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Feu

L’image ne pouvait que marquer ; ne pouvait que cristalliser les regards au point de gommer tout ce qui n’est pas elle. Et télescoper l’actualité politique puisque ce soir-ci le président devait intervenir pour annoncer des décisions marquantes susceptibles de trouver une issue à la crise des GJ.

Et les médias de se mettre en mode breaking news et de diffuser ainsi en continu des images aussi  troublantes que fascinantes je veux dire envoûtantes, addictives.

Agacé comme d’habitude par l’incroyable agilité des médias à faire mousser une actualité qui cesse vite d’être inédite, en tout cas émousse rapidement sa dimension spectaculaire. Interroger le passant, qui n’a rien d’autre à exprimer que son émotion ; répéter ad nauseam les clichés rappelant combien ND n’est pas seulement un lieu de prière mais le cœur de notre culture ; mais le lieu le plus visité au monde … ou pire encore le symbole profané des racines chrétiennes de la France.

Et revoilà le sinistre refrain des racines comme s’il n’était pas d’autre préoccupation centrale que d’exciper de cette chrétienté face aux troubles inéluctables produit par une population de plus en plus cosmopolite. Comme si l'incendie n'avait été là que pour rappeler à la Nation le manquement à ses valeurs, n'avait de sens que de lui rappeler le sens du religieux dont il se serait détourné ou, pire encore, qu'il fallût se battre d'autant plus pour les préserver qu'elles seraient menacées ce dont ces flammes seraient le témoignage.

Passe encore que les journalistes se piquent d'explications anthropologiques mais à ce moment-là, la reprise des remugles d'extrême-droite avait quelque chose de vulgaire et d'insupportable.

On pourra toujours s'interroger sur le rôle joué par les monuments dans nos représentations de la cité voire de notre socialité : incontestablement fonctionnent-ils aussi comme des repères, comme des bornes d'autant plus éclairantes qu'elles nous précèdent de beaucoup - mais aussi comme lueurs à l'horizon. Sans doute faudrait-il interroger cet attachement à l'histoire d'une foule qui sans doute en ignore tout ou presque, désormais. A moins qu'elle n'eût de la cathédrale la représentation qu'en offrit V Hugo, revisitée par Hollywood ou Disney !

On remarquera seulement que cessent à peine les rodomontades des experts en communication quand le réel à quoi ils préfèrent la représentation subitement entre par effraction dans leur insipide babil.

On remarquera surtout la beauté diabolique d'un feu qui doit bien stimuler un peu les ultimes échos d'un sadisme infantile troublant.

Je comprends mieux pourquoi ce mot monument, que nous utilisons sans l'interroger jamais, a partie liée avec la mémoire. Moneo dit faire songer à quelque chose, mais aussi avertir, éclairer ou instruire qui fera monumentum signifier tout ce qui rappelle quelque chose ou quelqu'un, perpétue le souvenir. Le monument à la fois regarde le passé qu'il tente de faire vivre mais vers le futur également en nous offrant mise en garde, avertissement, voire seulement enseignement.

Quel enseignement ? Quelle leçon ?

A regarder ces photos, à m'être vu ne pas parvenir à décoller mon regard de ces images en direct, je m'interroge sur ce qui se cache là dessous mais ne parvient pas à lui donner un sens. Peut-être ceci n'en a-t-il pas ! pas d'autre que celui que les circonstances lui donnent, ou que la cuistrerie de ces philistins lui prête avec l'insolence et la vulgarité qui les caractérisent si souvent.

A moins que …

Se dessine ici, peut-être cet entrelacs curieux qui hante chacun de nous où, subtilement espace et temps célèbrent leur union. C'est un instant, qui n'est pourtant pas temporel ; un point qui n'est cependant pas spatial ; une couleur plutôt ; une harmonie secrète qui scande jusqu'au rythme de notre voix.

Je viens de comprendre l'incroyable retournement. On se trompe de croire que nous visitons les monuments ; que nous les contemplions.

Ce sont eux, au contraire qui nous regardent ; scrutent. Et parfois jugent.

Et là, brusquement, plus rien ! Le regard s'est détourné. Une autre de ces insupportables figures de l'abandon.