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Choses vues 2

 

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Dans cette obsession, presque louable, à mettre du vert dans la ville, des réaménagements dont cette portion de ligne de l'ancienne petite ceinture … au risque d'un double mensonge, d'un oxymore en tout cas

Je ne suis pas certain que ce soit un sentier - qui par définition est un chemin de traverse - or ici il ne s'agit que de l'espace laissé par des voies ferrées que l'on a ôtées ; or ce sentier ne va nulle part, n'est d'ailleurs pas conçu pour aller quelque part mais seulement :se promener ; prendre l'air.

Il n'a évidemment rien de naturel si l'on veut entendre par là espace que l'homme n'eût pas transformé - au reste en demeure-t-il seulement. Coincé entre deux boulevards, il est pure illusion ; ce qui ne veut pas dire qu'il est inutile. Il m'a toujours semblé que l'écart entre la chose et sa représentation, qu'ailleurs on nommerait erreur, est ceci même qui nous rend le monde supportable ; habitable.

Sans doute avons-nous déjà posé nos marques, traces et souillures partout où nous le pouvions et ne recherchons des espaces naturels que pour nous divertir de nos affairements bruyants ; moins par nostalgie du reste que par peur.

Peur justement de cette nature que nous apercevons regimber désormais devant les coups de butoir que nous lui imposons.

L'une s'apprêtait à prendre photo de l'autre sur cette passerelle Debilly qui attire d'autant plus qu'on y peut s'y croquer avec Tour et fleuve en arrière plan. L'une avec jupe courte au-delà du possible, l'autre robe légèrement fendue au mollet. Ce n'est pas la jupe qui m'amusa - même si furent cocasses les contorsions que la jeune femme dut s'inventer pour parvenir, accroupie, à réaliser sa photo en contre-plongée.

Non ! Leurs chausses plutôt et ces talons qui se piquaient de les haut percher enlevant aux deux cette finesse qui se voulait élégante pour ne laisser que l'épaisse lourdeur de ces hauteurs contrefaites.

Le souci de l'élégance, souvent, s'embarrasse de hauteur qui parfois rime avec ridicule, avec déséquilibre en tout cas. Le son de se parer est légitime et :dessine notre rapport au monde mais d'ainsi se pousser du col traduit quelque chose de nos :vanités paresseuses.

Pourquoi donc ceci me fit-il penser à ces vers inauguraux ? Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où, Le Héron au long bec emmanché d'un long cou.

Il vaut toujours la peine de hanter les cimetières … Après tout n'est-ce pas notre lieu commun de destination. Peu de tombes discrètes ; encore moins d'humbles ; de bon goût s'en peut-il en de telles circonstances ? En revanche de sépultures ivres de vanités à en éclater …

Fut-ce office des héritiers dont le chagrin n'excuse pourtant pas tout, ou bien vœux ultime du trépassé anxieux qu'on n'en perde demain la trace ?

N'en retenir que celle-ci ! L'homme m'était inconnu. M'attira vers cette tombe ce sèche-cheveux ! J'étais comme quiconque habitué aux gerbes et toujours ému par ces cailloux non tant parce qu'ils célébraient un juif que pour la beauté d'une tradition dont la solidarité se prolonge. Mais là !

Une inscription, que je ne vis pas tout de suite m'éclaira : le quidam avait inventé, dans les années 20 la coiffure à la garçonne.

Il fallait bien une telle machine pour perpétuer ce qui, après tout, à défaut d'esprit avait du souffle. Ou célébrer un de ces moments où les femmes réussirent à imposer image qui ne fût pas tout-à-fait imposée par les normes bourgeoises ni l'orgueil mâle.

Sagement assise, là sur ce banc au soleil ! En train d'écrire. Mais peut-être n'était ce que mots croisés ou fléchés ! on peut rêver.

Mais sous l’œil vigilant d'un volatile scrupuleux à ramasser les copies à la fin de l'épreuve.

Il m'arrive de chercher quelque image symbolisant l'élégance. En voici une, plus prosaïque. Elle ne tient ni au soin apporté à la vêture, liée à l'emploi de l'homme - pourquoi dans son cas dit-on garçon ? - autant qu'à la tradition qui lui est liée ; pas même à ces barbiche et moustaches ajustées avec précision et admirable méthode.

Au sourire !

Il venait de succéder à un serveur pisse-vinaigre et hargneux qui non content de moue laissant suggérer qu'il portât sur ses maigres épaules toutes les injustices du monde se piqua de me faire la morale sous prétexte que je ne lui eusse pas dit bonjour !

L’élégance tient tout entière en ce sourire ! cette disposition à n'imposer à l'autre ni ses angoisses, ni ses récriminations ni ses colères. A se détourner ne serait-ce que d'un quart de moitié de demi-centimètre et d'aborder le monde comme une promesse plutôt qu'une menace.

Ce n'est pas histoire de verre semi-plein ou vide ! la volonté seulement et l'effort de ne pas surajouter à la lourdeur des temps le boulet de ses propres frustrations.

Il fait partie de ces résidus de matérialité que la modernité voudrait pouvoir effacer à raison de virtualité : ce ticket de métro ou de RER laissé ici négligemment sur ce parapet où d'ordinaire les touristes s'adossent pour se prendre en photo ou, pire encore, posent sac et téléphone pour une vidéo.

C'est à ses poubelles qu'une société se reconnaît : voici celle qui ne jurant que de tri, de transition, d'efforts et de flexibilité, incapable de se regarder en face, dispose dans la même indifférence dur et doux, inertie et mouvement.