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Frédéric Mistral

Il en est de F Mistral comme de certains autres tel Déroulède, personnages du XIXe, qui eurent l'élégance de disparaître juste avant le grand bouleversement, juste avant que ne débute un nouveau siècle qu'ils n'aurait de toute manière pas compris. F Mistral, prix Nobel en 1904, disparaît mais pas cette littérature en langue d'Oc dont il se voulut le héraut et que, par le Félibrige, il perpétue, en lui donnant jusqu'à un dictionnaire.

Personnage haut en couleur, comme il se doit, qui ne sera pourtant pas sorti de son strict domaine des lettres contrairement à un Ch Maurras que l'on retrouve dans les Annales des primés du félibrige qui empruntera lui bien d'autres chemins sulfureux après sa conversion à la monarchie et la fondation de l'Action Française.

Réaction au centralisme de la République et à la sourde politique d'éradication des dialectes et patois ou simple affirmation d'une culture riche plongeant loin ses racines dans l'histoire ? Comment savoir ?

On lui doit en tout cas - et le prix Nobel de 1904 le consacra - d'avoir redonné ses lettres de noblesse à une langue que les cercles parisiens affectaient d'un mépris à peine poli. Ni Giono, ni Marcel Pagnol, ni donc tout ce cinéma méridional qui éclairera le cinéma français de l'entre deux guerres, et d'après, en lui offrant des Raimu, Fernandel et autres Charpin et parmi les répliques les plus connues du répertoire ... n'auraient été possibles sans lui.

Sortie du folklore, assurément, la langue, un siècle après, n'est pas pour autant indemne de tout danger : la grande vague d'homogénéisation aura balayé tout cela, même pas d'ailleurs au profit du français officiel mais de cette curieuse novlangue technico-stérile matinée d'anglicismes et d'approximations syntaxiques qui tend à couvrir l'inculture ambiante. Ni le breton, ni l'occitan, ni l'alsacien ne s'en sortent bien ; pas même le basque ! Toutes elles tendent à devenir des armes discrètes d'une affirmation identitaire qui n'est pas exempte d'ambiguités.

L'erreur est toujours la même, double d'ailleurs, que l'on retrouve aujourd'hui :

- confondre ce qui relève de l'être et de la simple appartenance à une série de groupes. Croire que l'on est breton, occitan ... et qu'il y ait quelque chose d'essentiel, de fondamental qui y exprimerait son identité avec l'invariable conséquence d'une nature, d'une essence supposée qui primerait sur l'individu n'ayant dès lors plus qu'à la réaliser, l'incarner. De la nature au genre, du genre à la race, le pas n'est jamais aussi grand qu'on l'imagine.

- supposer l'ancien plus riche de virtualités, plus vrai ou plus authentique que le présent. Que ce soit pour la langue ou les moeurs ; les idées ou les réalisations, plane toujours l'illusion que l'ancien doit prévaloir, qu'il y a dans ce que le présent est supposé enfouir ou détruire. Approche résolument conservatrice, où l'âge d'or se situe toujours au début de l'histoire, le culte de la langue régionale et la délicieuse nostalgie qui l'accompagne invariablement, traduisent une méfiance radicale devant le nouveau, la modernité et en règle générale, le présent.

Le discours, avec ou sans fioritures, autour de l'identité, de la langue et des racines, prend parfois des couleurs bien brunes. C'est celui que tiendra Mommsen (1) ; celui de Bismarck mais aussi celui qui justifiera toutes les annexions hitlériennes.

Comment s'en étonner ? Sous l'histoire si différente de la France et de l'Allemagne, derrière l'opposition entre un Etat-Nation bâti lentement autour de la personne du Roi dans une logique centralisatrice évidente et un empire fraîchement unifié à partir - et sans pouvoir dissoudre les particularités - des États morcelés, parfois infimes, parfois solidement ancrés, opposition qui peut effectivement expliquer la tendance française à pratiquer une politique unificatrice et centralisée jusque et y compris pour la langue (cf François Ie et le décret de Villers Cotterêts ou Richelieu et l'Académie) , au delà de cette histoire tranchée, il y a bien autre chose qui peut se résumer peut-être par le fossé de 1789.

