Bloc-Notes 2018
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Eglise

Autour de la lecture du Ce que je crois de Mauriac

De Deo De ecclesia De fidei

 

Κἀγὼ δέ σοι λέγω, ὅτι σὺ εἶ Πέτρος, καὶ ἐπὶ ταύτῃ τῇ πέτρᾳ οἰκοδομήσω μου τὴν ἐκκλησίαν, καὶ πύλαι ᾍδου οὐ κατισχύσουσιν αὐτῆς.
Et moi aussi je te dis que tu es Pierre et que sur ce roc-là je bâtirai mon Eglise, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle.
Mt 16, 18

Ce n'est rien de dire que l'Eglise est au centre de l'histoire catholique et de la foi du fidèle. Ce le fut très vite quand il lui fallut se définir par rapport à ses origines et donc par rapport à Jérusalem - ce dont le Concile de Jérusalem traite qui marque une première rupture par rapport à la tradition hébraïque. Débuts évidemment décisifs puisque ne pas nécessairement exiger des nouveaux baptisés qu'ils observent le strict ordonnancement de la Torah, et notamment pas la circoncision, revenait à sortir le christianisme de la stricte mouvance juive et lui donner une vocation que le judaïsme ne recherchait pas.

S'intituler catholique ne saurait être un vain mot : c'est bien d'universalité dont il s'agit.

Je ne sais si l'histoire des premiers temps de l’Église peut en donner un sens : elle éclaire en tout cas comment le christianisme primitif s'est, progressivement mais souvent au prix de conflits internes, dégagé du fond hébraïque pour s’helléniser pour ne pas dire latiniser. Victoire posthume de l'apôtre des gentils (Paul de Tarse), le catholicisme s'occidentalise au point de feindre parfois oublier ses origines orientales.

Moments toujours émouvants que ceux des pionniers, des tout débuts nécessairement embués de mythes et auréolés de sacré ; moment plus trivial, invariablement décevant que celui où, parce qu'il faut bien redescendre sur terre, et pour poursuivre l'aventure, créer les moyens, les outils, les rites et les règles, vient le temps de la transaction et de la fondation, celui des premières disputes et des querelles de plus en plus graves.

Après la grâce de la révélation, l'enthousiasme de l'aventure, l'effort besogneux de la consolidation. Quand vint le moment de la fondation, le risque de la pétrification, justement. Du dogme ; de la pierre. De la dispute et parfois de l'intolérance.

Pourtant, de la foule qui se rassemble, de l'assemblée qui se réunit pour délibérer ou pour prier … à l’Église, il y a un pas de géant, franchi très vite. Paul visite des Églises pas des communautés, des Églises qu'il tente d'arracher à l'hérésie, dont il veut s'assurer de la fidélité.

l'église constitue à mes yeux l'ensemble des moyens humains que la grâce utilise pour féconder chacune des âmes qui ont recours à cette source d'eau vive captée à Rome
Mauriac, p 17

Mauriac, sans la vénérer plus que de raison, y voit cependant ce qui a permis de conserver et transmettre la Parole reçue. Soit ! Un outil donc.

Je crains, autant que l'édifice qui s'élève, les fondations qu'on creuse : quel secret, quel sacrifice, quel cadavre gît dans ces fondations creusées et vite refermées. Comment oublier que derrière petra, il y a la racine voler, heurter, tomber. C'est bien une catabole : quelque chose qui, d'en haut, vient échouer, ici, dans le creux des fondations … dans la tombe

Il y a un cadavre, toujours, sous les murailles où l'on célèbre les fondations : tous les rites le racontent. Bien sûr, on peut en imaginer une interprétation anthropologique ou mimétique à la Girard ; œdipienne à la Freud ; ou religieuse, bien sûr mais je veux comprendre comment l'on passe in continent d'un désir d'union qui pousse à rassembler, au désir de ce qui rassemble et qui, partant, finit par diviser.

C'est d'ailleurs le même mot : loi vient de lego en latin recueillir, ramasser et donc aussi lire - notamment à haute voix - d'où vient lex, la loi. Même sens pour le λεγω grec qui fait passer du rassemblement à la lecture, de la proclamation à la loi qui est d'abord une proclamation faite par un magistrat devant le peuple.

