palimpseste Chroniques

Juillet 1969

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C'était il y a trente trois ans .... et cela revient dans l'actualité parce qu'Armstrong vient de mourir. C'était il y a trente trois ans et la France entière demeura éveillée, attendant que l'incroyable se produise ... et il s'est produit si tard dans la nuit. Peu avant trois heures du matin !

Je me souviens de ces dialogues si placides entre Houston et la Lune, au ton dénué de toute passion, où l'on chercherait en vain la moindre once d'excitation, au ton si monocorde, auquel je crois bien d'ailleurs n'avoir pas compris grand chose tant mon anglais était aléatoire ; je me souviens de cette délicieuse friture qui faisait le fond des échanges, ainsi que de ces bips qui ponctuaient chacune des interventions ; de ces images encore, en noir et blanc, si peu stables, qui se déformaient avec la régularité d'une horloge, de ces images d'un autre temps, en noir et blanc à cette époque où nul n'avait la couleur, de ces images à qui l'on pardonnait tout parce qu'elles avaient parcouru, sans qu'on sache comment, de telles distances ; de ces images où le blanc le cédait si facilement au noir qu'elles prêtèrent volontiers le flanc à l'imagination autant qu'à l'émerveillement ; de ces images enfin où l'on discernait plus qu'on ne voyait ... mais de ces images qui transfigurèrent le geste si simple d'un homme descendant une échelle ... en une épopée héroïque.

Je me souviens encore de cette image de l'homme revêtu de sa combinaison spatiale qui le faisait si peu ressembler à un homme et tellement aux bandes dessinées de notre enfance. Qu'avions nous rêvé sur les mésaventures de ce pauvre capitaine embarqué contre son gré, sur l'intrépidité du jeune reporter ou même sur la si drôle surdité de ce savant un peu foldinge mais si amusant sans nous demander jamais si cela était possible ou même seulement souhaitable ? Et voici qu'à la traîne de la fiction, tout à coup la télévision nous offrait le spectacle même de notre sortie de l'enfance et l'illusion - non forcément que tout fût possible mais qu'au moins d'entre nos rêves et la vie qu'il allait nous falloir mordre, s'insinuait un fil d'Ariane qui, sans solution de continuité allait nous permettre de grandir sans rien trahir.

Au fond c'était bien la jeunesse qui nous était offerte là, l'adolescence d'une humanité qui nous ressemblait tant, ivre d'en finir avec le monde ancien des préjugés étriqués, des traditions engoncées et des frilosités apeurées, enthousiaste à l'idée d'inventer une modernité, où la science avait sa part, mais les grands idéaux politiques de justice aussi, une modernité à quoi pas grand chose ne semblait interdit, que rien ne semblait devoir endiguer.

Symbole à sa façon de ces Trente Glorieuses qui allaient bientôt s'achever sans qu'on pût seulement le deviner, ni l'imaginer, qui ne manquèrent ni de candeur ni de grandeur, mais qui avaient simplement oublié combien la part tragique de l'histoire demeure si rarement incrustée de pépites heureuses ; et cru, oui, que les progrès scientifiques et techniques si vertigineux relégueraient bientôt au magasin des horreurs antiques ce passé si récent que nous désapprenions de vouloir regarder en face. Nous aurons bien du réapprendre, depuis, que nos civilisations étaient mortelles et combien ce réel n'avait pas pour rien mérité son nom d'objet, tant non seulement il résistait mais allait bientôt se retourner contre nous.

Je me souviens, oui, de ce casque oui qui ne laissait rien entrevoir du visage ou des yeux mais se contentait de réfléchir l'alentour comme si l'homme dans cette histoire n'avait aucune importance, ou que ceci le dépassât, ou qu'encore, en dépit même cette sensation étrange de participer à un événement historique que pour rien au monde on eût voulu manquer, la fiction, encore une fois, finirait par damer le pion au réel en corroborant le mythe de Prométhée, d'une machine si fiable qu'elle se passerait bientôt de nous. M Shelley l'avait écrit, Kubrick l'avait filmé mais notre modernité nous l'impose : oui Prométhée est bien enchaîné ; nos rêves tournent au cauchemar comme si nous avions enfreint l'interdit majeur, dépassé une limite que nous aurions du reconnaître, ou blasphémé qui ne se peut nommer. La boîte a été ouverte dit le Mythe, n'y demeure que l'espérance - désormais hors d'atteinte.

