Il y a un siècle....

Séance du 21 janvier 1921
Suite de la discussion de plusieurs interpellations
sur la politique générale du Gouvernement.

 

 

 

[…]

M. le Président. La parole est à M. le président du conseil.

M. le président du conseil, ministre des affaires étrangères. Messieurs, dans la situation grave où nous sommes, à l’heure où va s’engager pour de longues années, le destin de notre pays, je mentirais si, sentant les lourdes responsabilités qui pèsent sur moi, je vous disais que je ne suis pas ému.

Je viens vous donner ici les raisons que vous pourrez avoir ou de m’accorder votre confiance ou de me la refuser. Il faut qu’à l’instant où vous aurez à prendre la responsabilité du vote, vous puissiez vous déterminer en pleine connaissance de cause et en toute clarté. (Très bien ! très bien !)

Messieurs, dans le moment présent, le mieux qui pourrait arriver pour vous et pour le Gouvernement, ce serait que vous fussiez à même d’asseoir votre confiance en nous sur la base solide des actes avec leurs résultats. Malheureusement, je ne peux, pour l’instant, vous apporter que des paroles.

Je m’efforcerai de les faire aussi rapides et aussi directes que possible, sans préoccupation de ce qu’on est convenu d’appeler un discours.

Entre vous et nous, il faut qu’il soit bien entendu que le Gouvernement va à un but, qu’il se propose de vous déterminer, par des moyens qu’il vous indiquera et qu’alors, les sachant, si vous lui donnez votre confiance, ce soit une confiance entière, profonde et durable.

Demain, se réunira la conférence des alliés. Je peux dire que nos alliés et nous, nous nous rencontrerons dans une atmosphère de cordialité réelle et de confiance mutuelle, qui me paraît constituer une excellente condition de travail.

Je veux aller à cette réunion avec toute la dignité d’un premier ministre français, ayant la charge des affaires extérieures de son pays, qui n’oublie pas que ce pays s’appelle la France.

Le mandataire de la France a le droit de demander au Parlement sur lequel il entend s’appuyer, toute la liberté de négociations qui lui est indispensable. (Applaudissements à gauche et au centre.)

Il y a dans le débat qui va s’ouvrir une question de tact et de convenances à l’égard de nos alliés et je suis certain qu’il n’est dans l’esprit d’aucun de vous de lier les mains de votre Gouvernement à l’heure difficile des négociations.

Mais je trouve parfaitement légitime que, lorsque le Parlement a à donner sa confiance, dans des circonstances si graves pour tous, ce soit en connaissance suffisante de cause. Vous avez le droit, puisque demain vous serez appelés à prendre la responsabilité des ratifications, d’exiger de votre Gouvernement qu’il expose les directives dont il s’inspirera en se rendant à la conférence, le but qu’il y poursuivra, les moyens qu’il entend employer pour atteindre ce but.

Voilà, messieurs – je crois que nous sommes d’accord – les conditions et les limites dans lesquelles il convient que je fournisse mes explications. Elles seront, du reste, très suffisantes pour vous éclairer.

Les interpellateurs qui se sont succédé, hier, à cette tribune, ont fait porter leurs interventions sur plusieurs points : la crise ministérielle, son déroulement, les incidents qui l’on marquée, la composition du cabinet, la politique intérieure du Gouvernement, notamment au point de vue social, enfin sa politique extérieure et plus particulièrement – je vise ici le très beau discours qu’a prononcé M. Forgeot – l’attitude qu’il prendra à la conférence quant aux réparations.

Messieurs, il ne serait digne ni de vous ni de moi qu’un long débat s’instituât sur les considérations qui ont été apportées avec beaucoup d’humour, avec une ironie parfaitement agréable du reste, sur la crise, sur ses incidents et sur la composition du cabinet.

Une crise ministérielle – c’est la septième que j’ai l’honneur de dénouer (Sourires.) – une crise ministérielle se résout parmi des hommes. C’est dire qu’elle fait apparaître à sa surface beaucoup de sentiments nobles et généreux (Rires), mais je ne vous étonnerai pas si je vous dis qu’il peut se manifester aussi, de-ci de-là, quelques préoccupations ou quelques sentiments qui sont d’un ordre moins élevé. (Nouveaux rires.)

Mais, messieurs, le jour où les crises ministérielles ne seront plus ce qu’elles sont, quel bonheur pour ceux qui auront alors à les dénouer ! Ce jour-là, il y aura dans le peuple et dans ses représentants un degré d’éducation civique tel qu’on peut bien dire qu’il sera tout près de toucher à la perfection. Nous n’y sommes pas encore. (Rires et applaudissements.) Je le regrette, mais c’est ainsi.

Quant à la composition du cabinet, messieurs, je vous le dis tout net ; j’ai voulu, dans un large esprit d’union républicaine, dominé par des préoccupations de solidarité nationale, grouper autour de moi des hommes de bonne volonté, expérimentés, capables, au sein du Gouvernement, d’apporter leurs conseils utiles et de gérer d’une manière efficace leur département.

Mais il est une chose bien singulière ! Lorsqu’un homme est libre – un ministre, hélas ! ne l’est plus – c’est-à-dire quand il a la pleine et entière liberté de son mandat, quand il circule dans les couloirs ou qu’il siège dans l’Assemblée comme simple député, il est parfait. On le désigne pour les plus hauts emplois de l’Assemblée. Il est élu vice-président de la Chambre. Il est rapporteur général du budget soit à la Chambre, soit au Sénat. Il est président de la commission des affaires étrangères. Enfin, il possède toutes les qualités qui le désignent pour ces emplois éminents. Mais aussitôt qu’il apparaît avec un portefeuille sous le bras (Rires), il n’est plus, dans le ministère, comme le disait mon ami, mon collègue M. Forgeot, avec beaucoup d’esprit, qu’un ennemi.

N’est-ce pas, au fond, le sentiment auquel vous cédiez quand vous laissiez à entendre que les grands intérêts généraux du pays avaient été quelque peu sacrifiés à des considérations, du reste parfaitement touchantes, d’amitié. C’est à mon ami M. Guist’hau que vous vous en preniez…

Mais si M. Guist’hau est mon ami… - J’aime bien mes amis et je peux même dire, en ce qui concerne mes ennemis politiques, que je n’ai pas sur la conscience, vous entendez bien…

Sur divers bancs. C’est très vrai. (Très bien ! très bien !)

M. le président du conseil. …d’avoir abusé jamais contre eux du pouvoir. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche et à gauche.)

Si M. Guist’hau est mon ami, il a été maire d’une grande ville, Nantes, et il a montré comme tel les plus hautes qualités d’administrateur. (Applaudissements.) Il a été, il était hier, monsieur Forgeot, parmi ceux auxquels je faisais allusion tout à l’heure et dont on voulait bien reconnaître les mérites, puisqu’on l’a nommé président de la commission des colonies.

Il n’est donc pas étonnant qu’indépendamment de certaines considérations d’amitié – quand on peut les maintenir dans la politique, croyez-moi, il faut essayer de les maintenir… (Applaudissements.)

M. Hector Molinié. Voilà une très noble parole.

M. le président du conseil. …il n’est pas étonnant que l’idée me soit venue de lui confier un portefeuille.

Mon ami M. Barthou… (Interruptions.) Oh ! messieurs, j’ai le droit de m’expliquer. (Applaudissements – Parlez ! parlez !) Interpellé sur la composition de mon cabinet, dans le moment grave où nous sommes, je dois des explications sur tout et je les donnerai. (Nouveaux applaudissements.)

Mon ami M. Barthou, hier président de la commission des affaires étrangères, est au ministère de la guerre. On a cité un article, on a rappelé un discours sur les évènements russes. Je ne vois rien de très contradictoire entre l’attitude que va prendre le Gouvernement et ce qu’écrivait ou disait M. Barthou. Mais, monsieur Forgeot, vous le verrez quand vous serez au pouvoir, et vous y serez certainement (On rit), il n’y a pas, au sein du Gouvernement, que des individus auxquels on puisse faire grief de leurs idées personnelles en s’armant contre eux de leurs articles, de leurs discours – à ce point de vue là, que de reproches j’ai mérités (Rires) – il y a des hommes qui participent à la solidarité du Gouvernement.

