Il y a 100 ans ....
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Bibliothèques ...

Le Paradis avant l'Enfer ? Bachelard ne disait-il pas que le paradis, à coup sûr, ressemble à une bibliothèque ?

En tout cas en ce 24 mars 1914, Guillaume II inaugure à Berlin la nouvelle Bibliothèque Royale :

C'est un palais dédié à la science que nous inaugurons aujourd'hui. Avec ses imposantes salles à coupoles, cet édifice parfaitement achevé est un chef d'oeuvre de l'architecture et de la construction allemandes, pour nos contemporains et leurs descendants, symbole de l'importance que nous accordons aux travaux de l'esprit.

L'Académie et la Bibliothèque ont toujours été proches du château de mes ancêtres et ont bénéficié de leurs largesses. Au milieu du tumulte guerrier pour l'affirmation de la puissance et de la grandeur de la Prusse et du Brandebourg, le prince-électeur Frédéric-Guillaume a ordonné en 1659 la création de l'actuelle bibliothèque royale. Son fils, le roi Frédéric Ier, a fondé l'Académie, associant à la gloire de la couronne celle des sciences. Frédéric le Grand lui-même un grand ami des arts et des sciences, a ensuite fait construire l'édifice qui abritait jusqu'à peu l'Académie et la Bibliothèque. Volontiers, j'ai suivi l'exemple de ces nobles princes . C'est avec une satisfaction émue que sous mon règne j'ai pu voir ces deux institutions scientifiques capitales réunies en ces lieux poursuivre leur essor avec un tel bonheur. A travers l'histoire de l'Académie, les esprits sublimes d'un Leibniz, des frères Humbolt, d'un Helmholtz ou d'un Mommsen s'adressent à nous. Par ses innombrables trésors et ses fonds rigoureusement classés, la Bibliothèque royale s'honore de compter parmi les collections de livres les plus importantes du monde.
Guillaume II le 24 Mars 1914

Propos de circonstance évidemment mais qui disent plusieurs choses qui nous interpellent : le goût de la cour de Prusse n'est pas tout à fait un vain mot si l'on se souvient de l'acharnement que Frédéric mit à faire venir puis rester Voltaire, qui y résida quand même deux ans, y travaillant à l'aise dans cette cours tellement francisée où il retrouvera Maupertuis, La Mettrie ....

Pour autant, ce goût des lettres ne fait pas oublier cette obsession d'être grand que l'on retrouvera tout au long de la montée en puissance de la Prusse, d'abord en imitant la culture française, ensuite en s'opposant à elle. Au fond, les obsessions politiques de domination et les vanités impérialistes de prééminence ne sont jamais très loin quand on parle de culture : sa bibliothèque est peut-être utile mais d'abord elle dit la grandeur, l'excellence de la science et de l'art allemands. Non mais ! Ce qui est assez amusant, si l'on songe à un Leibniz, qu'il cite ici, et qui écrivit plus volontiers en latin ou en français qu'en allemand illustrant à l'envi la réalité internationale de la recherche et des échanges scientifiques et philosophiques (déjà!). Où l'on voit que ce n'est pas d'hier que date la volonté politique de s'approprier arts, lettres et sciences qui pourtant s'attachèrent toujours à échapper à la logique à la fois politique et économique. Sans plus y parvenir désormais, semble-t-il.

Quand se referme le livre, l'arme n'est jamais loin.

On n'oubliera pas la destruction de la bibliothèque de Strasbourg lors de son siège en 1870 : que l'Empereur en eût pu être désolé en son temps au point de prendre sur sa bibliothèque personnelle pour doter la nouvelle bibliothèque qu'il y fera construire en même temps que toute la partie allemande de la ville, est une chose ; je ne sache pas que cela l'empêchât en son temps de laisser parler les armes.

Etrange sentiment quand même que de se dire que s'il est vrai que les oeuvres, églises et monuments sont à peu près tout ce qu'il reste quand une société a été détruite ou a disparu, ils ne sont pourtant pas grand chose face à la folie furieuse des armes ...

Et que, dans la superbe germanique de ce printemps 14 qui fait dire à l'Empereur que l'Allemagne va porter la civilisation, le progrès et la science dans le monde, il y a à peu près autant de vanités que de dangers.