Textes

La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Appendice XXIV.

 

Des hommes, qui n'ont pas simplement l'être en tant que réalités de fait dans le monde des réalités de fait, en tant que réalités psycho-physiques, mais qui ont aussi un autre être, leur être de personnes dans une totalité de personnes, et en tant que tels n'ont pas seulement des attaches extérieures, mais des liens qui les unissent sur quelque chose. Nous présupposons déjà la forme la plus haute de normalité de l'existence humaine, en tant qu'existence dans un peuple normalement uni dans les liens d'un Etat, dans un régime étatique qui possède une ordonnance de la volonté d'après des relations de domination et de servitude. Dans cette normalité chaque personne adulte a sa fonction, chacune a ses tâches et vit dans leur remplissement actif ; et toutes les tâches et tous les remplissements de tâches ont leur unité synthétique, qui est présente dans chaque personne même comme un horizon de conscience, même si elle n'est pas donnée dans une conscience explicite ni thématisée comme une totalité.


C'est plutôt l'horizon permanent qui donne à tout thème subordonné, à tout but particulier, le sens d'un thème dans cet horizon thématique, d'un remplissement de tâches partielles dans l'ensemble de la tâche, remplissement qui est pour chaque personne son devoir et auquel elle est ob-ligée. Dans cet ensemble nous trouvons aussi la philosophie comme tâche, comme métier personnel. Mais nous remarquons ici une particularité de ce métier, une particularité en tout cas qui ne s'attache pas à tous les métiers dans la totalité normale du peuple et de l'Etat (la totalité de la communauté). Le travailleur manuel, le cadre et le travailleur dans les métiers sociaux de l'activité industrielle, le fonctionnaire au service de l'Etat, s'il lui arrive de méditer sur le « sens » de son existence dans ce métier, n'a besoin pour cela d'aucune méditation historique. Mais le philosophe, lui, en a besoin. Son existence comme philosophe est historique en un sens bien particulier, en un sens autre que celui dans lequel tout métier, et le tout des métiers, qui appartiennent à la structure de l'existence dans un peuple et un Etat, sont historiques.
Tout homme, en tant que personne, se trouve pris dans le contexte de sa génération, lequel, compris au sens spirituel personnel, est pris dans l'unité d'une historicité ; celle-ci n'est pas seulement une série de faits passés, elle est au contraire implicitement dans tout présent, dans sa factualité, comme un acquis spirituel caché, comme le passé qui a formé la personne actuelle et, en tant que formation de celle-ci, est impliquée en elle intentionnellement. C'est à quoi se rattache le vague savoir que tout homme possède sur son être et sur sa génération ; mais celle-ci n'est pas pour lui en général comme un enchaînement de personnes présentes et de personnes mortes depuis longtemps, puisque celles-ci bien que mortes, existent encore actuellement maintenant (...), fécondant les idées des contemporains toujours à nouveau, les produisant ou éventuellement les empêchant, et qu'en tout cas elles motivent dans leur existence professionnelle.