Les Lumières, sous le culte de la raison, mirent d'abord l'accent sur ce qu'il y a d'universel dans l'homme et sans méconnaître ni les différences ni les particularismes (cf Montaigne) y voulurent puiser ce qui les peut rassembler plutôt qu'opposer. Cette attitude qui logiquement fait la différence entre le philosophe - qui cherche l'universel - et l'anthropologue - qui traque le spécifique - est bien plus qu'une posture intellectuelle mais dessine au contraire le rapport moderne au monde qui détermine toute notre histoire. Quoique désormais en crise, mais précisément ce sera la guerre de 14 qui en dessinera les prémices, elle est indissoluble de cette philosophie du progrès qui attend toujours plus de l'avenir en ce que ce serait l'homme qui le construirait que du passé en ce que ce serait la nature qui le déterminerait.

En proclamant la République une et indivisible, les constituants ne firent pas autre chose que d'affirmer le versant politique de l'universalité humaine et l'histoire a suffisamment montré au XXe que renoncer à celle-là c'est bien vite renoncer à celle-ci avec tous les désastres que ceci implique presque toujours.

Ce sera tout le challenge du régionalisme que de tenter de ne pas être contaminé à la fois par ce conservatisme endémique et son naturalisme contagieux : on ne peut pas vraiment dire qu'il y soit parvenu.

Le drame de 14 est aussi celui-là : cette guerre ne fauche pas seulement les hommes ; ne détruit pas que les cités ; ne mine pas que les empires. Cette guerre achève aussi la grande espérance positiviste d'une humanité sur le chemin de la raison et du progrès car quoiqu'elle fût à l'origine d'une prodigieuse dynamique sociale, économique, culturelle et scientifique, elle se révélera désormais avec une vulgarité tapageuse, vecteur d'une horreur industrielle et massive dont elle se relèvera mal. Il n'est, à cet égard, qu'à se souvenir de la dimension idéologique de la Révolution Nationale, de la dénonciation des mensonges qui vous ont fait tant de mal, et du nécessaire retour à la terre, qui elle ne ment pas, pour le comprendre. Il y avait bien ici, indépendante du choix politique de la collaboration avec le nazisme, une volonté régressive patente qui visait à en revenir à une structure en réalité féodale de la cité. (2)

Mistral est un homme d'avant et il ne saurait être question de lui imputer des tentations qui ne seront possibles qu'après 18. Il n'a pas vu la grande fauche industrielle et sans doute n'a-t-il dans ses efforts entendu que la nécessaire conservation d'un patrimoine précieux. Mais demain, quand éclatera aux yeux et à la chair meurtrie de tous, la face sombre de l'universalisme humaniste, monteront des hommes qui tiendront un discours tout autre, bien plus sulfureux.

Il en va curieusement de Mistral comme de Jaurès : avec leurs disparitions, il y a bien quelque chose de l'ordre de l'innocence des idées qui s'évanouit.

Après eux, toutes les dérives idéologiques seront possibles - même les plus sulfureuses.

Maurras évidemment ; mais comment ne pas songer aussi, à ce Charles Hueber, figure locale évidemment et sans grande envergure historique mais dont le parcours sulfureux est tellement révélateur : socialiste mais un des acteurs de la petite révolution des conseils à Strasbourg en novembre 18, communiste en 1920, maire communiste de Strasbourg en 1929 mais que son autonomisme foncier, le conduisant à d'improbables alliances, le fera exclure du PCF mais surtout rallier au nazime en 40 ? Et qui fut enterré à Strasbourg en 43 avec les honneurs militaires allemands ! L'hydre fasciste sait toujours reconnaître les siens.

Le régionalisme est décidément une voie bien dangereuse, aisément trouble, et dessine des inclinaisons fâcheuses - en France en tout cas - qui conduisirent maints courants particularistes à des collusions avec l'extrême-droite qui ne sauraient être toutes le fruit du hasard.

Est-il si difficile que cela de tenir de ses mains mais à distance égale le nécessaire universalisme qu'implique l'humanisme et le souhaitable respect des différences à quoi aspirent autant les individus que les groupes culturels ?

Apparemment oui !

 


1) relire ce que nous en écrivions et les textes de Fustel de Coulanges et Renan

2) sur Maurras