Ce que vous avez devant vous, ce ne sont pas tels ou tels individus, c’est un Gouvernement qui s’est mis d’accord sur une politique déterminée, intérieure, sociale, extérieure, que je suis chargé de vous exposer.

Dans une autre partie de votre discours – et à ce propos j’admire comme vous avez un esprit intuitif et pourvu, ainsi que je l’ai dit en une autre occasion, d’antennes – vous avez exprimé, mais en comprenant qu’il ne fallait pas insister sur ce point, l’inquiétude qu’on peut concevoir à la veille d’un 1er mai qui sera révolutionnaire par le recours à la grève générale. Je dois dire au Parlement ce que je pense à cet égard.

Oui, je suis un homme qui a eu ses enthousiasmes de jeunesse ; mais je suis un homme qui a eu aussi les responsabilités du pouvoir, monsieur Forgeot. J’ai été six fois, et souvent dans des circonstances graves, à la tête du Gouvernement. Eh bien ! si certains angles ne s’étaient pas arrondis chez moi, c’est que je serais un piètre sire !

Je suis un peu comme ces frustres cailloux qui ont été longtemps roulés dans le fond du torrent. Ils n’ont pas gardé toutes leurs aspérités, mais ils n’ont pas tout perdu de leur substance première. Je n’ai pas davantage perdu tous les sentiments de ma jeunesse. Tout à l’heure, au point de vue social, très loyalement, car je veux être en accord avec la Chambre sur tous les points, je dirai en quoi et comment, sous l’influence des évènements, ils ont pu évoluer. Bien des routes vers la liberté se sont ouvertes, qui n’existaient pas.

Toute idée de violence, de désordre, dans les circonstances actuelles, serait folie.

Pourquoi la violence ? Pourquoi le désordre ? Pour aboutir à quoi ? Pour donner au monde du travail quel avantage, quelle amélioration ?

Ce que je puis déclarer, c’est que lorsque je me suis trouvé, à certaines heures graves, bien plus graves pour moi, bien plus cruelles que pour les autres, dans l’obligation de prendre, dans l’intérêt de mon pays que je voyais bien du haut de mes fonctions, des mesures pénibles, douloureuses, je les ai prises.

Demain, monsieur Forgeot, je le dis pour rassurer votre conscience, si mon pays était menacé par le moindre trouble, il me trouverait encore une fois à son service. (Applaudissements.)

Vous n’avez pas insisté sur ces faits et vous avez raison.

M. Pierre Forgeot. Avec quelles armes ?

M. le président du conseil. Monsieur Forgeot, vous avez parlé d’un statut assurant la continuité des services publics. Vous avez dit qu’un projet de loi avait été déposé. C’est celui que j’ai présenté en 1910. Si vous voulez chercher dans les archives de la Chambre, vous le retrouverez ; et, sans méconnaître le mérite de ceux qui ont déposé depuis un projet analogue, vous me permettrez d’en revendiquer une petite part, puisque j’ai eu l’occasion de prendre une initiative semblable.

Maintenant, j’arrive à un point capital du discours de notre collègue.

M. Forgeot a apporté ici, en ce qui concerne l’exécution du traité par l’Allemagne, une thèse. Je me méfie des thèses absolues (Très bien ! très bien !) ; je me méfie des mots. Je ne sais quel spirituel auteur dramatique a dit que les mots étaient comme des sacs et qu’ils prenaient la forme de ce qu’on y met. Je le crois et je pense que certains mots souvent ne sont mis en relief et ne s’aggravent que par les polémiques qui s’engagent autour.

Je n’ai, quant à moi, qu’un souci : servir pleinement l’intérêt de la France, au maximum. C’est la seule préoccupation qui pèse sur mon esprit.

Je suis sûr qu’en m’exprimant ainsi, je me trouve intimement, profondément d’accord avec le peuple français, qui n’en est pas à goûter les polémiques, qui veut des résultats, des réalités. (Applaudissements.)

On se sert des hommes politiques, on les jette les uns contre les autres, c’est le petit jeu de la vie publique. Mais je vous assure que les hommes publics, qui ont le souci de leurs responsabilités, de leur nom et de leur autorité, ne sont pas incités, dans le moment présent, à se mettre au service de leur pays par la recherche des honneurs. C’est une rude bataille à laquelle ils vont ; et, pour l’affronter, il faut autre chose que le goût du pouvoir, il faut aussi une certaine conscience.

Depuis deux ans on jette à ce pays – j’ai pu le faire comme les autres – des formules qui correspondent aux sentiments profonds de la nation, mais dont aujourd’hui elle ne peut plus se contenter.

On a dit : Après cette guerre, ce qui serait abominable, c’est que la victoire n’apportât pas à ceux qui l’ont remportée, eu égard aux conditions dans lesquelles ils avaient été attaqués, aux sacrifices qu’ils ont faits, au sang qu’ils ont versé, les satisfactions auxquelles ils ont droit. Ce serait la négation de toute justice et comme un défi à la morale si les auteurs de tous ces désastres pouvaient échapper à la sanction.

Est-ce que l’Allemagne, ayant attaqué le monde civilisé – car c’est le monde civilisé qui a été attaqué dans la personne de la Belgique et dans celle de la France, ensuite – est-ce que l’Allemagne ayant sur le passage de ses armées tout ravagé, tout détruit et voué à une misère momentanée les peuples qui ont dû subir son assaut pourra se retirer de cette catastrophe avec ses usines, avec son sol, avec ses mines intactes ? Est-ce que demain, par le fait même de la guerre, par les conditions du change, ayant obtenu pour ainsi dire un traité de Francfort à rebours qui livre à ses industries les marchés du monde, elle pourra édifier, sur l’injustice qu’elle a commise, et dans sa défaite, sa fortune devant la misère de ceux qu’elle avait attaqués ? Cela, jamais ! Ce n’est pas possible ! (Vifs applaudissements.)

Il y a deux ans que ce point de vue est arrivé à la lumière de l’opinion.

Et maintenant, après deux ans, le peuple dit : Quoi ! Va-t-on continuer à promener ces formules, généreuses, mais vagues, devant moi ? N’y aura-t-il pas enfin quelque réalité tangible ? Ne commencera-t-on pas à voir clair dans toutes ces affaires ? La sanction de la victoire ne commencera-t-elle pas à apparaître en quelques résultats effectifs ?

Le peuple français, qui sait qu’il a la force, et qui n’oublie pas de quelle manière, lorsqu’elle était de l’autre côté, en d’autres mains, on en a usé à son égard, en arrive à dire : Je ne comprends plus !

Eh bien, il faut qu’il comprenne ; il faut que le Parlement et le Gouvernement agissent d’accord, en étroite communion de vues et de confiance, pour lui donner la compréhension réelle de sa victoire par les résultats qu’elle lui apportera. (Très bien ! très bien !)

Messieurs, est-ce à dire que nous ayons l’intention systématique d’user de notre force contre l’Allemagne ? Non !

Nos ennemis mènent au dehors, contre nous, une campagne injustifiée à ce sujet. On dit : « Deux ans se sont passés, la France parle toujours de sa créance, de l’Allemagne qui ne veut pas payer. Mais quelle est cette créance ? » On insinue que si la France ne la fait pas connaître, c’est qu’ayant une armée, elle veut profiter d’un moment propice pour poursuivre des vues impérialistes.

Eh bien ! je proclame à la face du monde que ce n’est pas vrai. (Vifs applaudissements à gauche, au centre, et sur divers bancs à l’extrême gauche et à droite.)

La France n’a jamais plus mérité la confiance des autres pays et leur admiration que dans le moment présent. Quand on voit ce malheureux pays, qui a été foulé, qui a été meurtri, qui a été ravagé, qui a été pillé, qui a été couvert de sang, quand on le voit, malgré sa force, rester calme, discuter, prendre corps à corps les impossibilités qu’on lui indique, s’efforcer de ne rien faire d’irréparable, essayer de dissiper le malaise qui pèse sur le monde, de disperser les brouillards qui nous voilent encore la paix, quand on voit la France dans cette attitude après ce qu’elle a souffert, eh bien ! chapeau bas !

