Palimpsestes

Cumul

On le sait, en France, le cumul est une loi du genre. Elle a ses raisons ; elle n'en suscite pas moins de nombreuses et dommageables suspicions. Faisait partie du programme d'y mettre un terme. Evidemment, derrière les bonnes intentions, les réalités, les réticences - avouées ou non - la bonne ou la mauvaise foi.


Du latin cumulare signifiant entasser, grossir ou remplir par accumulation, le cumul désignait le droit qu'avaient selon la coutume de certaines provinces les héritiers du sang d'obtenir dans un héritage les deux tiers des meubles et des acquêts. On ne trouve donc pas dans l'origine du terme l'opprobre qu'on eût pu imaginer, cette accumulation étant plutôt le fait, soit du droit, soit du mérite : on trouve ainsi ça et là l'éloge de qui cumule gloire militaire et éloquence, par exemple ; le cumul faisant quasiment signe de l'excellence, de la réussite ; de la plénitude. Sans doute, de ce point de vue, y a-t-il plus d'une accointance entre le cumul et le capital puisqu'aussi bien la logique de ce dernier demeure bien l'accumulation.
Mais, la capitalisation du savoir est tout autant la condition même de la culture, de la connaissance. Pour que savoir il y ait, il faut bien que la mémoire fasse son travail... Bref le cumul est signe d'excellence, de réussite : La Fontaine ne l'ignorait pas qui se moqua de la grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf ....
Renoncer au cumul revient à renoncer aux attributs du pouvoir, aux signes de l'éminence, aux délices de la prééminence : est-il entreprise ou administration, où le grade occupé, la responsabilité exercée ne se mesureraient pas à la dimension du bureau (salle et meuble confondus) ou bien encore à la proximité d'avec le saint des saints ? Le Parlement est déjà tellement réduit à la portion congrue sous la Ve !

Comment ceux-là pourraient-ils sans maugréer accepter qu’on les émasculât ?
On peut s'intéresser à l'infini sur le pouvoir : réside-t-il dans la force, la capacité à s'arroger la violence légitime ? réside-t-il dans la parole ? ou, plutôt ne se niche-t-il pas dans la puissance, cette aimable virtualité qui s'évite de passer à l'acte et se joue plutôt de la dissuasion que de la persuasion ? Au fond, on ne tient jamais tant aux marques tangibles du pouvoir qu'on en détient peu. L'importun se flatte d'être magister ; le puissant se contente du ministère. Le fat s'empiffre de tous les cumuls possibles. Le prince, lui, joue à l'ordinaire.

Le pouvoir est affaire d’épaisseur, de bouffissure ; d’obésité.


Mais ne nous y trompons pas : ceci revient au même ! Dans la besogneuse ascension pyramidale aux vanités, on trouvera, au choix ceux qui se rengorgeront et ceux qui contreferont la modestie : mais tous ont tellement l'angoisse de n'être plus ... visibles.
Au 4 Août 1789, ce fut à qui irait au plus loin dans la surenchère au renoncement : princes  et haut clergé ne furent pas les derniers à s’y faire remarquer. La gloire à croquer y était immense : on en fête encore les lueurs. Les puissants ne cessèrent pas pour autant de l’être et y apprirent même d’autres manières de boursoufler ; les indigents, après l’enthousiasme de l’instant, surent rester à leur place.
Comédie ou tragédie ? Comment savoir ? Un jeu de miroir assurément où le vice n’a jamais désappris de faire éloge à la vertu.