Textes

Edmund HUSSERL (1859-1938)


Né en Moravie (République tchèque) le 8 avril 1859, Edmund Husserl est d'abord mathématicien avant de devenir philosophe. Dès 1887, il devient privat dozent, c'est-à-dire professeur non-titulaire à l'université de Halle. En 1906, sa carrière universitaire atteint son apogée avec son titre de professeur titulaire à Göttingen, puis à Fribourg de 1916 à 1928. Cet universitaire austère, voire sévère, qui a durablement influencé la philosophie contemporaine en développant la phénoménologie, a produit une œuvre immense allant des Recherches logiques (1900-1901) à La Crise des sciences européennes et la philosophie transcendantale (1935-1937). Ces dernières années furent assombries par le nazisme et l'antisémitisme, car Husserl était un juif converti au luthérianisme : il fut rayé de la liste des professeurs de Fribourg puis réintégré en juillet 1933. Il meurt le 26 avril 1938, alors que le national-socialisme menace de destruction ses manuscrits inédits. Ils furent heureusement évacués à Louvain où se trouvent toujours aujourd'hui les fameuses archives Husserl, dans lesquelles 300 000 feuillets restent à dépouiller.

Après avoir réfléchi dans l'horizon de la mathématique et s'être interrogé sur ses fondements, Husserl développe un idéalisme qu'illustre sa théorie des essences. Sans le secours des essences, le penseur demeure atteint de cécité spirituelle. Il est également influencé par Descartes et Brentano (1837-1917), ce psychologue allemand qui définissait la conscience par son " intentionnalité ". Pour Brentano, toute conscience est forcément conscience de quelque chose.

La philosophie husserlienne explique que la véritable connaissance réside dans une intuition des essences, des formes absolues, qui seules permettent réflexion et pensée. Le regard du sujet doit donc se tourner vers elles lorsqu'il cherche à décrire la constitution des phénomènes, qui a lieu dans la conscience. En effet, dans la perception, le but de la conscience qui vise un objet est de mener à bien le processus de saisie intuitive du phénomène afin de constituer l'objet visé, c'est-à-dire le phénomène, en une idée pure. L'intentionnalité de la conscience se transcende ainsi vers l'objet à chaque fois qu'elle le vise.

Tout objet de la conscience acquiert ses déterminations à partir de l'angle sous lequel je le vois. Aussi ce sens s'enrichit-il quand je multiplie les angles sous lesquels je le perçois. Si bien que, au bout du compte, l'objet spatialement vécu ne se donne en sa totalité que sur le fond d'une synthèse de points de vue.

Cette multiplication des points de vue sur l'objet peut être amenée à revêtir une forme historique. En effet, dans la relation avec autrui, que Husserl appelle l'intersubjectivité, l'autre ou alter ego correspond à une multiplicité de significations qui peuvent être fonctionnelles, économiques, politiques ou affectives. Dans tous les cas, ces significations sont prises dans le flux d'une histoire. Car il ne faut pas oublier que, si l'objet qui nous fait face recèle une multiplicité de sens possibles selon notre position, nous revêtons nous-mêmes une multiplicité de sens. Aussi est-ce lesté de sa propre histoire, ainsi que de la nôtre, que l'objet acquiert des déterminations grâce à l'analyse phénoménologique.

Husserl parle d'un flux de sens, et ce terme définit mieux que tout autre ce qu'il faut entendre par intentionnalité, l'apport original de la phénoménologie à la compréhension de la conscience. Le problème n'est pas que la conscience soit tournée vers l'extérieur ou vers l'intérieur : la conscience est extériorisation, c'est-à-dire qu'elle ne cesse de viser l'objet qui lui fait face sous de multiples angles, au point de constituer autour de lui toute une stratification de significations étagées sur plusieurs niveaux.

En faisant de l'intentionnalité la clef de la conscience, Husserl offre à l'investigation de la connaissance une méthode rigoureuse d'analyse du travail de la conscience.