Elle le mérite. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)

Mais cette longue patience ne saurait être interprétée comme un signe de faiblesse. L’homme qui est à cette tribune, plus qu’aucun autre, tient à faire cette déclaration, pour qu’elle soit bien entendu.

Mes amis savent que je n’ai pas particulièrement le goût des manifestations violentes. Mes adversaires vont plus loin et, quand ils veulent m’atteindre profondément, eh bien ! avec des fleurs qui cachent quelques épines, ils disent : « Oui, c’est un homme faible, n’ayant pas beaucoup de caractère, sans fermeté, mais très souple – oh ! oui, très souple : c’est un diplomate ! » (On rit.)

Et ils continuent : « L’heure n’est peut-être pas de mettre entre ses mains débiles – très agréables, du reste, mais débiles ! – les destinées d’un grand pays comme la France. »

Sachez-le, mon cher collègue monsieur Forgeot…

M. Pierre Forgeot. Je n’ai rien dit de tel.

M. le président du conseil. …je ne confonds pas la violence avec l’autorité et la fermeté. Mais je me suis trouvé quelquefois en présence de circonstances graves, où il fallait prendre des responsabilités lourdes. Eh bien ! j’ai tout de même trouvé, sous le fond de cette souplesse invétérée (Sourires.) quelques qualités de fermeté. Elles n’ont pas duré longtemps, mais elles ont tout de même donné des résultats, et c’est l’essentiel. (On rit.)

Je m’efforcerai, si c’est nécessaire, de les retrouver encore (Très bien ! très bien !) et peut-être, malgré l’usage fréquent que j’ai dû en faire au pouvoir, en restera-t-il assez au service de mon pays. Si j’avais dû en faire au pouvoir, en restera-t-il assez au service de mon pays. Si j’avais personnellement le sentiment que je peux fléchir à ce point de vue, je m’en irais.

Je dois maintenant vous dire ce que je projette.

Je me proposer de faire effort sur nos alliés pour obtenir tout de suite des résultats dans les années prochaines, qui permettent à la France de ne pas être contrainte de s’imposer de nouveaux sacrifices fiscaux, pour payer des dettes que la victoire doit faire assumer à d’autres. (Très bien ! très bien !)

Quelle est notre position à la veille de la conférence ? Je vais vous la dire. Nous arriverons et nous disons : « Créanciers ! » Nous trouvons un débiteur qui répond : « débiteur insolvable », et qui plaide.

Eh, messieurs, je ne lui reproche pas : c’est tout à fait naturel. L’Allemagne essaye, ou de faire réduire sa dette, ou d’obtenir les délais les plus longs, ou même d’esquiver une partie de ses engagements. Toutes les impossibilités sont plaidées par elle.

« Nous avons, dit-elle, subi une dure guerre. Nous avons, nous aussi, dépensé beaucoup d’argent. Notre peuple a été réduit à un degré de misère physiologique qui lui a enlevé pour de longues années sa force productive. Si vous voulez que nous nous relevions et que nous vous payions, il faut nous demander ce que nous pouvons payer. Si vous nous imposez pendant un grand nombre d’années des paiements excessifs pour l’acquittement d’une créance démesurée, vous allez handicaper nos efforts, vous allez nous réduire à un état de servage qui fera que le peuple allemand, ou se révoltera, ne pouvant le supporter, ou, désespéré, ouvrira la porte à la ruine, avec ce qu’elle entraîne derrière elle. »

Je ne suis pas obligé de tenir ces raisonnements pour exacts.

M. Tisseyre. Nous devons être impitoyables. (Exclamations et mouvements divers.)

M. Léon Daudet. Très bien ! très bien ! (Exclamations ironiques à l’extrême gauche et à gauche.)

M. le président du conseil. Mon cher collègue, je vous en prie, laissez-moi finir mes explications avant de vous procurer le plaisir des interruptions.

M. le Président. Je demande le silence.

M. le président du conseil. J’indique les impossibilités que l’on dresse devant notre créance, devant nos droits. J’ai, moi-même, le droit de ne les accepter que sous bénéfice d’inventaire. Je n’admets pas qu’on nous oppose, qu’on oppose à la France ce que j’appellerai des impossibilités a priori. (Très bien ! très bien !) Je ne reconnaîtrai que des impossibilités dûment démontrées, et je vais vous dire dans quelle mesure.

M. Pierre Forgeot. Nous sommes d’accord.

M. le président du conseil. Si nous sommes d’accord, ce sera parfaitement heureux.

Je range en plusieurs catégories les impossibilités. Il y a des impossibilités absolues et de toujours : il faudra les prouver. Il y a des impossibilités du moment, qui pourront, demain, sous l’influence des faits, se transformer en possibilités nouvelles : je ne veux pas renoncer à l’avenir pour mon pays. Comprenez-vous ? Je vais m’expliquer plus à fond.

Ce qu’il y a de grave, si on se place du point de vue du forfait dont vous avez parlé – et je vous dirai franchement que le mot ne m’a pas paru suffisamment défini, je ne sais pas ce qu’il signifie – si l’on se place, pour mieux dire, du point de vue d’une transaction pour obtenir des avantages immédiats, on est au pire moment pour apprécier les facultés de l’Allemagne. (Très bien ! très bien !) Pourquoi ? Parce qu’elle sort de la guerre, parce qu’elle est au plus bas (Très bien ! très bien !), parce que les conditions du change pèsent sur toutes les appréciations. De sorte que si nous prenions un engagement absolu et définitif, qui ne consacrerait pas l’essentiel des droits de la France et qui ne lui réserverait pas l’avenir, nous ferions un marché de dupes. (Vifs applaudissements.)

Un membre au centre. Mais l’avenir ne vous appartient pas.

M. le président du conseil. Je sais, tout le monde sait – nous nous sommes déjà renseignés – que l’Allemagne a des facultés de production formidables,…

M. Jean Erlich. C’est indiscutable.

M. le président du conseil. …elle travaille à force…

M. le général de Curières de Castelnau. Parfaitement.

M. le président du conseil. …les stocks s’accumulent chez elle et comme son change lui ouvre, je le répète, les marchés du monde, il faut prévoir que, très vite, elle se relèvera. Et tant mieux !

MM. Léon Daudet et Lacotte. Comment ? « tant mieux » ?

M. Alexandre Varenne. Oui, si vous voulez être payés.

M. le président du conseil. Oui, tant mieux !

M. Henri Laniel. C’est évident.

M. le président du conseil. Messieurs, il faut s’entendre. Si vous n’admettez pas que le Gouvernement se place en face de cette solution : « Consacrer les droits de la France par des résultats combinés avec les possibilités, les facultés de paiement de l’Allemagne et sans renoncer à l’avenir…

M. Henri Laniel. Très bien !

M. le président du conseil. …si vous n’admettez pas cette solution, il n’y en a plus qu’une autre, et la voici : profiter de l’obscurité des choses et des impossibilités du résultat total pour recourir à des opérations de force qui nous replaceraient dans une atmosphère de guerre.

M. Léon Daudet. Pas du tout.

M. le président du conseil. Il faut que la Chambre le sache : en dehors de cette solution, il n’y en a pas d’autre. (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche, au centre et sur divers bancs à droite.)

M. Lacotte. Nous n’acceptons pas ce dilemme.

M. Léon Daudet. C’est la thèse allemande ! (Exclamations et bruit.)

M. le président. Vous répondrez, messieurs. Pour le moment, veuillez garder le silence.

M. Valude. Vous comprenez bien que la guerre ne gêne pas M. Daudet.

A droite. Le raisonnement est exact.

M. le président du conseil. Tant mieux ! J’en suis heureux…

M. Léon Daudet. C’est la thèse de l’ennemi. (Vives interruptions à l’extrême gauche et à gauche.)

M. le président. Veuillez permettre à M. le président du conseil de poursuivre.

M. le président du conseil. C’est entendu, messieurs, j’accepte que votre patriotisme voie, dans le premier ministre de votre pays, dans son ministre des affaires étrangères, un homme qui ira soutenir à la conférence la thèse de l’Allemagne. C’est entendu : je vous livre cette déclaration, servez-vous-en dans vos polémiques, mais je m’adresse, moi, au Parlement tout entier… (Applaudissements au centre, à gauche et à l’extrême gauche.)

