Chronique du quinquennat

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La droite se cherche
des valeurs
Quid des valeurs fondement des valeurs Dérives axiologiques valeurs absolues ? Perspectives

Les valeurs comme absolues

Lorsque l'on parle ainsi des valeurs qu'il faut retrouver, que l'on se doit de respecter comment ne pas voir qu'on les érige en être absolus avec néanmoins ce statut particulier que, par définition, ce que l'on doit n'est pas et que donc se situeraient au delà de l'être ces valeurs

Ce qui relève de la scission entre être et devoir que relevait Heidegger. L'on reconnaît surtout la tendance, présente ici et là, de confondre les valeurs avec les Idées platoniciennes précisément conçues comme des valeurs.

Comment ne pas voir l'absolue contradiction qu'il y a à tenter de penser les valeurs avec la grille platonicienne quand cette dernière pose l'existence séparée des idées avec la grille moderne qui pose l'autonomie de la volonté. En posant le devoir comme un être au dessus de l'être on n'aura pas trouvé d'autre ressource pour en assurer la prééminence que d'en appeler aux valeurs - sans toujours réaliser que l'on n'aura en réalité fait que substituer un mot à un autre. Ce n'est certainement pas un hasard si le passage de l'Introduction à la métaphysique s'achève par la référence au nihilisme qu'il faut combattre ni qu'il pointe Nietzsche qui se serait fourvoyé précisément en ceci qu'il aurait esquivé la seule question qui puisse permettre d"y échapper : celle de l'être de l'étant.

C 'est pour s'être empêtré dans la confusion du concept de valeur et n'avoir pas compris que son origine faisait question, que Nietzsche n'a pas atteint le centre véritable de la philosophie. 1

On ne s'étonnera pas de voir Heidegger trouver la solution dans le questionnement métaphysique ; on ne s'étonnera pas ainsi de lui voir estimer dans l'oubli de l'Etre la raison fondamentale conduisant au nihilisme.

Reprenant une formule de Marx, lors du séminaire de Zähringen *, Heidegger revient ainsi sur le concept de Gestell 2 :

Être radical, c'est prendre ce dont il s'agit par la racine. Mais la racine, pour l'homme, c'est l'homme même. 3

Heidegger cherche ainsi dans son antonyme absolu - Marx - ce qui lui permet de penser à la fois l'originalité du monde grec et la spécificité de la modernité. Celle-ci réside, on l'a vu, dans cette prééminence de l'homme représenté comme mesure de toute chose, et trouve dans le marxisme une de ses formulations radicales qui suppose la production sociale de la société et l'autoproduction de l'homme comme être social. On l'a dit ceci n'est possible que dans le cadre d'un monde conçu comme représentation, d'un monde dès lors conçu comme objet (Gegenstand) ce qui est à l'opposé exact de la pensée grecque qui entendait le monde comme φυσισ, d'un homme qui dès lors se pense comme un sujet.

Je voudrais soutenir, ou plutôt présumer que l'autopruduction de l'homme produit le péril de l'autodestruction 4

Parce que cette autoproduction le condamne à l'impératif du progrès, mais donc aussi à la dévalorisation systématique de l'ancien au profit du nouveau ; qu'elle détruit tout objet pour n'envisager plus qu'une réalité mise à disposition, prête à être consommée, la modernité fait perdre toute racine et s'offre à la démesure. Finit par convoquer l'homme lui-même dans cette mise à disposition.

Perspectives

On peut effectivement constater deux choses :

- Tugendhat a sans doute raison : la tentative kantienne de fonder l'impératif catégorique en raison est un échec, non seulement parce qu'elle produit une morale impuissante à rien juger mais surtout parce qu'elle ne peut empêcher les valeurs à se constituer en absolus objets de foi.

- en dépit qu'on eût pu y voir l'un des fondements assurés de l'humanisme, elle n'a pas su empêcher non plus que l'homme devînt lui-même objet de la réquisition, de la production.

Le génocide comme impensé

On pourrait presque, à son propos, reprendre l'antienne moraliste classique : s'il y a un mal absolu, il doit bien y avoir quelque part un bien absolu !

C'est, effectivement, que le génocide en tant que réification de l'homme, représente à la racine, à la fois l'interdit majeur de l'impératif et la contradiction de la formule de Marx où l'homme serait à la racine. Pour autant, il est la possibilité même d'une modernité qui n'entend le réel qu'en tant qu'objet soumis à une représentation organisée, institutionnalisée et spécialisée. La formule, déjà citée, de Goebbels concevant le politique comme un artiste ayant pour mission de forger le peuple est loin d'être incohérente.

l'homme d'État forme, à partir de la matière brute de la masse, un peuple, lui donne un squelette et une structure ferme et lui insuffle ce souffle créateur qui fait s'élever le peuple à l'état de nation 5

Dès lors que l'homme est la racine et que la logique de la modernité réside non plus dans l'observance de sa nature d'être créé comme dans le monde médiéval, et encore moins dans celle d'un être visé par l'éclosion, le dévoilement de l'être, mais bien dans la production, pourquoi ne serait-il pas atteint lui-même par cette production, par cette réquisition ?

A l'inverse, considérer que l'homme est à la racine et, pour cela, intouchable n'est-ce pas par la bande, restaurer le sacré ? Un sacré qu'à tout le moins il faudrait tâcher d'essayer de penser et non seulement le poser ?

Mais un horizon aussi : celui de deux questions

Il est incontestable que le génocide a contraint à une définition juridique mais aussi donc à une détermination de ce qu'était, dans sa spécificité, un crime contre l'humanité. Le fait même qu'on le conçut, dès l'origine, comme imprescriptible, fut une autre façon de souligner la prééminence de l'homme dans l'échelle des valeurs.

Que dit-on lorsque l'on parle ainsi de l'homme comme valeur suprême ?

Ce qu'il y a aussi derrière le crime contre l'humanité c'est bien cette absorption en abysse de l'homme et du monde dans la réquisition comme stock, cette indistinction entre homme et chose désastreuse deux fois puisqu'à la fois elle condamne à l'instrumentalisation de l'homme et en même temps à la désagrégation du monde.

Que dit-on quand on parle ainsi de la désagrégation du monde ?

 


1) Introduction à la métaphysique ( à la fin du passage cité)

2) qui a été traduit dans Essais et Conférences par arraisonnement et signifie réquisition du réel comme stock (lire)

3) Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel

4) Heidegger, Questions IV, Séminaires, p 475

5) Goebbels-Reden, éd. par Helmut Heiber, Dusseldorf, Droste Verlag, 1971, t. I, p. 52 (discours du 18 juillet 1932)

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