Nous nous étions inventé de nouvelles frontières et, après tout, l'humain ne se forge-t-il pas ainsi à repousser les limites et nier ce qui l'étreint. Nous n'avions pas prévu, nous n'avons pas voulu nous souvenir, nous avons cru pouvoir braver ce petit grain de sable de notre histoire tragique : combien cette frontière ouverte se refermait ailleurs, et qu'à nier ainsi la planche sur quoi nous étions assis, nous ne ferions que précipiter cet instant étrange, cette circonstance où tout tournoie autour de nous avec ce vertige même des nuées orageuses et des ciels menaçants qui signent les grandes catastrophes antiques, où le maximum de pouvoir s'écroule en impuissance majeure et où plus rien ne se peut dire tant nous cessons d'avoir prise sur les choses.

Le bras, les gestes de l'astronaute étaient gourds, engoncés qu'ils furent dans l'épaisseur de la tunique spatiale. Nous aurions du le remarquer ; nous n'y vîmes que la promesse d'une technique qui s'inventerait demain d'autres souplesses. Nous aurions du voir dans ces espaces atones, stériles et poussiéreux, moins le miracle de la performance, que la menace de notre avenir . Comme si nous ne parvenions jamais qu'à conquérir des terres arides et épuisées ou, pire, que nos conquêtes même contribuassent à les définitivement stériliser.

Des premières dans l'histoire de l'humanité ce n'est pas si fréquent et ceci en était une. Je ne suis pas certain que ceci ait changé grand chose à notre histoire sinon dessiner cet instant, où l'illusion de puissance est maximale ; juste avant le grand retournement.

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Dans le Monde, Sirius s'étonnait déjà et se demandait oui mais pourquoi ?

On se souvient que Kennedy en avait fait une des formes du challenge entre les USA et l'URSS tant avait été grande l'humiliation d'avoir du laisser aux soviétiques le privilège du premier vol spatial habité. Il en avait fait une de ces nouvelles frontières que la nation devait ouvrir et dépasser. Ce fut fait en une décennie et ce fut une autre manière, à l'américaine, de montrer ce qu'un pays jeune et entreprenant pouvait faire quand il s'en donnait les moyens et la volonté. A un moment où en Europe dominent d'incroyables vieillards (de Gaulle, Adenauer, Macmillan) il semblait tourner la page de l'après-guerre et préfigurer un nouveau genre de responsables politiques. (lire éditorial de JJSS en 63 ) .

Ce fut cela d'abord, le symbole d'une époque où tout semblait réussir, ni rien n'apparaître impossible ; où il suffisait de décider pour que cela réalise : symbole, oui, du sentiment de toute-puissance qu'eut cette période .... On sait ce qu'il advint : il fallut moins de dix années mais sans lui et la légende dorée de Kennedy s'est effritée depuis longtemps. Ce monde que l'on savait infini étalait devant nous sa dynamique mais ses espaces étaient stériles et ses promesses tellement silencieuses. La planète bleue apparaissait pour ce qu'elle était : un ilot dont on ignorait encore combien il était fragile.

Il y a décidément toujours quelque chose de l'Attila dans le grand conquérant. Et de l'ὕϐρις.

Alors, non, ce n'est pas de la nostalgie ! juste de l'effroi devant ces espaces qui semblent se refermer à mesure qu'on a cru les ouvrir.

Restent ces images si belles de notre planète, si bleue, si prometteuse de vie, si isolée dans l'océan noir et silencieux ....

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraient

disait Pascal ....

 

Oui !

 

 

 

 

 

Des espaces stériles qui ressemblent tellement à celles que Mars nous donne à voir ces jours-ci :