Palimpsestes

Discours de vérité sur le sexe

Histoire de la sexualité, vol. 1 pages 622 et 623.

Pour en revenir au sexe et aux discours de vérité qui l'ont pris en charge, la question à résoudre ne doit donc pas être : étant donné telle structure étatique, comment et pourquoi « le » pouvoir a-t-il besoin d'instituer un savoir du sexe? Ce ne sera pas non plus : à quelle domination d'ensemble a servi le soin apporté, depuis le XVIIIe siècle, à produire sur le sexe des discours vrais? Ni non plus : quelle loi a présidé à la fois à la régularité du comportement sexuel et à la conformité de ce qu'on en disait? Mais : dans tel type de discours sur le sexe, dans telle forme d'extorsion de vérité qui apparaît historiquement et dans des lieux déterminés (autour du corps de l'enfant, à propos du sexe de la femme, à l'occasion des pratiques de restrictions des naissances, etc.) quelles sont les relations de pouvoir, les plus immédiates, les plus locales, qui sont à l'œuvre? Comment rendent-elles possibles ces sortes de discours, et inversement comment ces discours leur servent-ils de support? Comment le jeu de ces relations de pouvoir se trouve-t-il modifié par leur exercice même – renforcement de certains termes, affaiblissement d'autres, effets de résistance, contre-investissements, de sorte qu'il n'y a pas eu, donné une fois pour toutes, un type d'assujettissement stable? Comment ces relations de pouvoir se lient-elles les unes aux autres selon la logique d'une stratégie globale qui prend rétrospectivement l'allure d'une politique unitaire et volontariste du sexe? En gros : plutôt que de rapporter à la forme unique du grand Pouvoir, toutes les violences infinitésimales qui s'exercent sur le sexe, tous les regards troubles qu'on porte sur lui et tous les caches dont on en oblitère la connaissance possible, il s'agit d'immerger la production foisonnante des discours sur le sexe dans le champ des relations de pouvoir multiples et mobiles.

[...] Il s'agit en somme de s'orienter vers une conception du pouvoir qui, au privilège de la loi, substitue le point de vue de l'efficacité, au privilège de l'interdit le point de vue de l'efficacité tactique, au privilège de la souveraineté, l'analyse d'un champ multiple et mobile de rapports de force où se produisent des effets globaux, mais jamais totalement stables, de domination. Le modèle stratégique, plutôt que le modèle du droit. Et cela, non point par choix spéculatif ou préférence théorique ; mais parce qu'en effet, c'est un des traits fondamentaux des sociétés occidentales que les rapports de force qui longtemps avaient trouvé dans la guerre, dans toutes les formes de guerre, leur expression principale se sont petit à petit investis dans l'ordre du pouvoir politique.