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Procès

 

Cette photo extraite du documentaire Juger Pétain : les grands témoins de la première semaine. Michel Clemenceau, le fils du Tigre ; Paul Reynaud ; Louis Marin ; Albert Lebrun. Viendront s'y joindre Léon Blum et Daladier.

Ces jours torrides d'Août 45 ce n'est pas seulement Vichy et la Collaboration que l'on jugera sous la figure de Pétain mais toute la IIIe République. Photo terrible parce que, subitement, elle fiche un sacré coup de vieux à toute l'institution et relègue ces aimables vieillards dans l'ancien monde. Déjà !

En face, rien encore. On remarquera néanmoins dans le rang des journalistes J Kessel qui assistera à toutes les audiences. Kessel dans ses articles fera montre de tout son talent et offrira ici ou là des portraits saisissants qui pointent juste.

Ainsi celui de Laval :

Il y a véritablement chez cet homme disgracié par la nature un narcissisme évident, singulier, monstrueux.

Il éprouve de la jouissance à parler de lui-même, de son Châteldon natal, de ses pieds en foncés dans la terre. Il se dépeint comme un apôtre, une victime, et presque comme un saint. Je n'exagère pas.

Je n'invente rien. Pendant quatre heures, Pierre Laval a essayé de bâtir un socle pour une statue de lui -même, sculpté en patriote éclairé et sublime.

Devant tant d'aberration, il arrive parfois que l'esprit hésite. On se demande si cet homme prend les autres pour des fous, ou bien s'il est fou lui-même .

Mais peu à peu la vérité se fait jour sur ce caractère. Pierre Laval n'est pas fou. Il est fait de la plus basse, de la plus pauvre substance humaine. Il vante sans répit son sens des réalités. Il s'enorgueillit de soumettre les problèmes à une juste hiérarchie. Il veut dire par là que l'intérêt le plus vil doit toujours prendre le pas sur l'élan le plus fier. Que la combinaison sordide doit l'emporter sur l'espoir, la bravoure, la pureté du sang. Kessel

Tout a été dit et écrit sur ce procès dont on mesure mal combien il fut rapidement monté - trois mois à peine après la fin de la guerre ! Comme si régime ou pays eussent eu besoin de tourner la page comme on dit et donc de régler leurs comptes.

Et c'est bien de ceci dont il se sera agi : d'un superbe rituel sacrificiel qui n'a d'autre but que de rassembler sur le cadavre du supplicié une cité déchirée et exsangue.

Camus quant à lui viendra écouter Laval. Ne consacrera au procès qu'un seul article comme si ses préoccupations déjà le portaient ailleurs.

Il suffit de relire le passage que de Gaulle y consacre à la fin de ses Mémoires de guerre :

La condamnation de Vichy dans la personne de ses dirigeants désolidarisait la France d'une politique qui avait été celle du renoncement national. Encore fallait-il que la nation adoptât, délibérément, la psychologie contraire. 1

et de voir comment immédiatement il se met en scène à Notre Dame, récipiendaire de la tradition et du souffle de l'histoire, pour comprendre que ce procès, pour inévitable et politiquement nécessaire qu'il fût, demeura néanmoins dans l'esprit de de Gaulle un épisode parmi d'autres d'une épopée dont il aura été le héros. Derrière ces figures de cire, des figures du passé que l'histoire a déjà balayée. Dans un passage étonnant, de Gaulle évoque la ferveur qui monte vers lui à chacun de ses déplacements en province : décidément il y a du religieux - non du mystique - dans cette incarnation qui est bien plus qu'une renaissance ; une résurrection.

Il y évoque la ferveur montant vers lui et l'instinct qui permet à la nation de reconnaître le guide ; puis quelques lignes plus tard, évoquant la visite que lui fait Albert Lebrun qu'il qualifie de fantôme mélancolique de la IIIe République, cette petite phrase pleinte de pitié mais assassine néanmoins :

Le président Lebrun prit congé. Je lui serrai la main avec compassion et cordialité. Au fond, comme chef de l'Etat, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef ; qu'il y eût un Etat.

Ne devrait-on conserver de ce procès que son aspect judiciaire ce serait un désastre qui ne mit pas grand chose en lumière attaché qu'il fut surtout, mais c'était le désir de de Gaulle, qu'on vît trahison dans le germe pernicieux de la demande d'armistice. On passa à côté du génocide qu'on ne comprit que plus tard … bien plus tard.

On y voit toutes les limites d'un procès politique qui relèvera toujours plus de la purgation d'un Diafoirus que d'un réel souci d'équité. Quelque chose comme une horrible concession que la raison lâchement fait aux passions brouillonnes pour se donner l'illusion encore de maîtriser le cours des événements. La foule cria Barabbas ! On maintint ici la foule à l'extérieur du prétoire mais on l'entendait hurler néanmoins. De Gaulle s'agace que le procès s'attardât sur de vaines et funestes controverses politicardes : il a tort. Il ne pouvait en être autrement. La nation s'était déchirée et la guerre, pour avoir été extérieure, manquât à chaque seconde d'être ouvertement civile. Il fallait bien réconcilier.

Eh quoi ces quelques images le disent crument : comment ne pas imaginer que ceux-là qui applaudirent le Maréchal à la Pâques ne s'en retournèrent pas quelques mois plus tard pour accueillir de Gaulle ? C'étaient les mêmes ou leurs frères. Qu'importe ! une horrible histoire de violence mimétique. En tout cas. Et il aura fallu l'ordre de de Gaulle pour écarter le cardinal Suhard qui eût bien célébrer le Te deum de la Libération, après avoir accueilli Pétain à Pâques et célébré les obsèques d'Henriot !

Il fallait resouder ; réunir ; redonner espoir et perspective. En cette salle surchauffée d'un été qui n'aura pas renoncé à fourbir son lot d'horreurs, on n'aura jamais quitté le symboliqu. La condamnation à mort du vieillard qui ne serait jamais exécutée, ou celles un peu plus tard de Laval et Darnand ui le seraient participent de ce rituel antique. Blum semble presque adoucir le trait comme pour s'excuser de n'avoir pas vu dans cet aimable vieillard un carnassier ivre de pouvoir et engoncé d'orgueil - il avait su être plus mordant ! A se perdre dans des considérations psychologiques au moins fit-il montre de cet humanisme qui le caractérisait. Ou celui que de Gaulle brosse de Darnand, presque indulgent en son atrocité comme si la nation avait toujours eu besoin d'hommes de cette trempe, prêts à tout qu'importe les causes qui les perdissent :

Rien mieux que la conduite de ce grand dévoyé de l'action ne démontrait la forfaiture d"un régime qui avait détourné de la patrie des hommes faits pour la servir.

Preuve s'il en fallait que les heures d'exception offrent à des hommes d'exception de pouvoir exprimer leur exorbitance ! Hegel l'avait dit ! Signe que l'excellence n'a pas de couleur et que l'exception peut verser aussi bien ici que là et même jusqu'à l'infamie absolue ?

C'est peut-être cela la plus angoissant