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Histoires d'amalgames, de confusionnisme ; de malhonnêteté ?

De l'amalgame en 5 étapes
1 Terreur terrorisme 2 Histoire de tolérance ? 3 Brouillage idéologique
ou le confusionnisme d'Onfray
4 Retour aux mots 5 Idéal idéologie

 

Retour aux mots

Les mots, je l'ai dit, ont une histoire ; les idées aussi ! Ne pas en tenir compte revient toujours à pratiquer l'amalgame, la confusion et à promouvoir à la fin un redoutable relativisme.

Art. 27. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection du peuple entier et de chaque portion du peuple est le plus saint des devoirs.
Art. 28. Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ses droits.

La Terreur, que l'on peut discuter en son principe, mais qu'en historien il se faut prendre à bras le corps pour tenter de l'expliquer, n'est autre que la réponse populaire d'une Révolution menacée, à l'issue incertaine et que la guerre met en grave péril. Elle est cette réponse que Rousseau avait envisagée et que la Déclaration des droits de l'homme de 93 avait consacrée : le devoir de révolte ; d'insurrection. Quand la loi devient injuste, quand elle cesse d'être le reflet de l'intérêt général pour ne défendre plus que des intérêts particuliers, alors, oui désobéissance et révolte sont non seulement nécessaires mais légitimes. C'est ce moment que signale la Terreur : celui où un peuple conscient des forces réactionnaires montantes qui ne manqueraient pas de remettre en question la souveraineté qu'il avait conquise de haute lutte répond, par la violence, à la peur de la perdre. Nul arbitraire ici : une violence des fondations. Au même titre que toute révolte contre le Roi, et même toute critique était perçue comme un blasphème pour ce que l'ordre était supposé instauré par Dieu et défendu par son représentant royal, au même titre, ici - vox populi, vox dei, la réponse populaire - la liberté ou la mort - représente-t-elle une réponse, tragique, à n'en pas douter ; peu maîtrisable, assurément ; mais déterminante à ce qui apparaît comme l'intolérable absolu : un retour à l'ordre tyrannique ancien. Quand, après Thermidor, on parlera de terroriste, ce sera pour fustiger certes Robespierre, Saint Just, le Comité de Salut Public et les tribunaux révolutionnaires, ce sera surtout, tout en reléguant le peuple qui s'était levé au grade de citoyen passif, dresser une ligne de partage où l'intolérable désormais ce sera, justement, l'intervention du peuple, la violence d'un peuple présenté définitivement comme une bête vulgaire assoiffée de sang et de haine, que tout sain gouvernement se devra à l'avenir contenir. Et contenir son expression.

Oublier cela, oublier que le passage du mot terreur à terroriste caractérise précisément ce moment où le peuple de souverain et source de toute légitimité devient sinon l'ennemi, en tout cas le danger sourd qu'il faut savoir maintenir à distance Avec le mot terroriste, subitement, on peut distinguer l'acte de sa signification politique et condamner ainsi, au nom de principes moraux incontestables. Qui ne considérera les massacres de Septembre avec dégoût ? Otez le contexte qui les a rendus possibles et l'on n'aura plus devant soi qu'une horde vulgaire et bestiale ...

Le mot terroriste à la fois disqualifie l'acte en fixant la norme de l'insupportable, de l'intolérable mais délégitime politiquement en reléguant du côté des vaincus ceux que l'on fustige. Faut-il rappeler que c'est exactement ce mot - terroriste - qu'utilisèrent les Allemands mais aussi Vichy pour désigner ceux qu'une fois vainqueurs l'on nommera résistants. Dire terroriste c'est implicitement définir l'exercice de la violence légitime. Et la Révolution elle-même, bientôt, cessera d'être l'acte fondateur pour devenir l'exemple honni et dangereux de toutes les exactions. Faut-il rappeler comment, à l'occasion du Bi-centenaire on insista plus sur les ombres que sur les lueurs allant jusqu'à évoquer (de Villiers) le génocide du peuple Chouan ?

