Il y a 100 ans ....
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Le théâtre au cinéma ...

Adrienne Lecouvreur sort en salle en cette fin mars 1914.

Le fait est remarquable pour au moins trois raisons : d'abord le texte est de Sarah Bernhardt elle-même ; mais ensuite et surtout voici une dramaturge dont toute l'histoire du théâtre nous dit qu'elle fut exceptionnelle sinon la plus grande et qui a malgré ses soixante-dix ans, la présence d'esprit d'investir les arts et techniques nouvelles. Loin de considérer le cinéma comme un phénomène de foire, elle le prend au sérieux et lui offre, texte, costume, salle en dur et son talent, évidemment.

Elle le fera tellement que l'on a d'elle non seulement ces enregistrement ciné mais aussi des bandes audios qui permettent de se faire une idée de son art et de cette si typique déclamation qui nous paraît si lointaine de nos habitudes.

J'aime assez que cette vieille dame, comblée d'honneur, et qui venait d'ailleurs de recevoir la légion d'honneur en début d'année, certes eût envie de laisser des traces - ce que jusque là son art éphémère n'autorisait pas, mais se fût surtout risquée à cet art nouveau dont il n'était pas inscrit dans le marbre qu'il fût compatible avec ses talents.

Je reste toujours un peu interdit devant cette manière si particulière de déclamer, si étrangère à nos manières et pourtant déjà moderne qui me rappelle autant la manière dont par exemple un G Apollinaire pouvait dire ses poèmes. C'est vrai, il y a un côté kitsch dans tout cela dont je redoute toujours un peu qu'il ne m'apparaisse tel que pour la profonde inculture qui est mienne ... disons en tout cas que s'il est une distance d'un siècle d'entre nous et ceci, oui, manifestement elle s'entend !

 

La troisième raison est en réalité la véritable naissance du cinéma qui se fait dans ces années-là et qui s'observe justement dans le fait que commencent à se produire de véritables films - avec scenario et acteurs - et non plus seulement ces petites scènes qui n'étaient encore finalement que des exercices de démonstration et que les projections ne se font plus seulement sous des tentes hâtives dans les foires mais dans de véritables salles en dur qui commencent à lui être affectées.

Technique prodigieuse que ce cinéma qui évoluera très rapidement en fin de compte, qui commence de bouleverser les arts et semblera parfois menacer d'éclipser tous les autres, qui va très rapidement modifier de fond en comble la manière dont on relatera l'actualité et singulièrement la guerre qui va venir.

Singulière époque qui voit naître un art nouveau - ce qui, après tout, n'est pas chose courante : longtemps les Muses suffirent à incarner les arts sans qu'il en manquât aucun ; avec la photographie d'abord et le cinéma désormais, voici de quoi donner à nos souvenirs, nos représentations et notre imaginaire couleurs, formes et bientôt son en même temps que trace.

J'aime à penser la puissance de l'artiste dans sa capacité à se saisir des techniques nouvelles et à n'en surtout pas rester là ; à transfigurer l'artefact en sensibilité, en émotion ... en sens et permettre, oui, de nous rendre le monde un peu plus supportable.

Je ne puis pas pour autant rester insensible devant cette plus ancienne photo connue de Paris montrant en 1839 le Faubourg du Temple ni ces quelques autres qui n'ont sans doute pas d'autre prétention que de montrer mais qui comblent avec une ingéniosité remarquable la distance qui nous séparent d'elles. Non plus que je ne parviens à rester muet devant ces Rostand, Régane, Guitry père que l'on aperçoit dans ces petits bouts de films et qui parviennent à donner corps à ceux qui autrement ne seraient restés que des noms.

Ce qui fera la densité de la guerre de 14, outre la densité de l'événement, bien sûr, ce sera aussi que nos yeux demeurent pleins de ces images et de ces films qui nous rapprochent tellement de ces souffrances, de ces ruines qui, à cause d'eux, ne pourront jamais plus rester enfermés dans les pages jaunies de nos vieux livres d'histoire de notre enfance.