Chronique du quinquennat

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La droite se cherche
des valeurs
Quid des valeurs fondement des valeurs Dérives axiologiques valeurs absolues ? Perspectives

Dérive axiologique

Si dérive il y a, elle commence alors effectivement au moment exact où la valeur morale, au lieu d'être, comme chez Kant, conçue comme l'observance de l'impératif catégorique, sera présentée comme un absolu c'est-à-dire présentée précisément comme un être.

C'est ici qu'Heidegger aide à comprendre l'enjeu. Deux textes aideront à le déceler :

le premier déjà cité, issu de l'Introduction à la métaphysique ;

le second tiré des Holzwege. 1

Le monde comme image *

Ce n'est certainement pas un hasard si Heidegger pour définir les caractéristiques de la modernité la présente comme étant l'époque des conceptions du monde et pour cela la distingue à la fois du monde grec et du monde médiéval. Ce serait bien la caractéristique de la période moderne de n'envisager plus l'étant que dans et par la représentation.

Or, c'est bien à propos de la cohérence avec la modernité (la correspondance entre la technique déterminée planétairement et l'homme moderne) qu'Heidegger en vient à évoquer la vérité interne et la grandeur du mouvement national-socialiste.

On est bien ici au coeur de quelque chose d'essentiel, indépendamment du jugement que l'on peut toujours se faire sur Heidegger et sa philosophie : que l'homme eût été sincèrement nazi ou pas, longtemps ou pas ; que sa philosophie comportât ou non des scories nazies est une autre affaire ! Il est manifeste que c'est bien autour de l'analyse de la modernité et de la représentation des valeurs comme un absolu que se joue le jugement qu'Heidegger se fit du national-socialisme, et des dérives qu'il y vit qui ne l'auront pas empêché de maintenir ce jugement sur la vérité du nazisme qu'il ne fit jamais disparaître des éditions ultérieures de l'Introduction à la métaphysique.

Heidegger caractérise ainsi les cinq manifestations des temps modernes :

- la science
- la technique mécanisée
- l'entrée de l'art dans l'Esthétique
- l'interprétation culturelle de tous les apports de l'histoire humaine
- le dépouillement des dieux

Ce ne saurait non plus être un hasard si c'est à partir de la science moderne que Heidegger dessine cette nouveauté que serait la Weltbild :

- effectivement la mathématisation du réel, l'utilisation en tout cas de la mathématique comme langage pour appréhender le réel dont on sait par ailleurs qu'elle consacre le véritable démarrage de la science moderne et en particulier des sciences physiques, suppose que l'approche du réel se fasse à travers le prisme d'un code, d'une représentation préalable qui n'est d'ailleurs pas dénuée de présupposés 2

- en se mathématisant, la physique projette les phénomènes dans ce qu'il appelle le plan fondamental de la nature ; n'entend donc le réel que préalablement traduits en concepts mathématiques. On n'est, ici, pas très loin de la révolution copernicienne de Kant : dans le processus de la connaissance ce n'est plus le sujet qui se conforme à l'objet mais au contraire l'objet qui ne peut être phénomène, observable et concevable que préalablement passé par le sas des catégories mathématiques.

- c'est de sa mathématisation que la science tient son caractère expérimental et c'est bien avec le passage de l'expérience à l'expérimentation que se joue la modernité. Rien n'est évident, rien n'est donné, tout est construit disait Bachelard : Heidegger pourrait en reprendre les termes. Un Bacon pouvait encore en appeler à l'expérience, c'est-à-dire à l'observation des choses elles-mêmes - l'argumentum ex re - mais l'expérimentation moderne est différente, radicalement qui consiste en la confirmation de la loi dans le cadre et au service d'un projet exact de nature.

- la science, en tant que projet de recherche ne peut fonctionner qu'en se spécialisant et en organisant institutionnellement sa démarche.  Ce qui caractérise les sciences c’est bien le primat de la méthode : l’esprit scientifique est une démarche, une méthode et cette méthode a dans règles. Que celles-ci soient pensées à partir de la pratique de recherche ne change rien à l’affaire et il est tout à fait révélateur de ce point de vue que le Discours de la méthode de Descartes soit en réalité le préambule d’un essai scientifique, lui même dépassé quand le discours reste d’actualité.
Ce primat de la méthode, si fécond par ailleurs, produit une véritable technicisation des sciences non pas tant en ce qu’elle utiliserait des outils techniques pour parvenir à produire des connaissances mais en ce qu’elle serait organisée de manière technique : parcellisation des tâches, rationalisation des procédures, abstraction et mécanisation accrue. D’où une spécialisation de plus en plus forte des domaines de recherche et donc des chercheurs. C’est ici qu’Heidegger voit le danger : la perte par les sciences de leur sol - ce qu’il nomme déracinement – qui est en réalité une perte de l’objet. Les sciences ne parleraient plus de ce qui est, de l’étant, mais seulement de comment est cet étant qui est. La transformation du savant en chercheur, un chercheur qui ne peut être tel que pour autant qu'il prenne sa place dans une organisation, une institution. 3

