Il y a un siècle....
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Capital

On a peine à s'en souvenir mais l'invention de la guillotine fut le fait d'un humaniste qui choqué par les supplices en place publique estima que tout criminel qu'il fût, en tant qu'homme, le condamné méritait au moins une mort propre, digne et rapide.

On a difficulté à le croire mais la dernière exécution publique eut lieu en 1939 et elle se passa si mal que le président du conseil d'alors Daladier promulga un décret-loi ordonnant que les exécutions se fassent désormais dans la cour des prisons et non plus en place publique.

On a du mal à l'admettre mais il fallut attendre 1981 et ce fut tout à l'honneur de R Badinter de l'avoir imposée comme l'une des premières lois votées par l'Assemblée de gauche fraichement élue, pour que la peine de mort fût abolie : elle fut décidément tellement tardive ....

Ce fut l'honneur de la gauche de la mener à bien. A y bien regarder d'ailleurs elle le tenta à plusieurs reprises et l'on peut bien être à peu près certain que la peine de mort est une de ces lignes de clivage qui a longtemps - toujours ? - séparé la gauche de la droite française.

Quelques dates :

 

- Premier débat sur la peine de mort le 30 mai 1791 mais Lepeletier de Saint-Fargeau soutenu par Robespierre ne parvient pas à faire voter son abolition. Mais c'est en octobre de la même année que l'assemblée vote la généralisation de la guillotine.

- Le 26 octobre 1795, la Convention nationale abolit la peine capitale, mais seulement à dater du jour de la publication de la paix générale - autant dire jamais.

- La Restauration fera de la peine de mort, sous l'inspiration de de Maistre, un des pivots de la politique judiciaire du régime. Certains commencent de nouveau à s'y opposer dont Guizot le futur premier ministre de Louis-Philippe. C'est aussi à cette période que parait le texte de V Hugo Le Dernier Jour d'un condamné (1829)

- 1e abolition de la peine de mort avec la Révolution de 1848 - en même temps que celle de l'esclavage. Vite rétablie sitôt l'insurrection balayée.

- 1908 : tentative de faire voter l'abolition dans un débat resté célèbre où Jaurès donne le meilleur de lui-même face à un Barrès fulminant. Le projet est déposé par Briand alors ministre de la justice du cabinet Clemenceau mais le projet sera rejeté.

- 1939 : dernière exécution publique. Les choses ne se passent pas très bien d'où le décret-loi de Daladier.

 

Clivage révélateur

Une société sans doute se juge au sort qu'elle réserve à ses échecs, ses marges - Rousseau l'avait bien compris. La vie humaine n'a longtemps pas beaucoup pesé et je ne suis pas surptis que la question de sa dignité apparût avec l'humanisme ni que longtemps la préoccupation centrale fut d'infliger une mise à mort conforme à la position sociale du condamné 1 plutôt que de s'interroger sur la légitimité de la mise à mort elle-même. N'est au fond pas tellement choquant qu'il eût fallu un siècle après la Révolution pour qu'un véritable débat s'engage à l'Assemblée sur la question mais que la réponse de l'Assemblée fût négative n'est pas tellement surprenant - sans doute était-il encore trop tôt pour une époque qui n'allait pas tarder à jeter dans les tranchées et sur les champs de bataille des millions d'hommes pour des enjeux qui auront été tout sauf évidents.

L'est beaucoup plus qu'il fallût encore un autre siècle pour qu'on parvînt enfin à l'abolir.

Et même qu'il ait fallu d'inconvenantes manifestations de la populace lors de l'exécution de Weidmann pour qu'on cessât de faire un spectacle de cette ignominie. M Foucault dan Surveiller punir a écrit des pages essentielles sur la question

Comme pour l'esclavage, les bonnes intentions de 89 furent vite oubliées - et toute la question finalement est ici. Au delà du sort que l'on réserve aux criminels, de l'éventuelle compassion que l'on réserve à la dignité humaine si difficile à accepter dans l'autre absolu qu'est le criminel, il y a non seulement une représentation du pouvoir - de celui dont Max Weber affirmait qu'il était le monopole de la violence légitime et qui ne vise jamais qu'à rendre le tissu social le plus transparent possible ; il y a, aussi, cette question de la nature du mal - pure négativité ou l'altérité même du positif - en tout cas ce qui est si difficilement pensable qu'on n'en sait jamais quoi faire ni penser.

C'est bien pour ce la que la guillotine est un miroir : sordide ; macabre mais un évident révélateur de ce que nous sommes - ou bien ne parvenons pas à être.

C'est encore une fois Jaurès qui, sur la question, eut le mot juste : rappelant les chrétiens à leur foi en un toujours possible relèvement fût-il tardif, rappelant les républicains à leur espérance toujours renouvelée en un avenir meilleur qui n'exclût personne, ni homme, ni classe, ni peuple, il dit ce formidable refus de toute fatalité qui n'est jamais que le cache-sexe du conservatisme le plus honteux !


1) sous l'Ancien Régime :

- La pendaison était la peine commune ;
- La décapitation à l'épée (ou la hache) privilège attaché à la noblesse
- Le bûcher pour les hérétiques relaps et les incendiaires
- La roue pour les brigands et pour les meurtriers condamnés avec circonstances aggravantes, les membres du condamné étaient brisés puis il était achevé par strangulation
- L'huile bouillante : pour les faux-monnayeurs ;
- L'écartèlement, avec ensuite exposition des restes aux quatre portes de la cité : pour haute trahison, parricides,et régicides
- La tête cassée, peine militaire,