M. Léon Daudet. Pensez un peu aux morts de la guerre ! (Vives exclamations.)

M. le président du conseil. …ce sont des polémiques sans danger et qui viennent se briser misérablement contre le profond bon sens de ce pays. (Applaudissements.)

M. Léon Daudet. Vous verrez cela ! (Exclamations ironiques à l’extrême gauche.)

M. le président du conseil. Ce n’est qu’à la dernière extrémité que nous pourrions recourir à la force.

Ce qui importe tout de suite et ce à quoi s’emploiera le Gouvernement français, en accord avec ses alliés, c’est qu’on sorte de l’imprécision des formules et qu’apparaisse la créance des alliés. Deux ans se sont passés depuis l’armistice. Il est temps. Ce qu’il faut ensuite, c’est qu’entre les alliés l’effort soit fait, à fond, pour obtenir le maximum de paiement.

Est-ce possible ?

Les impossibilités qu’on nous oppose seront vérifiées. On les contrôle en ce moment à certains points de vue, pour des délais.

De quel ordre peuvent être les exigences de la France ? La France les précisera devant ses alliés. Déjà elle a engagé sur ce point des conversations avec eux.

Messieurs, ne croyez pas que mes prédécesseurs aient négligé la cause qui était entre leurs mains. Déjà des résultats ont été obtenus.

Je suis un homme qui, lorsqu’il arrive au pouvoir, ne rompt pas ce qu’on appelle la solidarité ministérielle. (Applaudissements.)

Je ne suis pas de ceux qui pensent que lorsque les flots mouvants de la politique, après avoir amené un homme au plus haut, le jettent, le lendemain, au creux de la lame, les intérêts de la patrie doivent faire les frais de ces mouvements ? (Très bien ! très bien !)

Celui qui arrive au pouvoir doit dépouiller le vieil homme : il ne faut pas qu’il y arrive avec la pensée de faire exactement le contraire de ce qu’ont fait les autres, mais, au contraire, avec le désir de retenir ce qu’il y a de bon dans leur action. S’il fait quelque chose de bien, il laissera aux évènements le soin de consacrer son mérite. (Applaudissements.)

C’est dans ces conditions que je m’expliquerai avec nos alliés. C’est après avoir ouvert les dossiers, après avoir recherché ce qu’on a dit, les engagements qu’on a pu prendre et quelle part de liberté reste dans les négociations, c’est avec l’intention de me mouvoir, dans tout cela, au mieux des intérêts de la France, que j’irai à la conférence.

Je crois qu’il y a devant nous un large champ de liberté et je suis sûr que nous pouvons arriver à des résultats précis, immédiats. Nous ferons tous nos efforts pour les obtenir aussi étendus que possible.

Dans le monde – c’est un fait, messieurs – il y a des nations qui n’ont pas souffert au même degré que la France, mais qui ont des difficultés intérieures terribles, des crises de travail, et qui voudraient voir renaître au plus tôt l’activité économique du monde. Elles sentent que tant qu’on restera dans un malaise provenant de l’imprécision des choses, cette vie économique ne reprendra pas tout entière. Elles font valoir ces raisons, qui appelleront peut-être des sacrifices de certains, mais non sans entraîner aussi, par contre, des compensations. (Très bien ! très bien !)

Pour le moment, nous tenant dans les termes du traité de paix, nous dirons : le traité nous offre des facultés, des possibilités et des sanctions. On peut le discuter. On peut trouver qu’il est imparfait. On peut penser qu’en ce qui concerne la sécurité et les réparations, il aurait été possible de faire mieux. Mais, messieurs, ce traité, il est. Il représente quelque chose de positif, et, dans toutes les parties qui peuvent servir, il faut y recourir. Voilà mon point de vue.

Dans le traité de Versailles, il y a des choses intéressantes, il s’y trouve notamment un privilège pour la France, un privilège sur les dispositions du budget allemand. Nous avons le droit de vérifier si l’Allemagne a fait tous les efforts fiscaux qu’on exige du contribuable français (Très bien ! très bien !), si elle n’est pas à même de faire appel à de nouvelles possibilités de ressources. Nous avons aussi à vérifier si elle les emploie judicieusement, si, par des gaspillages apparents, elle ne dissimule pas une grande partie de ses ressources.

On nous assure que le chiffre des fonctionnaires, par exemple, qui, avant la guerre, était d’environ 500 000, aurait passé à 2 millions. Nous avons un droit de regard sur de tels faits et nous avons des exigences à émettre.

Les exportations de l’Allemagne – alors qu’il s’agit en particulier d’envisager la catégorie des paiements en nature – les exportations de l’Allemagne, qui peuvent l’amener à rétablir son change, lui ouvrir des facultés de paiement à notre profit, sont-elles ce qu’elles devraient être ? Est-ce qu’on ne pratique pas, en quelque sorte, sur certaines catégories de produits, de matières premières, un malthusianisme économique ? Fait-on produire aux mines de la Ruhr et aux autres mines tout ce qu’elles pourraient rendre, toutes les quantités à exporter que nous pouvons imposer à l’Allemagne ? C’est un point de vue que nous entendons bien faire valoir.

M. Marcel Habert. C’est très intéressant.

M. le président du conseil. Mais il y en a d’autres.

Si, financièrement, une considération de faillite pesait sur la situation, si l’on devait arriver, pour l’un des deux pays, à une telle extrémité, il serait scandaleux que ce ne fût pas la faillite de l’Allemagne. (Très bien ! très bien !)

Il y a, dans l’Etat allemand, une gêne comme dans les autres Etats qui ont subi la guerre, mais à un degré moindre, surtout si on le compare à la France. C’est que la France, en se donnant tout entière à la guerre, puisqu’elle était le champ de bataille de la liberté – on l’a dit ici, et de très haut – la France a été obligée de contracter des emprunts énormes à l’extérieur, tandis que l’Allemagne a vécu sur elle-même. Le coffre de l’Etat allemand s’est vidé, c’est entendu, mais les particuliers se sont enrichis et, quand on consulte les statistiques, quand on examine les conditions de travail de l’Allemagne – quel problème redoutable pour demain et c’est sur ce point qu’il faudra qu’un jour un débat soit institué – quand on constate les dividendes que de grandes firmes industrielles distribuent, on s’aperçoit que, déjà, la prospérité circule dans l’industrie allemande. (Très bien ! très bien !)

Alors se pose cette nouvelle question : est-ce qu’il n’y aura pas à imposer, entre le peuple allemand et son gouvernement momentanément gêné, le degré de solidarité nécessaire pour faire face aux engagements que l’Allemagne a signés ? (Applaudissements.) C’est un point de vue que nous développerons aussi.

M. le marquis de la Ferronays. Par quels moyens ? Tout est là.

M. le président du conseil. Par quels moyens ? D’abord par les explications que je donnerai à nos alliés.

M. de Baudry d’Asson. En dehors de la force, vous n’avez aucun moyen.

M. le président du conseil. Nous allons y venir, à la force. Permettez-moi de poursuivre mon exposé. Je veux, moi, raisonner, avant de frapper. (Applaudissements.)

M. Lacotte. Voilà deux ans qu’on raisonne.

M. le président du conseil. Quand un pays sort d’une guerre terrible comme celle que le nôtre a gagnée, et qui a laissé tant de sang et de deuils, laissez-moi vous dire que son gouvernement serait singulièrement léger s’il n’épuisait pas tous les moyens de conciliation avant de recourir à la force. (Vifs applaudissements sur un très grand nombre de bancs.)

M. le marquis de la Ferronays. D’accord ! Mais il n’y a pas que la force, il y a d’autres moyens.

M. le président du conseil. Nous y viendrons tout à l’heure.

Vous pourriez permettre au ministre des affaires étrangères de votre pays de s’expliquer librement.

M. Léon Daudet. Il n’est pas sacré, le ministre des affaires étrangères.

M. le président du conseil. Non, il n’est pas sacré, mais il a le droit de parler librement, et vous l’attaquez, chaque jour, avec assez de brutalité pour lui laisser la liberté de s’expliquer à la tribune. (Applaudissements.)