Que chaque époque réécrive l'histoire, on le sait, et il n'est rien là que de normal qui confirme combien effectivement il est affaire ici de construction, d'élaboration. L'historien le sait qui travaille tant à partir des documents que de ces reconstructions. Le polémiste lui l'ignore - volontairement - et le politique s'en joue.

Qu'on ne se méprenne pas : il n'est évidemment pas question de légitimer ici les assassinats de la semaine précédente. Je veux juste souligner combien l'effroi, l'horreur qui nous saisissent devant de tels actes sont eux-même déjà le résultat d'un processus culturel, historique, idéologique qui a fixé une ligne de partage entre ce qui est ou non tolérable ; supportable. Qu'en conséquence, cette ligne est nécessairement différente pour les auteurs de ces actes, que les combattre revient à comprendre les ingrédients qui contribuèrent à la placer là, où justement nous ne le supportons pas.

dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l'air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes; la religion, loin d'être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés.
Voltaire

La métaphore de la maladie

Est-ce un hasard ? Lénine en 1920 - Maladie infantile du communisme (le gauchisme) - utilise le même registre que Voltaire un siècle et demi auparavant : celui de la physiologie ; de la pathologie. L'idée est toujours la même : une dérive, une perversion inscrite dans les gênes, dans les faits - presque incontournable. Métaphore d'autant plus efficace que la perversion n'apparaîtra désormais plus que comme une hyperbole, une démesure de la normalité : entre normal et pathologique ne sont que des différences de degrés.

A chaque fois la même idée ; à chaque fois la même crainte : celle d'une spirale, infernale, à quoi l'on voudrait substituer un cercle vertueux, qu'il faut savoir arrêter à temps faute qu'elle ne vous emporte à la fin. Sous le mot, le souci du stratège : frapper à temps, au bon moment - tant qu'il est encore temps.

Mais justement ! mais l'engrenage !

Le terroriste n'est pas un monstre, c'est un enfiévré pris en tenaille dans les affres de son propre délire. Intervenez trop tard, il n'y aura plus d'issue que de le mettre à l'écart pour éviter la contagion ; ou de l'abattre.

Le discours de guerre qu'entonnent tous les politiques avoue ce moment d'après ; ce point limite que l'on eût dépassé ...

Alors oui c'est une question de posture : que celle du politique soit de prendre des décisions, dans l'urgence, tout le monde le comprendra ; que celle du commentateur soit de la mettre en perspective est tout aussi évident. Que la prudence intime de ne pas hurler avec les loups ; qu'elle conseille de ne pas se laisser gouverner par la peur est de bonne augure ; qu'elle craigne que de réaction belliqueuse en états d'exception, elle ne finisse par emporter cette démocratie à quoi nous tenons, est sain.

L'engrenage encore !

Peut-on encore discuter avec le fanatique ? le fou de dieu ? N'est-il pas déjà trop tard ? Voltaire use de la métaphore de la maladie, de la fièvre : itérative impuissance de la raison à entendre l'irrationnel. Il est tellement plus simple d'entendre sous la folie ce que nous ne parvenons pas à comprendre ! ou sous l'aune du Mal - ce qui, au reste, revient au même. Passion maladive, inclination que par faiblesse nous ne parviendrions plus ni à maîtriser, ni même à seulement modérer ?

Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face Je crois plutôt qu'il s'agit de posture : on ne discute pas avec l'absolu qui implique écoute donc obéissance. Qui le contemple est pétrifié et même Moïse n'entrevit que la nuque de Dieu ! Même Moïse, pourfend et massacre à sa descente du Sinaï. On ne côtoie pas l'absolu impunément. On ne mégote ni avec Dieu ni avec Diable. Sans doute sommes-nous de constitution trop débiles pour souffrir l'absolu. Condamnés que nous sommes d'errer entre ces deux bornes, entre ces deux extrêmes.