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Saint Augustin (354-430)

Saint Augustin est à la fois témoin de l'effondrement de l'Empire romain d'Occident, acteur de l'Eglise chrétienne, et un homme de la fin de l'Antiquité hanté par de grandes questions philosophiques et religieuses. Son œuvre immense recourt avec succès à tous les genres littéraires, du traité philosophique à l'échange épistolaire, de l'autobiographie au sermon.

Romain d'Afrique, Augustin est né en 354 à Thagaste, dans une famille modeste. Il suit néanmoins, à Carthage, le cursus traditionnel d'une éducation libérale, plus littéraire que philosophique, et devient professeur de rhétorique. L'exercice de cet enseignement le conduit à Rome et enfin à Milan, capitale de l'Empire d'Occident. Une carrière de gouverneur de province s'ouvre à lui, mais elle ne saurait cependant satisfaire sa jeune âme emplie d'inquiétudes religieuses et philosophiques, éveillées par la piété de sa mère Monique et par la lecture d'un ouvrage de Cicéron.

Après avoir cherché réponses à ses questions auprès des manichéens, en adhérant à leur secte pendant presque dix ans, il découvre à Milan le néoplatonisme relu par un chrétien, l'évêque Ambroise, et y trouve enfin une philosophie capable de fonder rationnellement sa foi. C'est donc une mutation intellectuelle qui provoque sa conversion religieuse : à 32 ans, Augustin reçoit le baptême, au terme d'un itinéraire spirituel que relatent les Confessions.

Commence alors une nouvelle vie : il mène à Thagaste, de 381 à 391, une existence monastique consacrée à la prière et à l'étude, et compose des dialogues philosophiques. Mais sa foi n'en reste pas à cette vie en retrait du monde. Il s'engage dans des luttes de l'Eglise et, en 395, devient évêque d'Hippone, alors deuxième ville d'Afrique. Dès lors, jusqu'à son dernier jour, son temps se partage entre la réflexion, l'écriture de ses plus grandes œuvres, et une vie active plongée dans des luttes politiques et religieuses, qui nourrissent certains de ses ouvrages dirigés contre diverses hérésies. Augustin meurt en 430 dans sa ville épiscopale, assiégée par les Vandales.

La vie de cet homme étonnant, dont les talents d'orateur rivalisent avec ses capacités spéculatives, est donc animée par un désir ardent de connaître Dieu. De ce désir découle une mystique où le théologien ne cesse d'être un penseur et où le philosophe se nourrit de l'expérience quotidienne de la foi. Toute l'œuvre augustinienne, dans son ampleur et sa variété, est un dialogue perpétuel entre un homme qui cherche Dieu, et Dieu qui le guide. Ses quelque 113 traités, 200 lettres et 500 sermons sont traversés par l'intuition fondamentale de la recherche de Dieu, et la pensée s'y développe en donnant à chaque vérité son sens et sa place dans la Révélation chrétienne.

Ainsi, le De Trinitate avance la thèse selon laquelle le mystère de la Trinité, dogme religieux fondamental, s'incarne dans tous les êtres, du plus matériel au plus spirituel, et ouvre sur une ontologie et une psychologie des facultés. L'âme humaine, qui est à la fois mémoire, intelligence et volonté, représente aussi la triple image du Créateur. Par sa nature, l'homme est d'abord uni à Dieu, car créé à son image. Toutefois, l'homme est sans doute l'image la plus complexe de Dieu, car il est le seul être capable de refuser ce statut d'image. Si notre volonté tend foncièrement à s'attacher à Dieu par l'amour, elle peut aussi s'en détourner par l'orgueil, lorsque nous nous préférons à Dieu et croyons trouver en nous-mêmes le bien que seul Dieu peut nous accorder. L'orgueil, qui est ainsi la racine de tous les vices, permet de comprendre que le mal n'est pas une substance opposée à la bonté divine, mais une privation, une déficience de notre volonté qui se détourne de sa destination propre, se prive de Dieu et se perd loin de lui. Mais si l'homme, depuis la chute adamique, a la force de dire non à Dieu, il n'a pas de lui-même celle de lui dire à nouveau oui : l'homme perverti, puis converti, revient librement à Dieu, mais sa liberté a besoin d'être précédée et soutenue par la grâce, précieuse aide divine.

Le sens le plus haut de notre liberté est donc, selon Saint Augustin, non pas de choisir entre bien et mal, mais d'adhérer à l'action de Dieu en nous. Les événements de notre vie deviennent ainsi des étapes d'une histoire au cours de laquelle, perdus loin de Dieu, nous revenons vers lui, grâce à lui. L'itinéraire individuel s'épanouit dans l'histoire collective, et la spiritualité augustinienne s'achève dans une théologie de l'histoire, formulée dans les 22 livres de la Cité de Dieu.