M. Léon Daudet. Ce sont des paroles vaines.

M. le président du conseil. Vous verrez demain si elles sont vaines.

Ce sont ces raisonnements que nous ferons valoir devant nos alliés. Ils valent ce qu’ils valent. Si la Chambre trouve qu’ils ne lui donnent pas satisfaction, elle le dira. Je lui indique les conditions dans lesquelles j’entends engager la conversation avec nos alliés.

A l’heure actuelle, du reste, messieurs, les dernières discussions qui se sont déroulées devant la Chambre sont dépassées par les faits.

Il y a des tractations.

On a publié dans les journaux des notes indiquant qu’en Allemagne, pour un paiement immédiat, on poserait des conditions aux alliés. Cela n’est pas vrai. Les alliés n’ont accepté aucune condition de l’Allemagne.

Les alliés ont voulu des précisions. Ils ont entrepris une enquête sur les ressources de l’Allemagne et ses possibilités de paiement. Les éléments de cette enquête ne sont pas tous rassemblés, mais vous voudrez bien le reconnaître, ce sera tout de même, quand nous les aurons, un moyen pour nous de faire valoir les arguments que j’énonçais tout à l’heure.

Quand nous aurons constaté, au moyen de ces enquêtes, qu’il y a, de la part de l’Allemagne, dissimulation de certaines de ses facultés de paiement, nous ferons en sorte qu’aucune ne soit plus cachée et que, tout de suite, dans les années qui viennent, ces facultés de paiement s’exercent à notre profit.

Certains d’entre vous sont sceptiques sur les résultats. Il est possible que vous ayez raison. Le jour où le Gouvernement, ayant fait ses efforts, viendra à vous les mains vides, vous le renverserez.

M. Lacotte. Il sera trop tard.

M. le président du conseil. En tout cas, de quelque manière que vous envisagiez le service des intérêts de la France, il est indéniable pour tout esprit sérieux que nous ne saurions rien faire d’efficace, même dans l’emploi de la force, sans nous être préalablement mis d’accord avec nos alliés. Rien, même, ne serait plus périlleux que d’agir sans cette entente. (Très bien ! très bien !)

C’est ici le point le plus délicat de mes explications. Lorsque j’ai eu l’honneur, pendant la guerre, d’assumer la lourde charge du pouvoir, j’ai constaté très vite que la dispersion des efforts alliés faisait la principale force de l’Allemagne.

Les alliés étaient à la périphérie, l’Allemagne se trouvait au centre, avec des voies de chemins de fer combinées dès longtemps en vue de la guerre ; il lui était possible de se mouvoir facilement et, profitant de ce que ses ennemis étaient dispersés, elle se portait sur un point qu’elle essayait d’écraser, puis sur un autre, puis sur un troisième.

J’ai pensé tout de suite que, si l’on n’établissait pas, entre les alliés, l’unité d’action sur un front unique, nous perdrions la guerre. J’ai eu la chance d’obtenir qu’à la conférence de Paris un organe central fût créé. A partir de ce moment, la coordination des efforts a produit ses résultats : ce fut tout de suite Verdun dégagé, la victoire de la Somme. Ce furent, en Arménie, Erzeroum, Trébizonde pris par les armées russes. Ce furent Kut-el-Amara réparé, Bagdad pris ; sur le front de Salonique, Florina, Monastir ; sur le front italien, Goritza, et sur le front de Galicie, la réussite de Broussiloff. Voilà des faits, messieurs.

Eh bien, je considère que si, sur le front de la paix, on n’établit pas la même unité d’action, on ouvre à l’Allemagne toutes les possibilités d’échapper, sinon à la totalité, au moins à une grande partie de sa dette, et mon premier effort est pour rétablir sur ce front une unité d’action.

Je suis convaincu que nos alliés comprendront ce raisonnement, qu’ils sentiront cette nécessité et qu’ils se mettront d’accord avec nous sur tous les points.

L’avantage des précisions, c’est que, lorsque la créance aura été chiffrée, lorsque les facultés de l’Allemagne seront établies, lorsqu’on aura, pour les années qui viennent, fixé les versements, il y aura des sanctions préalablement arrêtées et que la France pourra appliquer en plein accord avec ses alliés. Alors – je dis cela pour l’Allemagne – le jour où, ces fixations déterminées entre les alliés, elle voudrait tenter de se dérober à l’exécution de ses devoirs, elle ne pourra pas échapper à la contrainte. (Vifs applaudissement.)

Pour bien comprendre ce qui se passerait demain, que l’Allemagne se dise donc : « A la place de la France, en une telle circonstance, qu’est-ce que nous, ayant la force, nous ferions, si nous rencontrions la mauvaise foi de notre débiteur ? » Cette mauvaise foi, aucun pays ne la pourrait supporter, ni l’Angleterre, ni l’Amérique, ni personne. (Très bien ! très bien !)

Voilà mon point de vue sur les conditions dans lesquelles, en ce qui concerne les réparations, j’aurai à me présenter devant la conférence.

Voici maintenant mon point de vue à propos de la sécurité, qui est une question vitale. Le traité, pour la donner à la France, on nous l’a dit, avait considéré que des alliances avec de grands peuples, comme l’Amérique et l’Angleterre, étaient une force plus grande que la limite des fleuves ou des montagnes.

Nous ferons tout pour faire comprendre à nos amis et à nos alliés qu’il est de leur intérêt, de l’intérêt de la paix, d’une paix durable, d’une paix solide, autant que possible définitive, de ne pas nous laisser seuls, en tête à tête, avec l’agresseur d’hier, qui peut avoir demain des arrière-pensées d’agression. Nous leur dirons cela avec force. Mais, si nous restons seuls, aucun d’eux ne saurait nous reprocher de prendre toutes les garanties possibles (Très bien ! très bien !) ; aucun d’eux ne pourrait nous faire grief d’avoir constamment les yeux tournés vers notre frontière avec la volonté de garder assez de force pour faire obstacle à une agression nouvelle, si on voulait la tenter.

Il est d’autres points de vue que je ne puis exposer dans cette discussion – car il y a des détails que vous ne me demanderez pas. Aucun de vous n’accepterait en sollicitant la confiance de ses électeurs le mandat étroit et impératif qui lierait son esprit et qui lui enlèverait son indépendance.

A plus forte raison pouvez-vous comprendre que le ministre des affaires étrangères de la France ait, en vue des négociations, une liberté que je vous demande de vouloir bien lui laisser.

J’arrive maintenant à d’autres questions.

La déclaration ministérielle a été ce que sont toutes les déclarations. Il ne peut pas en être autrement. Ou bien elles sont trop courtes, et présentant une synthèse rapide de la situation, elles vont très vite à la conclusion. C’est du reste, ce qu’il y a de meilleur pour un président du conseil, car il évite des interruptions, des ironies toujours faciles, et il est plus tôt déchargé d’une tâche qui n’est pas précisément agréable. (Sourires.) Mais alors, on lui dit : Gouvernement sans programme !

Si, au contraire, le Gouvernement apporte un programme détaillé, traitant des principaux problèmes, il est tenu à une énumération. Il indique l’idée essentielle de la réforme qu’il a en vue. Mais alors on lui objecte, comme l’a fait hier M. Laudier : « Vous n’avez pas envisagé des questions qui sont de premier ordre, des questions d’hygiène ouvrière et de prévoyance sociale… »

Si j’avais fait pour toutes les réformes une énumération détaillée, vous, messieurs, qui, hier, me paraissiez déjà trouver que j’abusais un peu de votre attention, quels reproches n’auriez-vous pas pu me faire !

C’est à la tribune que ces précisions doivent être données.

Je le dis tout de suite, j’arrive au Gouvernement ainsi que mes collaborateurs – nous sommes entièrement d’accord sur ce point, et je suis sûr que je trouverai dans la Chambre un sentiment identique – avec des idées de réformes sociales très étendues (Très bien ! très bien !), et dans une pleine et entière confiance envers les travailleurs de ce pays. Nous avons tenu à l’affirmer dans notre déclaration.

Messieurs, après la guerre, des soubresauts d’ordre social étaient inévitables dans tous les pays.

On s’est livré à des excès un peu partout. Néanmoins, on ne peut pas prétendre qu’il y ait eu, en France, des faits graves. D’une manière générale, le monde entier est tourné vers la France. Dans la tempête mondiale, la France apparaît comme un rocher, elle se manifeste comme un professeur d’ordre et ce n’est pas là un élément négligeable pour la force morale de notre pays. (Applaudissements.)