Comment passe-t-on d'une foule qui se rassemble, pour prier, crier ou voter, à l'agora où cette assemblée se réunit, puis au bâti que l'on édifie pour se protéger, mais que bientôt l'on cherchera à embellir ad majorem gloriam dei, puis à l'institution qui en régira l'ordonnancement sinon par métonymie successive qui n'est autre qu'un glissement souvent discret, largement implicite du doux vers le dur ; de la parole vers la loi, du souffle vers la norme. On touche ici au vieux débat sur l'étymologie de religion hésitant entre relegere (relire) et religare (relier) qu'un Benveniste a voulu tranchant en y voyant la distinction radicale entre paganisme et christianisme qui ne l'est sans doute pas tant que cela, le terme autant que la chose oscillant perpétuellement entre les deux, ou bien les comprenant d'un seul tenant. Tout se passe comme si cette Parole (pro)jetée d'en-haut - ce que dit catabole - devait nécessairement se pétrifier et qu'il fallût prendre très au sérieux cet esprit qui vivifie et cette lettre qui tue. 2Co,3, 6

Je n'ai jamais rien tant craint que cet instant terrible où l'esprit cesse de souffler où il veut et où, de s'être institué, se met à meurtrir. C'est que la pierre n'est rien d'autre que l'usage qu'on en fait : sans doute balise-t-elle nos chemins ou constitue les murs de nos maisons …mais c'est aussi avec elle que les foules vengeresses et haineuses lapident les femmes et les faibles avec cette joie à faire frémir. Rien ne m'angoisse plus que cet instant étrange où, s'incarnant, le Verbe soudain fragile, comme empesé, se livre fragile aux sarcasmes de la matière.

Or l’Église est cet instant. Il aura suffi de quelques trop longues heures pour que, Moïse recevant la Parole, le peuple impatient de crieries et de jouissances, inscrive le souffle dans la pierre d'une effigie laide à souhait ! suffit de quelques habiles provocations pour qu'aux ultimes hésitations de la loi elle ne se mît à hurler Barabbas ! Tragique cette horrible tentation où l'intermédiaire, le truchement, le messager, cesse de se tenir à l'intersection dans ce grand écart où il tenait tout des deux bouts de ses bras écartés, cesse de transmettre et soudain parle de sa propre autorité. Ce moment, pas si rare, est celui non plus même de la tentation mais de la faute déjà commise. Qui ne l'a connu cet instant si triste qui devait être celui de l'accomplissement mais où, d'avoir pris corps son rêve, son projet s'enlaidit, s'écartèle et s'empèse ? Ce moment c'est celui où la Lumière est la proie de l'ombre. C'est le moment de la matière, du réel, du concret, comme on dit vulgairement ! Celui de l'acte.

Où l'on comprend avec effroi que l'acte est l'inverse de l'acte. Il y va parfois, mais si rarement, de quelques interstices de grâce, tel ce larron qui à l'ultime soupir ne se trompe pas de colère mais en face combien de colères sottes, de haines stupides, de sacrifices vains ?

Ce moment, je le répète, c'est celui de l'église, celui du clerc qui s'habituant à parler au nom de l'absolu, s'imagine incontinent autorisé à pérorer, imposer ses certitudes. A culpabiliser.

Moment de l'Eglise qui se fondant et répétant, ici puis là, doit bien s'assurer parler d'une même voix ; d'une église qui constitue son credo à la mesure même de ses exclusions, excommunications, de ces voix qu'elles nomment hérétiques précisément parce qu'elle les rejette.

Je comprends bien la prière à l'écart et sens toutes les promesses qu'un terme comme recueillement peut contenir ; je devine les contours d'un dialogue qu'on croit avoir entamé avec cette présence si étrange mais tant de fois frôlée ; je sais surtout ce qui de prière vient de soi et de ses misérables désirs ou envies ou qui au contraire en appelle à la grâce.

Je le sais, je le sens, ce n'est pas d'église dont nous ayons besoin, mais de messagers, d'intermédiaires, de conducteurs qui sachent nous entraîner au delà de nous-mêmes. Ce que Mauriac retient c'est seulement son propre salut offert par le sacrifice divin :

que grâce à elle une certaine Parole soit venue jusqu'à nous, non pas comme un souvenir, non pas comme remémorée, mais comme agissante et vivante : « Tes péchés te sont remis. »- « Ceci est mon corps livré pour vous. » -
p 16

Comme s'il n'avait besoin de rien d'autre, de plus, que d'une voix qui à la fois lui rappelle sa culpabilité et le pardon, qui donc l'enferme dans une sujétion dont il peinera à se dégager. Ce qui évidemment pose la question de la foi qui doit bien consister en autre chose qu'en cette peur qu'une communauté étanche en même temps que nourrit. C'est que l’Église n'engage pas les relations entre les hommes et Dieu mais uniquement les relations entre les hommes qu'elles se charge d'enrégimenter en son nom. En s'interposant ainsi, elle dit et inter-dit et occupe toute la place.

Avec les Eglises, on quitte le temps des origines, des pionniers et de la légende pour pénétrer dans l'histoire, ordinaire, laide souvent, et bien plus répétitive qu'on ne veut l'admettre. A elles, les crises, exclusions, schismes et autres inquisitions ! Libre à Mauriac d'y voir néanmoins grandeur : elle n'en manque effectivement pas mais comment ne pas se demander si le tribut à payer n'est pas trop lourd de se vouloir ainsi universel.

La prière qui est offertoire et pas seulement de sollicitation ne devrait pas briser les silences de l'intime …