Il y a un siècle....

Conseil des Quatre
28 Mars 1919

 

Le président Wilson : ) " Il n'y a pas de nation plus intelligente que la nation française. Si vous me laissez lui exposer franchement ma manière de voir, je n'ai pas peur de son jugement. Sans doute, s'ils voyaient que nous n'appliquons pas partout le même principe, les Français n'accepteraient pas une solution qui leur paraîtrait défavorable ; mais si nous leur montrons que nous faisons de notre mieux pour agir justement partout où se posent des problèmes analogues, le sentiment de justice qui est dans le coeur du peuple français se lèvera pour me répondre : "Vous avez raison". J'ai une si haute idée de l'esprit de la nation française que je crois qu'elle acceptera toujours un principe fondé sur la justice et appliqué avec égalité. L'annexion à la France de ces régions n'a pas de base historique suffisante. Une partie de ces territoires n'a été française que pendant vingt-deux ans ; le reste a été séparé de la France pendant plus de cent ans. La carte de l'Europe est couverte, je le sais, d'injustices anciennes que l'on ne peut pas toutes réparer. Ce qui est juste, c'est d'assurer à la France la compensation qui lui est due pour la perte de ses mines de houille, et de donner à l'ensemble de la région de la Sarre les garanties dont elle a besoin pour l'usage de son propre charbon. Si nous faisons cela, nous ferons tout ce que l'on peut nous demander raisonnablement."

 

 

 

 

 

Georges Clemenceau, chef du gouvernement français :

"Je prends acte des paroles et des excellentes intentions du Président Wilson. Il élimine le sentiment et le souvenir : c'est là que j'ai une réserve à faire sur ce qui vient d'être dit. Le Président des Etats-Unis méconnaît le fond de la nature humaine. Le fait de la guerre ne peut être oublié. L'Amérique n'a pas vu cette guerre de près pendant les trois premières années ; nous, pendant ce temps, nous avons perdu un million et demi d'hommes. Nous n'avons plus de main-d'oeuvre. Nos amis anglais, qui ont perdu moins que nous, mais assez pour avoir aussi beaucoup souffert, me comprendront. Nos épreuves ont créé dans ce pays un sentiment profond des réparations qui nous sont dues ; et il ne s'agit pas seulement de réparations matérielles : le besoin de réparations morales n'est pas moins grand. Les doctrines qui viennent d'être invoquées permettraient si elles étaient interprétées dans toute leur rigueur, de nous refuser aussi bien l'Alsace-Lorraine. En réalité, la Sarre et Landau * font partie de la Lorraine et de l'Alsace. Nos grands ennemis de 1815 contre qui nous nous étions battus pendant tant de siècles, les Anglais, ont insisté, après la chute de Napoléon, pour que la Prusse ne prenne pas le bassin de la Sarre. Un geste de générosité vis-à-vis d'un peuple qui a tant souffert ne serait pas perdu. C'est une erreur de croire que le monde est mené par des principes abstraits. Ceux-ci sont acceptés par certains partis, rejetés par d'autres je ne parle pas des doctrines surnaturelles, sur lesquelles je n'ai rien à dire ; mais j'estime qu'il n'existe pas de dogmes humains, il n'y a que des règles de justice et de bon sens. Vous cherchez à faire justice aux Allemands. Ne croyez pas qu'ils nous pardonneront jamais ; ils ne chercheront que l'occasion d'une revanche, rien ne détruira la rage de ceux qui ont voulu établir sur le monde leur domination et qui se sont crus si près de réussir."

 

 

 

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