La guerre aux organisations syndicales ? Non, je ne la ferai pas ! (Vifs applaudissements à gauche, au centre, et sur divers bancs à droite.)

Il faut faire confiance aux travailleurs, il faut les appeler à envisager la réalité des choses. Il faut les inviter à réfléchir sur ce point qu’il n’y a pas, dans le trouble, dans le désordre, de réforme sociale possible, qui soit réelle et profonde (Très bien ! très bien !) ; il faut que le Gouvernement et le Parlement aient leur confiance et presque leur collaboration pour tenter certaines réformes hardies. (Très bien ! très bien !)

S’ils ont vraiment conscience de leurs intérêts – s’ils veulent sortir de certaines logomachies trop faciles – si, en dehors des réunions publiques, et dans la gestion de leurs syndicats, méditant sur les choses, se rendant compte des désastres qu’entraînent certains soubresauts violents, ils veulent comprendre que, dans un pays de démocratie comme la France, issu de la Révolution, ayant conquis sa liberté politique, ayant à régler le statut réel, c’est-à-dire le rapport des citoyens avec les richesses publiques, l’amélioration de la condition du travail, s’ils veulent bien comprendre que, dans un pays pareil, sous le drapeau de la République, il est tout de même possible de réaliser des progrès dans l’ordre social, alors amis, et la main dans la main. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Si tel est le point de vue des travailleurs de ce pays – et certaines délibérations de ces temps derniers indiquent que c’est de ce côté qu’on s’oriente – tout devient facile, le Gouvernement n’a plus à avoir recours à ces actes d’autorité douloureux, auxquels il ne peut se résigner qu’à la dernière extrémité. (Très bien ! très bien !)

Dans un pays comme la France, qui sort de la guerre, qui est troublé, qui est menacé de détresse financière, qui a besoin pour son commerce, pour son industrie de disposer de tous ces moyens d’action et spécialement de tous ses services publics, comment pourrait-on raisonnablement envisager que, sous l’influence d’un mécontentement passager, des citoyens auquel l’Etat a confié un mandat, une gestion puissent retourner contre l’Etat la force morale que leur donne cette confiance ? Ce n’est pas possible ; et si, par malheur, une pareille entreprise réussissait, elle aurait un caractère de subversion sociale qui entraînerait très vite ce pays de bon sens, de mesure et de tact à des réactions terribles, dont les ouvriers seraient les premiers otages. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Voilà les vues du Gouvernement en matière sociale.

On m’a demandé des déclarations précises. Je ne veux rien esquiver.

M. Ernest Lafont. On ne peut pas être plus précis.

M. André Berthon. Et la dissolution de la confédération générale du travail, monsieur le président du conseil ?

M. le président du conseil. Mon cher monsieur Lafont, je mets au défi un Gouvernement quelconque de prononcer ici des paroles que vous puissiez accepter. (Très bien ! très bien ! à gauche, au centre et à droite.)

M. Jean Erlich. Heureusement.

M. le président du conseil. Votre point de vue vous condamne à ne supporter aucun contact avec un Gouvernement bourgeois comme le mien. (Sourires.) Et le plus audacieux de ces Gouvernements devrait vous trouver réfractaire. Prenez garde ! Vous avez déjà pâli au soleil route de la Russie. (Rires et vifs applaudissements prolongés à gauche, au centre et à droite.)

Je parle ici pour les hommes qui représentent les travailleurs avec la volonté de participer à la vie parlementaire de ce pays. Je suis porté à croire et c’est, semble-t-il, le cas pour tous, hélas ! qu’ils subissent quelquefois de rudes pressions de l’extérieur. Au fond d’eux-mêmes, combien de fois ont-ils dû regretter, dans l’intérêt des travailleurs qu’ils aiment, de ne pouvoir disposer d’une liberté suffisante sans s’exposer à être taxés de modérantisme ou de bourgeoisisme. (Rires et applaudissements.) Mais si, grâce à la collaboration des Chambres et du Gouvernement, demain, à propos des habitations ouvrières, de l’hygiène ouvrière, de la prévoyance sociale, des assurances, de la participation aux bénéfices, non pas dans la forme simplement humanitaire ou philanthropique, mais dans des conditions plus effectives, les représentant des travailleurs viennent devant des ouvriers réunis pour la défense de leurs intérêts professionnels et leur disent : « Voilà des résultats », il se trouvera sans doute, car, là aussi, on subit des surenchères, pas toujours en vue des résultats, souvent en vue des élections. (Sourires), il se trouvera tout de même, parmi la masse, des travailleurs pour penser qu’entre la politique du tout ou rien et la politique des améliorations immédiates possibles…

A l’extrême gauche. Qui ne viennent jamais !

M. le président du conseil. …leur choix est tout fait.

Mais, messieurs, je conviens avec vous qu’il y a parmi les travailleurs un mysticisme généreux, avec lequel il faut compter. Vous avez parlé de la C.G.T. Messieurs, je vous en prie, ne poussons pas les choses au tragique. Dans cette affaire, qui a été traité hier à la tribune, vous montriez bien vous-mêmes que vous faisiez la part des circonstances et que vous ne vous sentiez pas sous la menace de mort. (Sourires.)

M. Laudier. Il y a un jugement.

M. le président du conseil. Je suis sûr que ; dans cette Chambre, qu’on essaie de représenter comme réactionnaire, qu’on essaie d’entraîner du reste de ce côté (la droite) – nous aurons à en parler tout à l’heure – il ne se trouverait peut-être pas cent voix pour approuver un gouvernement qui poursuivrait la destruction des organisations syndicales. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)

Les poursuites dont vous parliez tout à l’heure sont nées à un moment où vous voudrez bien admettre que le Gouvernement avait quelques raisons d’être troublé, comme l’était d’ailleurs le pays.

Ces poursuites ne sont pas destructrices, quelque résultat qu’elles apportent, de l’organisation syndicale ; elles sont indicatives. Pour le surplus, malgré mon très vif désir d’aller au fond des sujets qui m’ont été proposés hier, je suis en présence d’une affaire de justice. Il y a eu un jugement rendu.

M. André Berthon. Par ordre ! (Exclamations.)

M. le président du conseil. Monsieur Berthon, je ne puis vous permettre de tenir un pareil langage (Très bien ! très bien !)

M. André Berthon. Je répète que ce jugement a été rendu par ordre gouvernemental. (Nouvelles exclamations.)

M. le président. Vous n’avez pas le droit de parler ainsi de la justice de votre pays. (Applaudissements.)

M. le président du conseil. Monsieur Berthon, vous êtes du Palais. Vous connaissez la maison. Si vraiment, un gouvernement avait pu avoir le désir d’exercer une action sur la justice, avouez qu’il n’aurait peut-être pas conseillé de rendre le jugement tout de suite. Cela ne fait pas à un gouvernement une position si agréable. Cela l’expose à des explications qu’il ne peut même pas donner complètes tant que la justice n’a pas été totalement déchargée.

Non, il n’y a pas eu dans cette affaire d’intervention.

M. André Berthon. Ce sera un acquittement à la cour d’appel.

M. le président du conseil. En tout cas, je vous l’assure, vous avez à la tribune un homme qui ne se permettrait pas une intervention de ce genre.

M. Alexandre Varenne. Monsieur le président du conseil… (Interruptions au centre et à droite.)

M. le président. M. Varenne a la parole avec l’autorisation de l’orateur.

M. Alexandre Varenne. Je voulais vous demande, monsieur le président du conseil, s’il était exact que votre garde des sceaux avait pris pour chef de cabinet le magistrat qui a rédigé le réquisitoire contre la C.G.T. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs.)

M. le président du conseil. Je ne crois pas avoir à accepter une discussion sur les choix faits par mes collègues pour le personnel de leur cabinet.

Il reste à m’expliquer sur une partie de la déclaration que j’ai tenue, en accord étroit, unanime avec mes collègues, à y faire figurer.

