Il y a 100 ans ....
précédent suite

Théorie de la guerre
IV / un formidable révélateur

I / Approche allemande

II / Approche française

III / Théorie de la guerre juste

IV / un révélateur ... inquiétant

Il ne faut sans doute pas s'en étonner : parce que la guerre engage toute la réalité humaine dans ses différentes dimensions, politique, sociale, économique, juridique, morale, idéologique... elle sous-tend invariablement une conception du monde, de l'homme bref une métaphysique.

La ligne de partage que nous avons soulignée est tout sauf anodine : dis-moi quelle conception de la guerre tu te formes, je ne dirai qu'elle posture métaphysique tu as, implicitement ou explicitement, adoptée.

Or de ce point de vue, il n'y a pas seulement une opposition entre les Lumières et les anti-Lumières, il y a, il y a eu en tout cas, une opposition radicale entre les présupposés défendus en France par la République, et l'approche souvent messianique défendue par le Reich Allemand. Ni en 14 ni en 39 nous ne fîmes véritablement la même guerre ; c'est sans doute pour cela que nous perdîmes la seconde et faillîmes perdre la première.

Ici ce n'est pas seulement Schmitt qui s'oppose à Kant ou ! Herder à Robespierre c'est Hitler qui bafoue tout ce que peut représenter Jaurès !

Quelque chose s'est brisé en 18, que C Schmitt avait entrevu, et qui finira de s'effriter en 45 : l'ordre ancien est effectivement dépassé depuis longtemps sans qu'on puisse entrevoir réellement ce qui est en train de se mettre en place.

Je comprends le rescapé qui cessa de croire tout autant que celui qui s'y obstina ; celui qui rangea définitivement son violon comme celui qui , en dépit de tout, tâcha parfois dans le silence de réinventer un avenir. Mais tous surent, sentirent en tout cas, que de les avoir fait passer de l'autre côté de l'humain, ou de l'avoir laissé faire, condamnait irrémédiablement l'ordre ancien de n'avoir su ni empêcher ni même contenir la guerre totale, d'avoir par négligence et paresse été incapable d'empêcher l'irréparable mais surtout de l'avoir rendu idéologiquement possible.

Le tragique, ici, réside au moins autant dans l'irréversible engrenage qui conduisit l'Europe au suicide qu'en l'impossibilité d'inventer seulement un avenir qui ne fût pas souillé.

Car, oui, l'invraisemblable dans la guerre qui semble mettre victime et agresseur à égalité morbide c'est précisément qu'elle souille tout. Jusqu'à l'humanisme accusé d'être la cause au moins indirecte de la guerre totale ; jusqu'à la démocratie suspectée de trop de faiblesses pour y instaurer ordre stable ; jusqu'à l'égalité soupçonnée d'entraver la liberté - surtout d'entreprendre - de chacun.

Deux guerres y pourvurent : tout est par terre ! Que l'Europe y perdît son ascendant politique n'est pas grave ; elle y a laissé son ascendant idéologique et laisser se traîner dans la boue des tranchées et les chambres à gaz ce qui pourtant fit ses heures de gloires.

Tout est assurément à refaire ; à repenser ! et l'on peut au moins être assuré de reconnaître les siens et ses ennemis aux discours qu'ils tiennent sur la guerre.

Notre génération est assurément mal armée pour penser la guerre, elle qui ne l'a pas connue au point parfois de succomber à ses sirènes !

Il y a pourtant un défi qui l'attend - elle comme les suivantes - c'est de se penser comme une humanité-monde ; de penser de manière globale son rapport au monde parce qu'il demeure pour l'instant irrémédiablement destructeur. Et s'il est une guerre mondiale dont nous n'avons pas encore réussi à prendre conscience c'est bien celle que depuis longtemps nous imposons au monde lui-même.

Je ne sais quelle humanité émergera de ce conflit-là je sais juste les immenses périls que le bouleversement de l'environnement fait peser non seulement sur nos survies mais aussi sur nos économies, mais surtout sur nos démocraties. Je ne doute pas que demain, quand ce sera nécessaire, des voix autorisées et si bien pensantes, armées d'expertises et de bon sens, expliqueront, à l'instar de Carl Schmitt, combien l'urgence exige un Etat Total et une implacable soumission de chacun.

Où seront alors les Gambetta, les Jaurès, les Blum pour leur imposer la condition de la démocratie et obliger à rêver encore de liberté, d'égalité et surtout de fraternité ?

Quand je vois la veule soumission de la gauche française à la logique libérale ; quand je constate la sidérale vacuité théorique des leaders du moment .... j'ai crainte, je l'avoue.