protestation - contrairement à Gambetta qui choisit alors symboliquement le Bas-Rhin et en est donc signataire, lui est élu de la Seine - mais il est, en ce jour de novembre 18, le dernier survivant en cette Assemblée à laquelle il n'appartient plus depuis 1893 qui assista à la sinistre - il est devenu sénateur - séance du 17 février à Bordeaux. C'est cela au fond le miracle de Clemenceau et il n'a de cesse de le rappeler en ces jours de gloire. Il couvre, à lui tout seul, les quarante premières années de la IIIe, de la défaite de 70 à la victoire de 14, d'une guerre à l'autre mais pas uniquement, d'un siècle à l'autre. On l'aura suffisamment écrit et à juste titre d'ailleurs, la guerre de 14 est aussi le grand accoucheur du XXe et de la modernité. C'est, avec le miracle, sans doute aussi tout le drame de Clemenceau : homme du XIXe, fils d'un Républicain type 1848, nourri de Blanqui et Lamartine, était-il armé pour conduire, avec les négociations de Versailles, l'entrée dans un XXe qui allait s'annoncer plus que périlleux ? Sûrement non ! Mais ce faisant, du fait ùême de sa longévité politique, il peut clore un cycle : même si c'est une erreur historique de réduire la guerre à une revanche prise sur 1870, d'imaginer que toute la politique française fût déterminée par cela - Y penser toujours ; n'en parler jamais disait Gambetta - et de croire que l'objectif se réduisît au retour des provinces perdues.

A sa manière, il résume assez bien les interrogations que l'on peut formuler s'agissant du pouvoir - politique en tout cas.

Peut-on rester longtemps en phase avec son époque, la population que l'on est supposé diriger, représenter ? Je veux bien que le grand acteur soit celui qui sache saisir les occasions et donc selon Hegel saisir le sens de l'histoire mais tout, à un moment ou à un autre, ressentent ce il est trop tôt ou trop tard qui peut les contraindre. Or l'Histoire repasse rarement les plats deux fois de suite. Pour un de Gaulle qui eut à la fois l'occasion du 18 juin 40 et en mai 58 de terminer le travail qu'il s'était fixé et que les circonstances l'avaient empêché d'accomplir en 46, combien de 100 jours intempestifs ? Clemenceau est un homme du XIXe et même s'il parvient à conduire la guerre, il n'en saisit les implications politiques et géopolitiques que selon les normes du XIXe.

Clemenceau est le prototype du grand homme au sens où on l'entend mais au fond pourquoi ? Il aura passé une grande partie de sa (longue) vie politique à la critique et du attendre 65 ans pour accéder enfin au pouvoir. Mais quoi son premier gouvernement laissa de lui le souvenir sulfureux du briseur de grèves et si son deuxième gouvernement a laissé de meilleurs souvenirs c'est parce que ce fut celui de la fin de la guerre qu'il sut effectivement conduire avec maestria. Fut-il grand parce que d'ultra-gauche comme on dirait aujourd'hui, dans les années 1870 il termina défenseur des intérêts du patronat en 1906 et farouche nationaliste obtu dans les années 20 et d'une gauche tellement centrée qu'on eût pu la croire de droite ? Il n'est pas faux que l'essentiel du programme républicain de Belleville (1869) ayant été réalisé, il ne restait plus qu'à gérer l'ordinaire … Serait ce cela être grand : glisser incontinent de la gauche à la droite comme on dirait du rêve à la réalité ?

En définitive, sur quoi eut-il réellement prise ? Assurément plus sur son côté destructeur qu'au gouvernement. Sa réputation, il la doit à son caractère, à son charisme. Il incarna - le Tigre - l'esprit de lutte à outrance et de reprise en main autoritaire dont la France avait besoin après les calamités de 17 - le chemin des dames, les mutineries : le pouvoir tient surtout à la représentation et l'autorité à ces qualités qu'on vous donne ou prête. Son mérite, si l'on y regarde de près, aura été d'avoir en ces périodes graves su maintenir un bon fontionnement des institutions parlementaires en même temps que la stabilité de l'exécutif en dépit des dissenssions fréquentes avec la présidence de la République et l'etat-Major.

La question n'est évidemment pas de jauger la pureté des intentions du bonhomme : qu'il prît un réel plaisir à exercer le pouvoir ne saurait faire question ; qu'il eût un sens aigu de l'intérêt général et des principes républicains est incontestable. Pour autant je ne parviens ni vraiment à me le représenter comme un être sacrifiant tout, de sa vie et de ses proches pour des principes fussent-ils républicains mais pas plus comme une hydre assoiffée de puissance … ou d'argent. G Monnerville dans la très belle biographie qu'il lui consacra, parle d'un passionné et d'une personnalité hors série : assurément mais n'est-ce pas une manière de concéder qu'en politique, comme ailleurs du reste, ce que l'on réalise importe finalement moins que ce qu'on est . Vanité des vanités, dit l'Ecclesiaste … C'est bien pour cela qu'on peut toujours écrire deux fois l'histoire : une première fois du côté des sciences, de l'explication, histoire compréhensive qui n'en demeure pas à la surface mais cherche dans les structures et leurs rapports conflictuels les causes des événements ; une seconde fois, du côté des hommes, qui ne sont peut-être pas seulement des consciences déterminées par les structures, mais aussi des acteurs, mais aussi des passions. L'une n'efface pas l'autre et c'est pour cela qu'à côté de la grande histoire, il n'est jamais inutile qu'on écrive aussi celle des hommes. Quand je regarde ces ultimes images de Clemenceau peu avant sa mort, lui qui vécut encore dis années après avoir quitté la vie politique, je vois un homme épuisé certes mais au sens aussi d'un homme qui aurait épuisé à peu près tous les charmes, intérêts, passions de l'existence. C'est là, vieillard bougon, râleur, qu'il est le plus émouvant !

Ayant tout vu, tout connu, tout subi, écrit Monnerville : on comprend mieux pourquoi celui-ci débute sa biographie par l'Assemblée de Bordeaux et l'évocation des tragiques séances de février et mars 71. Il finit par là où tout commença

 

Que reste-t-il de lui ? Il y a, incontestablement du Clemenceau dans l'homme du 18 juin mais précisément de Gaulle sera aussi le grand constituant de 58 et à ce titre il pèse encore dans l'histoire. Il ne fait pas bon n'être qu'un homme de guerre !

Quitte à quêter l'éternité vaut mieux chercher du côté de la représentation, de l'art, de l'écriture ! A défaut de la critique : ceci laissera toujours plus de traces.