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Une coupe, des fans, des cris …
un petit ajout à la fin
Depuis ce matin 10h des hordes braillardes, des voix cassées par l’excitation ou l'alcool, comment savoir, des pseudo-rengaines répétées jusqu'à la vomissure entonnant un on est en finale alternativement avec un on va gagner qui rassure assez peu sur l'imagination et pas du tout sur les qualités poétiques des masses populaires en liesse.
A côté de cela, dans la presse, le croirez-vous, même dans la presse dite sérieuse et de référence, des articles sondant le poids sociétal de la chose … Heureusement quelques un modèrent : qu'on ne nous refasse pas le coup du black-blanc-beur d'il y a dix ans ; qu'on n'attende pas du foot qu'il change quoi que ce soit à la société ! Ah quand même, des gens raisonnables !
Eh quoi la victoire de 98 a-t-elle empêché en quoi que ce soit un JM Le Pen de regretter qu'il y eût si peu de français dans l'équipe victorieuse ? ou le même, hydre bouffie de haine, de mépris et de sottise, de parvenir au second tour en 2002 ; ou à sa fille de faire de même en 2017 ? Eh quoi la fraternité aurait-elle a ce point éclos dans ce pays que nous nous serions précipités pour secourir les migrants et leur offrir des solutions dignes de ce nom ? Eh quoi aurait-on en 20 ans fait tomber les barrières des ghettos modernes que sont les banlieues ? Vivrions-nous dans une société plus libre et plus égale sans que je m'en aperçusse ?
La seule chose que montre assez bien les images si on devait les comparer avec celles d'il y a 20 ans c'est combien notre société est désormais plus composite : ce dont il faut se réjouir ; qu'il a su, si j'en crois les images et les journalistes femmes, sortir de son quant-à-soi macho et de vulgarité gavée de testostérone mal assumée. A part cela ? Rien
Qu'on ne se méprenne pas ! Je peux comprendre qu'on prenne goût au foot même si je comprends mieux qu'on veuille le pratiquer plutôt que de se contenter, canette de bière à la main, de hurler devant son téléviseur. Allez, soyons exagérément compréhensif, je veux bien tenter de supputer le plaisir prix à un spectacle … après tout ce n'est pas plus étrange que de supporter les quelques treize heures de la tétralogie wagnérienne. A Bayreuth qui plus est !
Ce qui m'exaspère, outre ces foules enfiévrées que je n'ai jamais aimées, tient au fond à trois choses :
- cette passion excipée en rituel quasi-religieux ! Quoi ? tout ce serait-il à ce point effondré que nos cités en revinssent aux excitations frustres des arènes antiques ? Quoi nous aurions troqué, sans nous en rendre compte le Décalogue et la Déclaration des droits de l'homme contre le règlement de la FIFA ?
- ce nationalisme même plus honteux - mais le mot est-il approprié ? n'est-il pas trop théorique déjà pour ces instincts grégaires ? - qui pousse tout un chacun à hurler on a gagné : je suis fier d'être français. Quel renoncement violent à tout ce qui faisait notre gloire : l'affirmation d'un individu autonome ! et voici - plus même n'est besoin de ces diatribes hurlées de quelque dictateur furieux ; plus même n'est utile de saupoudrer sa bave de quelque idéologie völkisch - voici que par le miracle de quelques onze gaillards musclés qui s'empresseront de s'empaler les uns les autres en hurlant au moindre but, grands gaillards adeptes de soirées alcoolisées et de petites vertus accompagnées, clients à l'occasion de sex-tapes et autre petites émotions spirituellement édifiantes, que par l'entregent, habile peut-être mais gracieux jamais, de ces garçons hâtivement travestis en idoles prêtes à toutes les hyperboles, soudainement la foule se coagule, fait masse et oublie toute retenue ! Psychologie de masse du fascisme disait Reich ! Ils disent on : regardez l'alchimie honteuse a réalisé le grand œuvre : la foule s'est faite masse ; et la masse Léviathan hurlant !
- cette insidieuse prétention qui voudrait nous faire légitimer les vertus pédagogiques du sport. Ah ces valeurs du foot que n'en entendis-je point parler ! Idem qu'en politique on les invoque mais on ne les nomme jamais ni ne les définit. Ce serait tellement cruel ! Il est vrai que leurs dirigeants - n'est ce pas Sep Blatter ? - ont tellement donné l'exemple ! Dérive lourde du rationnel vers le sensible, l'émotion, l'irrationnel ! Derechef ! Jouons la sympathie - non empathie fait plus chic - et allons à la rencontre dégoulinante de l'autre sous sa forme la plus hideuse : cette foule qui hier hurlait Barabbas ! puis heil ! et demain …
Tout ce qui ronge l'autonomie de l'individu le rabaisse et donne de quoi nourrir le Minotaure ! Allez faites pas chier !
