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Chemin des dames (1914-1917)

Un nom qui est resté, celui d'une bataille qui ne dit pas son nom (Bataille de l'Aisne ; offensive Nivelle ...) tant il est vrai que baptiser une bataille renvoie presque toujours à la lecture qu'on en veut donner et laisser. Mais c'est aussi, avec Craonne, l'exemplaire même de ces offensives inutile mais coûteuses en hommes qui finirent par susciter ces mutineries qui précisément se produisirent dans cette région-ci et, paradoxalement, ne comptèrent pas pour rien dans la légende qu'à l'occasion, Pétain tissa - ou laissa tisser - de lui-même.

Chemin des Dames : joli nom pour désigner l'enfer ; joli nom pour un plateau qui connut déjà une bataille en 1814 où Napoléon Ier, à la bataille de Craonne, battit les Prussiens et les Russes, au prix de 5 400 morts parmi ses jeunes recrues.

Episode 1

Les troupes françaises avaient été contraintes de quitter le plateau du Chemin des Dames dès le 31 Août 14 sous les coups de buttoir de l'armée allemande. L'issue de la bataille de la Marne conduisit les allemands à reculer et à se regrouper sur ce même plateau que les alliés tentèrent de reconquérir entre le 13 et le 15 septembre - en vain ; non sans laisser sur le terrain plusieurs milliers de soldats.

Le front restera ainsi, figé, jusqu'en 17 : les allemands sur le plateau, les français au pied. Un front tellement calme qu'on y envoya se reposer les soldats s'étant battus à Verdun.

Episode 2 : le contexte

1917 : c'est l'année des énièmes tentatives pour sortir de cette guerre de position. On se situe quelques mois à peine après Verdun (février à décembre 16) qui vit les deux armées s'épuiser pour ne parvenir qu'au statu quo ante. Verdun n'avait pas été choisi par hasard et si les buts de Falkenhayn n'étaient pas tout à fait les mêmes - il recherchait plutôt à épuiser les troupes françaises - il n'en restait pas moins un bilan humain très lourd pour un résultat nul. Néanmoins la reprise de Douaumont donnera des ailes à Nivelle et le confortera dans sa stratégie de l'offensive à tout prix. Remplaçant Joffre, il en conserve néanmoins la stratégie de l'offensive à tout prix et met au point un dispositif, repris de Joffre d'ailleurs, où Anglais au Nord et Français dans l'Aisne tenteraient de percer le front.

Politiquement il est soutenu par Lloyd George autant que par Briand qui dirige alors le gouvernement français. Et ce d'autant que la guerre sous-marine amène les USA à entrer en guerre en avril 17. Qu'en même temps, le pouvoir fraîchement installé à Moscou, et terriblement instable depuis février laisse clairement entrevoir qu'il fera défaut. Il sembla donc important d'en finir au plus vite, en tout cas avant que les allemands n'aient le temps de rappatrier leurs troupes du front est au front ouest.

La commission d'enquête parlementaire qui fut désignée montrera par la suite combien le plan de Nivelle était loin de susciter l'enthousiasme. Ni Pétain, du côté français, ni Haig du côté anglais ne considéraient que mettre l'accent principal de l'offensive sur le Chemin des Dames était une bonne idée et qu'en tout cas la certitude d'y gagner en 48h qu'affichait Nivelle était manifestement exagérée.

C'est tout dire ! C'est peu dire.

Le plan Nivelle supposait que l'attaque surprît l'ennemi : il ne le fut pas, les plans de l'offensive ayant été récupérés par eux sur des soldats faits prisonniers. Supposait que la préparation d'artillerie fût suffisamment efficace pour affaiblir l'ennemi : non seulement elle fut imprécise mais surtout les allemands, solidement installés dans la place depuis septembre 14 avaient eu le temps de s'installer et notamment dans la fameuse Caverne du dragon. Autant dire que l'escalade du plateau se révélera un vrai massacre et qu'au lieu des 48h prévues pour enfoncer le front, la bataille, avec des répis, durera jusqu'au 24 octobre, avec quelques gains certes mais qui ne sauraient faire oublier les pertes humaines.

Entre temps Ribot avait succédé à Briand, Pétain aura vite remplacé Nivelle qui n'a plus le soutien de Matignon mais l'hostilité déclarée de Painlevé , mais, en dépit des critiques qu'il élèvera contre lui, il mènera finalement la même stratégie jusqu'à la victoire de la Malmaison.

Entretemps, surtout des mutineries.

Nivelle qui ne passait pas pour un tendre et, tout comme Mangin, avait la réputation de mettre en danger ses troupes sans trop de scrupule pour sacrifier au dogme de l'offensive à tout prix, Nivelle qui fera donc les frais d'une commission d'enquête qui le relèvera de toute responsabilité tout en soulignant néanmoins, non pas que sa préparation fût insuffisante, mais qu'il n'avait peut-être pas été à la hauteur d'une telle entreprise, Nivelle, oui représente ce point de rupture si particulier que symbolise l'année 1917.

Pour au moins trois raisons :

- un tournant militaire d'abord que ne manqueront pas de produire l'entrée en guerre des USA et la défaillance de la Russie. Avec un sentiment d'urgence, une véritable course contre la montre tant serait dangereux que les allemands aient le temps de ramener leurs troupes de l'Est sur le front Ouest avant que les alliés n'obtinssent d'avantages décisifs ou que les troupes américaines n'eussent le temps de débarquer.

- un point de rupture ensuite, plus ou moins clair, mais que révèle la profonde lassitude des populations et des soldats devant tant d'efforts consentis et de morts sacrifiés pour aussi peu de résultats. Des grèves, ça et là, des protestations, des impatiences qui font clairement entendre que l'enthousiasme patriotique de 14 est depuis longtemps épuisé et que le corps social ne supportera plus longtemps l'épreuve. Il ne faut pas oublier la grande peur des dirigeants de 14 à l'égard d'une potentielle insurrection contre la guerre : elle n'eut pas lieu - et ils en furent surpris - mais demain ? La révolution de février 17 inquiétera, mais surtout pour la défaillance militaire d'un allié ; celle d'octobre fera beaucoup plus peur - politiquement cette fois : l'hydre communiste s'était levée, bien plus menaçante en pleine guerre que ne put l'être jamais le pacifisme d'un Jaurès qui risquait de tout balayer sur son passage, l'ordre républicain en premier ; l'ordre bourgeois en réalité. La précipitation fiévreuve de l'offensive Nivelle s'explique aussi par là : tout le monde sait, sent, que cela - cette invraisemblable paralysie des combats - ne pourra durer longtemps comme cela. Politiquement, la France hésitera tout au long de ces mois entre Briand, Ribot puis Painlevé avant de trouver en Clemenceau le symbole fort qui lui manquait et qu'elle ne pouvait plus trouver dans ses généraux.

- les mutineries, enfin, sur lesquelles nous reviendrons, qui ne sont pas seulement l'offense suprême à tout ordre militaire, et pour cette raison, violemment réprimées et sanctionnées mais qui, par les formes diverses qu'elles vont prendre et leur nombre, traduiront au delà de la lassitude des troupes et de leur épuisement, l'imminence d'une révolte qui si elle devait éclater, serait à coup sûr incontrôlable.