- en appréhendant le réel comme objet, l'homme se constitue en même temps en tant que sujet. Et l'homme devient le centre de référence de l'étant en tant que tel. On est ici à l'opposé du monde grec où l'homme, au contraire ne peut que tenter de rassembler ce qui de l'étant se présente en même temps que se cache ; mais aussi du monde médiéval où l'homme n'occupe jamais qu'un grade dans cet étant créé par Dieu, à quoi il lui faut se soumettre. Ici, et cette modernité commence avec Descartes, c'est l'homme qui est mesure, et il tire sa liberté aussi bien que la certitude qu'il est, de lui-même; ainsi la forme moderne de l'étant est-elle ce sujet pensant et se représentant lui-même. C'est ici que commence l'humanisme entendu comme

interprétation philosophique de l'homme qui explique et évalue la totalité de l'étant à partir de l'homme et en direction de l'homme 4

Ce qui est en jeu ici c'est l'exacte coïncidence, la correspondance entre la technique déterminée planétairement et l'homme moderne où justement Heidegger voyait la grandeur du mouvement nazi : entre la technique moderne qui suppose la réquisition du réel comme stock, la science moderne et l'homme mesure de tonte chose. Plus le monde apparaît comme disponible, comme monde conquis, plus le sujet s'affirme péremptoirement en traduisant toute théorie du monde en anthropologie, en théorie de l'homme, en Weltanschauung. Et c'est là, à ce moment précis, que se pose pour lui la question de savoir s'il veut être un Je arbitraire et vain, ou le Nous d'une société.

Où l'on retrouve la question de la valeur !

Tout a l'air de se passer comme si le monde n'était plus concevable pour l'homme que comme une mise à disposition et force est de constater que semble presque inconcevable que ce monde puisse résister ou regimber. Ce monde ne vaut que mis à disposition.

 

 

 

 

 

 

 


1) Heidegger :

Introduction à la métaphysique

Chemins qui ne mènent nulle part : L'époque des conceptions du monde

Rappelons que les six textes composant cet ouvrage ont été tous écrits entre 1934 et 1946 soit après l'épisode du Rectorat et durant donc toute la période nazie.

2) que l'on peut résumer au nombre de trois :

- que le réel soit rationnel c'est-à-dire quantifiable

- que la quantification du réel en épuise toute les déterminations et ne laisse pas, en dehors, des spécificités qui la rendraient fausse.

- que le réel obéisse aux mêmes règles que celles logiques, canoniques de ma pensée ( en particulier les trois principes d'identité, de contradiction et de tiers exclu) c'est-à-dire que non seulement il soit rationnel mais qu'en outre il ne soit que rationnel.

On sait que c'est ce qui fit Einstein s'excamer un jour : ce qu'il y a d'incompréhensible dans le monde c'est que justement il soit compréhensible.

Coïncidence qu'un Descartes pouvait encore justifier par Dieu, par le truchement de l'hypothèse a contrario du Malin Génie mais coïncidence qui s'effondre autrement.

3) p 112-113

C'est pourquoi une recherche historique ou archéologique pratiquée en institut est essentiellement plus proche de la recherche physique organisée selon le même principe que de n'importe quelle discipline de sa propre Faculté littéraire qui en serait restée au stade de la pure érudition. Le déploiement décisif de ce caractère moderne de la science forge ainsi un autre type d'homme. Le savant disparaît. Il est relayé par le chercheur engagé dans des programmes de recherches. Ce sont en effet ceux-ci et non pas l'entretien d'une érudition qui donne à son travail son 'atmosphère acérée. Le chercheur n'a plus besoin chez lui de bibliothèque. Il est d'ailleurs constamment en route : il délibère d'ailleurs dans les sessions et se forme dans les congrès. Il se lit en outre aux commandes des éditeurs, ces derniers ayant maintenant leur mot à dire au sujet des livres à écrire ou à ne pas écrire.

 

4) p 122

On relira ceci sur la crise des sciences et en particulier sur la fameuse formule la science ne pense pas

 

 


 

 

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