Et si on parlait d'autre chose ?
Addendum
Preuve que je ne me trompe pas tout-à-fait cet article de l'Express
De la capacité des journbalistes à faire mousser leur inculture et faire prendre leurs rêves pour des réalités ! De la complaisance des intellectuels à les satisfaire !
Effrayant !!
"Le foot crée du nationalisme festif"
Il y a une bonne part d'individualisme dans la liesse collective autour des Bleus, selon le sociologue Gilles Lipovetsky
Fin analyste de la société française et de ses travers "hypermodernes", Gilles Lipovetsky jette un regard distancé sur nos élans de liesse après la qualification des Bleus en finale de la Coupe du monde. Le sociologue vient d'être récompensé par l'Académie française pour son dernier essai, Plaire et toucher, essai sur la société de séduction (Gallimard).
Que disent de nous ces foules répandues dans la rue pour fêter le succès de l'équipe de France ?
J'analyserais le phénomène à partir du concept de nationalisme, qui a pris des formes extrêmement différentes au cours de l'histoire. Il y eut le nationalisme républicain, ouvert, qui apporta la liberté, sous la Révolution et la France du XIXe siècle ; le nationalisme totalitaire - le fascisme et le nazisme - et il y a aujourd'hui un nationalisme défensif, n'ayant plus pour ambition la conquête d'autres territoires mais celle de protéger la nation contre les vagues d'immigration. Le football donne maintenant l'occasion à un autre type de nationalisme d'émerger, celui que j'appellerais le nationalisme festif.
Que mettez-vous derrière cette formule ?
Les grandes figures du nationalisme se sont constituées comme des crans d'arrêt face à la montée de l'individualisme ; elles appelaient au sacrifice personnel - "Pour l'Alsace, un Français doit mourir", entendait-on lors de la guerre de 1870. Dans cette perspective, la nation est la valeur suprême et l'individu doit s'effacer devant les intérêts de celle-ci. Le nationaliste festif qui apparaît autour de l'équipe de France, lui, ne se construit pas contre l'individualisme, il en est une figure. Lorsque les Français descendent sur les Champs Elysées, accrochent des drapeaux dans les cafés, ils expriment un bonheur, un plaisir qui n'exige d'eux aucune mesure sacrificielle. De la France, ils attendent quelque chose - la victoire et la joie - mais eux ne donnent rien. On est tout à fait dans ce que j'ai nommé l'hyper-modernité : l'âge de l'individu hédoniste et autocentré qui n'a plus de référentiel majeur, si ce n'est lui-même.
Que tant de gens se retrouvent derrière le mot "France", à une époque où la notion d'identité française crée de multiples tensions et divisions, n'est-ce pas la preuve, néanmoins, qu'un lien collectif perdure ?
Certes, mais ce nationalisme festif est totalement éphémère, on l'a bien vu en 1998. N'étant pas porteur de valeurs, il ne change rien, il est simplement émotionnel. Il peut, c'est vrai et ce n'est pas négligeable, apporter 0.1% de point de croissance supplémentaire au pays. Il est aussi un instrument de fierté de soi : on est fier d'être français parce que la France a gagné. Et ce plaisir d'être ensemble, gratuitement, est l'une des seules choses que le consumérisme contemporain ne permet pas. L'être humain est fait de telle sorte que si le "nous" recule avec la société de consommation, il n'est pas pour autant pour autant aboli. Lorsque vous vous achetez une belle voiture, que vous vous payez un beau voyage en famille, vous vous faites plaisir sur le plan privé, mais vous dépensez de l'argent. Le football est, aujourd'hui, le seul rendez-vous capable de créer un sentiment de communication collective tout en étant vécu intensément sur le plan individuel sans coûter grand chose.
Ce type d'événement ne permet-il pas, aussi, de retrouver le sens de la fête ?
En tant qu'effervescence collective, ces célébrations populaires relèvent effectivement du festif, à la différence de tous ces festivals et autres rencontres qui se présentent comme tels et ne sont que des événements commerciaux. Mais ces manifestations ne comportent pas la dimension de renversement ritualisé des normes quotidiennes qu'on trouvait, jadis, dans les fêtes traditionnelles. Autrefois, la fonction de la fête était d'instaurer un chaos pour faire renaître, plus intensément, la collectivité.
Et vous ne croyez-vous pas que les Français se sentiront plus soudés au lendemain d'une victoire des Bleus ?
Si, mais durant quelques semaines, comme je le disais. Il est tout de même dommage que seul le ballon rond soit capable de susciter un pareil enthousiasme !