C’est une formule enveloppée, ont dit certains. C’est celle qui annonce l’intention du Gouvernement de renouer les relations avec le Vatican. Cela n’est plus enveloppé, c’est net et précis. Je m’explique – et ici je réponds à l’honorable M. Forgeot ; – mon opinion sur le fond des choses est connue de longtemps, et lorsque j’avais l’honneur de rapporter la séparation des Eglises et de l’Etat, devant les Chambres, lorsque, comme ministre des cultes, j’avais a lourde charge de l’appliquer, j’ai toujours, à tous les moments – ce fut du reste la difficulté principale de la tâche – regretté qu’on n’ait pas pu, par des conversations, régler, en accord avec le Saint-Siège et la totalité du clergé français, un statut qui les concernait profondément ; j’ai dû, à ce moment-là, faire appel à mes propres moyens, prendre certains contacts auprès de représentants qualifiés de toutes les religions, de manière à ne rien commettre qui fût attentatoire à la liberté des croyances. Ce fut mon point de vue pendant toute la discussion, mais – ceux qui l’ont suivie se la rappellent – c’est dans un esprit très large et libéral que je me suis efforcé d’organiser la réforme. Il n’en est pas moins vrai que si elle n’a pas été acceptée dans ses parties essentielles, le statut qu’à la suite on a fait voter a tout de même permis aux cultes de s’exercer partout librement ; les consciences n’ont pas été atteintes par l’impossibilité du culte. Voilà la situation.

Du point de vue extérieur, pendant la guerre – j’ai tenu à le dire à la Chambre – j’ai été à même de me rendre compte qu’il pouvait y avoir des moments où une intervention auprès du Saint-Siège était susceptible d’amener des résultats favorables à mon pays. Je n’ai pas hésité et je dois dire que le but que je poursuivais a été atteint.

Mais, messieurs, c’était la petite porte. J’aurais préféré passer par l’escalier d’honneur.

Ayant constaté depuis que la situation s’aggravait du fait de la rentrée, dans le giron maternel, de l’Alsace et de la Lorraine, avec leurs convictions, avec leurs croyances, avec leurs susceptibilités légitimes à cet égard (Applaudissements), après tout ce qui leur a été promis, m’étant rendu compte que, pour des nominations d’évêques et pour d’autres questions concernant le culte, il était impossible de n’avoir pas des contacts avec le Saint-Siège, ma conviction s’est trouvée renforcée, et j’ai considéré que sa représentation était indispensable.

Elle est indispensable du point de vue des affaires extérieures.

Je vais vous expliquer comment je la comprends. Mais avant, je veux répondre à M. Forgeot qui m’a dit : « Vous avez tenté d’obtenir un ajournement mesquin. » Pas du tout. Si j’avais tenté de provoquer un ajournement uniquement pour le plaisir, sans une pensée politique, je n’aurais pas déclaré, pour renseigner la Chambre, mes intentions sur le fond des choses.

J’estimais – et à la commission du Sénat, de très bons esprits catholiques l’ont compris pour moi – que si, avant les élections sénatoriales, ce grave problème était abordé, comme on se trouverait, ainsi que les faits l’ont démontré, dans l’impossibilité d’aboutir au vote complet de la loi avant les élections, il arriverait que cette question, qui devait rester au-dessus des discussions irritantes, serait portée sur la place publique, lancée dans la période électorale… (Mouvements divers.)

Divers membres. Elle l’a été.

M. le président du conseil. …et que forcément elle ouvrirait de nouvelles possibilités de querelles religieuses dans ce pays. (Mouvements divers.)

C’est ce qu’il faut éviter à tout prix. (Applaudissements.)

Je le dis bien haut, ce projet, je le soutiendrai devant le Sénat et vigoureusement. Je ne dis rien au-delà.

M. Forgeot, qui a un talent admirable et une grande aisance pour expliquer les choses, s’embarrasse si peu des difficultés d’une telle discussion qu’il en est venu à dire : « Vous allez prendre devant la Chambre l’engagement de poser la question de confiance devant la haute Assemblée ».

Non, messieurs. D’assemblées à Assemblée, ce sont des choses qui ne se font pas. On ne décide pas dans une Assemblée ce que le Gouvernement fera dans l’autre.

Je ferai ce qui sera nécessaire pour aboutir. Voilà ce que je dis à la Chambre. Mais, ici, il faut s’expliquer.

Nous sommes, c’est bien entendu, dans le domaine de la politique extérieure.

J’ai vu poindre à la tribune une thèse, éloquemment soutenue, mais sur laquelle il faudra que la Chambre se prononce.

M. Forgeot, sortant du domaine de la politique extérieure, nous a fait du catholicisme un éloge auquel je souscris de tout mon cœur.

Le catholicisme dans ce pays – je l’ai dit souvent à la tribune – a été mêlé étroitement à toute l’histoire de la France et il est bien des pages glorieuses qui sont à son actif.

M. Bovier-Lapierre. Voltaire et Rousseau aussi ont contribué à la grandeur de la France.

M. le président du conseil. Il a été mêlé à notre histoire ; mais même sous la monarchie, quand il s’est agi de l’action de la France à l’extérieur, il y a eu souvent des libertés de prises à son égard. En tout cas, la France d’aujourd’hui, c’est la France de tous les Français, quelque religion qu’ils pratiquent et même si, comme M. Forgeot, ils n’en pratiquent aucune. (Très bien ! très bien ! – Mouvements divers.)

Quand le Gouvernement, qui représente la France, parle à l’extérieur, ce n’est pas au nom d’une catégorie de citoyens, ni d’une croyance, c’est au nom de la France tout entière (Applaudissements à gauche), avec ses traditions, c’est au nom de la France de la Révolution qui a fait son prestige dans le monde, prestige auquel je ne consentirai jamais à renoncer, car il est un des éléments essentiels de sa force de rayonnement sur le monde.

Eh bien ! messieurs, adopter le point de vue qu’on nous indiquait ici, le catholicisme devenant le véhicule de la politique extérieure de notre pays dans le monde, jamais ! (Vifs applaudissements.)

Non, il ne faut pas qu’il puisse y avoir d’erreur sur ce point. Le catholicisme a le droit d’exiger du Gouvernement français que ses croyances, que la pratique de la religion catholique soient respectées et même sauvegardées en France. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)

Sur ce point il ne peut pas y avoir de doute. Mais demander à devenir le canal de tous les intérêts… (Dénégations au centre et à droite.)

M. Paul Gay. Ce n’est pas exact !

M. le président du conseil. Ah, messieurs, tant mieux ! (Applaudissements à gauche.)

Permettez ! Je comprends maintenant ! Hier, lorsque des applaudissements enthousiastes appuyaient cette doctrine de M. Forgeot…

M. Paul Gay. M. Forgeot n’a pas dit cela!

M. le président du conseil. …j’avais le droit de savoir si les applaudissements allaient au talent ou à la thèse. (Applaudissements à gauche.)

Ce soir, vous avez entendu la mienne, et vos votes le diront.

M. Moutet. C’est d’ailleurs aussi un point de vue de politique intérieure.

M. le président du conseil. Au point de vue de la politique intérieure, la déclaration vous dit vos vues. Nous voulons garantir les citoyens contre tout ce qu’on peut appeler des représailles d’ordre politique.

Je peux le dire facilement – j’ai entrepris cette politique à une heure difficile, où les passions étaient vives, avec des majorités qui sortaient de la bataille, c’est entendu, mais vis-à-vis desquelles on n’avait pas été tendre.

Il ne faudrait pas que le désir de liberté cachât une arrière-pensée de voir le bâton changer de main. (Applaudissements à gauche.) Il ne faut pas de bâton du tout. (Vifs applaudissements.)

Au centre. Nous sommes d’accord.

M. le président du conseil. Il faut un Gouvernement républicain. Notre Gouvernement est un Gouvernement républicain qui gouverne dans la République, pour la France, et qui assure à tous les citoyens le bon traitement de l’administration française et la certitude qu’ils ne peuvent pas être persécutés pour leurs croyances ou leurs opinions.

Pour le surplus, le meilleur moyen pour un gouvernement républicain de leur faire aimer la République, c’est d’apporter devant le pays des actes tellement éclatants par leurs résultats pour les citoyens que leur amour pour le régime s’en augmente.

Voilà ma thèse au point de vue politique.

J’ajoute ceci en terminant : on a beaucoup parlé de la composition de cette Chambre, des conditions de sa naissance à la vie publique les uns pour dire qu’elle était à droite, d’autres pour dire qu’elle était peut-être à gauche. (Mouvements divers.)

M. Pasqual. Oh non !

M. le président du conseil. Je vous en prie, il ne faut pas prononcer de jugement anticipé. (Sourires.) Moi, je crois que beaucoup de nos collègues nouveaux à la politique et sortant de la guerre sont allés à la bataille avec surtout des idées de solidarité nationale (Très bien ! très bien !), le sentiment que la première chose à faire c’était d’appliquer son effort à retirer pour la France le bénéfice de sa victoire (Très bien ! très bien !) et à veiller sur l’avenir.

C’étaient des sentiments qui s’expliquaient très bien, et, du reste, ils ont rapproché des hommes de tous les partis.

Mais vous sentez bien qu’au fur et à mesure que vous vous enfoncez dans les nécessités de la vie publique, vous êtes appelés à faire figure d’hommes politiques ; vous ne pourrez pas vous présenter devant le pays toujours avec de vagues formules, il vous faudra des programmes, il faudra vous rattacher à une conception politique. Cela n’exclut pas la possibilité, aux heures troubles, de vous unir avec tous les autres citoyens de ce pays au service de la patrie.

Il ne faut pas que les luttes politiques prennent un tel caractère fratricide que, dans les heures douloureuses, il ne soit plus possible, ensuite, de se rejoindre autour de la France. Mais c’est l’honneur d’un pays d’avoir une politique, et c’est l’honneur des représentants de ce pays de prendre nettement la responsabilité d’en avoir une.

Eh bien ! messieurs, on vous a dit : Vous êtes la majorité, ici, pour pratiquer une certaine politique qu’on vous indique tous les jours, pourquoi ne prenez-vous pas le pouvoir ?

Moi, je veux savoir si cette majorité existe réellement. Je veux savoir si cette Chambre veut entreprendre sur le passé de la France, sur les conquêtes de la République, ou si, au contraire, elle est composée d’hommes ardemment et passionnément républicains, comme je le suis.

M. Xavier de Magallon. On peut l’être autant que vous, mais différemment.

M. le président du conseil. Monsieur de Magallon, vous ne m’avez pas compris. Je suis très loin de dire qu’il n’y a de patriotes que parmi les républicains. Ce serait une grave injustice. J’ai vu les uns et les autres dans la bataille ; je les ai vus lorsque j’aillais sur le front où, je vous assure, j’aurais été très mal venu d’essayer même de faire une distinction politique : c’était la fusion de tous les cœurs, de toutes les croyances, de toutes les espérances ; c’était, sous la mort, la vie de la patrie. Et l’on aurait craché au visage de celui qui aurait tenté entre les combattants une distinction d’ordre politique.

Sur la question patriotique, comment avez-vous pu croire que j’aie voulu distinguer entre les Français ? Telle n’a pas été ma pensée.

M. Xavier de Magallon. Personne de nous n’a rien dit de tel. (Vives exclamations à gauche.)

M. le président du conseil. Je dis qu’un pays vit avec un régime. La France, après une guerre malheureuse qui l’a laissée mutilée et sanglante, a reçu la République. Il s’est trouvé que la République a eu la terrible responsabilité de mener cette France à la guerre. Quelle guerre ! Et dans quelles conditions d’agression brutale et effroyable !

Cette République a fait une armée à la France, elle lui a fait des états-majors…

M. de Seyne. Vous les avez combattus, ces états-majors.

M. le président du conseil. ...elle lui a conquis des sympathies, des amitiés, des alliances. Lorsque la France de la République, lorsque la République française a été en péril sur les champs de bataille, tout ce qui, dans le monde, aime le progrès, tout ce qu’il y a de généreux a jailli spontanément vers elle.

Je dois dire à l’honneur de ceux qui pouvaient émettre des réserves sur le régime, qu’une fois la patrie en danger, ils ont rejoint les autres et, comme les autres, ils ont fait leur devoir. (Applaudissements.)

Mais, maintenant, pour moi, la France et la République, qui a rendu à la France un morceau de sa chair, ne font plus qu’un. (Très bien ! très bien !)

C’est pour la France, dans la République et par elle, que gouverneront les hommes qui sont sur ces bancs.

Je dis ceci à ceux qui ont des arrière-pensées…

M. Léon Daudet. Oh ! oh !

M. le président du conseil. …et ils ont le droit d’en avoir. J’admets très bien qu’on soit monarchiste, j’admets très bien qu’on critique le régime républicain, j’admets très bien qu’on considère un autre régime comme meilleur pour son pays, j’admets très bien que la monarchie, à de certaines mesures n’ait pas nui à la grandeur de la France, bien au contraire…

M. de Baudry d’Asson. Pendant quatorze siècles.

M. le président du conseil. …mais dans cette guerre, le pouvoir absolu – j’ai le droit de le dire, au milieu de la chute des icônes et de la misère de leurs sujets – n’est pas très encourageant (Sourires) ;…

M. Lacotte. C’est flatteur pour l’Angleterre et l’Italie.

M. Léon Daudet. Et le retour de Constantin! (Mouvements divers.)

M. le président du conseil. Monsieur Daudet, le jour où vous voudrez discuter sur ce sujet, j’apporterai à la Chambre des explications, des faits et des documents.

M. Léon Daudet. Lundi matin !

M. le président. Attendez jusque-là pour interrompre. (Sourires.)

M. le président du conseil. Si vous n’avez pas – ce que, du reste, je ne crois pas – un parti pris – comment dirai-je ? – d’attaque à mon égard, oui, d’attaque vigoureuse, vous regretterez certaines choses que vous avez dites.

Je ne vous en veux pas. Alors que j’étais au Gouvernement, pendant la guerre, vous avez, à mon profit, si copieusement injurié mes adversaires, vous avez fait de moi de tels éloges et, quand je suis parti, vous avez versé sur mon triste sort de telles armes de regret que je vous en ai une reconnaissance profonde, croyez-le ! (Rires et applaudissements à gauche et au centre.)

M. Magne. C’est tout à son honneur de patriote.

M. Léon Daudet. Nous mettions la France au-dessus de vous.

M. le président du conseil. Je vous ai dit ce que j’avais à dire, aussi complètement que je l’ai pu. La parole maintenant est à vous.

Je ne demande pas pour le Gouvernement qu’il soit accompagné vers son but par ce que j’appellerai une cohue ((Mouvements divers)…

J’entends par là que je ne veux pas être noyé, sous prétexte de confiance, sous une majorité dont certains éléments accompliraient une opération de préservation personnelle plutôt qu’ils n’apporteraient leur concours au Gouvernement.

Je demande à ceux qui ont des arrière-pensées contre le Gouvernement de lui refuser nettement leur confiance. Je veux une confiance entière de la part de ceux qui, ayant entendu mes explications, les admettent.

M. Léon Daudet. C’est la confiance dans la nuit que vous voulez. (Exclamations à gauche et à l’extrême gauche.)

M. le président du conseil. C’est à ceux-là que je m’adresse et que je dis : Vous sentez très bien que demain, si vous voulez que votre Gouvernement ait une voix forte, entendue dans le concert des alliés, il faut qu’il y apparaisse avec toute l’autorité que, seule, peut lui donner votre confiance.

Le régime parlementaire a des inconvénients, tous les régimes en ont, mais il a cet avantage essentiel qu’il est le régime de tous les peuples qui ont évolué dans le progrès politique et social, et que, lorsqu’un gouvernement est nettement investi de l’autorité de son Parlement, il peut parler haut et ferme. On sait, en l’entendant, que c’est la voix de la nation même qu’on entend.

Messieurs, aux dernières élections, au sortir de la guerre, la France vous a envoyés ici dans un mouvement de confiance admirable, il faut le dire, et presque d’enthousiasme. Vous êtes à une heure lourde de vos responsabilités, vous êtes, je le répète, à un moment où le destin de votre pays va s’engager pour de longues années. Le Gouvernement vous a dit de quelle manière il entendait défendre les intérêts de la patrie. A vous de dire si vous avez confiance en lui. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et sur divers bancs à droite.)

Sur divers bancs. Nous demandons une suspension.

[…]