Bloc-Notes 2018
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Ce que je crois

Non, décidément je ne m'en lasse pas ! il faut dire que je n'avais jamais lu ce texte. Amusante collection dont chaque ouvrage porte le même nom et où, dans la liste des contributeurs on trouve Guéhénno ; Robert Debré ; Rostand Vercors, Delumeau, A Memmi

Celui de Mauriac date de 1962 : année riche en elle-même puisqu'elle marque la fin de la guerre d'Algérie ; le référendum sur l'élection du président au Suffrage Universel, une élection législative après la censure du 1e gouvernement Pompidou ; enfin le Concile Vatican II. Pas vraiment une année de transition ; mais une année qui à la fois clôt un cycle et en ouvre un autre.

Rien de bien surprenant dans ces pages pour qui connaît Mauriac ; mais presque tout si on méconnaît l'époque ou bien oubie le demi-siècle qui nous sépare d'elles.

Ceci d'abord : un auteur prenant pour unique objet de son propos sa foi ; la permanence et la vivacité de sa foi.

Pourquoi êtes-vous demeuré fidèle à la religion dans laquelle vous êtes né ?

Oh bien sûr, religion, foi, église, occupent presque tout l'espace de l'œuvre de Mauriac et il ne saurait être surprenant qu'on les trouvât ici. Mais justement, en parler, l'expliquer sans jamais le justifier, le montrer non pas de manière ostentatoire mais ostensible parce qu'il s'agit d’une évidence peut-être plus partagée par tous mais néanmoins reconnue par presque tous, voici qui nous est devenu étranger …Pas seulement parce qu'un vaste mouvement de déchristianisation a frappé ces dernières cinquante années mais surtout parce qu'aujourd'hui si le fait religieux n'a pas disparu, que les attaches spirituelles puissent chez beaucoup demeurer vivaces, ils restent désormais dans la sphère privée ; du ressort de l'intime. Je l'ai repéré il y a plus de trente ans chez mes étudiants : tout à coup il devint possible de parler en cours de ce qui auparavant était tabou en tout cas difficile : de politique ; lentement il devint impossible de parler de religion, de croyance ; de foi comme si l'évoquer seulement était un viol.

Oh je sais bien que voici l'un des effets de la vulgate laïque : la croyance, depuis la séparation de 1905, a quitté l'espace public pour regagner la sphère privée où seule elle peut s'épanouir en toute liberté. Fruit à mon sens bénéfique mais effet curieux qui joint à cette manie très anglo-saxonne du politiquement correct où si l'on veut que la communication puisse avoir lieu, elle doit surtout demeurer policée et donc ne rien proclamer qui puisse heurter …et ainsi ne rien dire aura abouti à cette curieuse manie de ne plus rien supporter chez l'autre ; ni vraiment chez soi.

L'a-t-on remarqué ? les incessantes querelles sur le foulard, le voile ou tout autre signe religieux chez les musulmans, pour douteuses qu'elles soient souvent, sont aussi le pendant de cette pudeur spirituelle que l'on s'impose désormais. Le religieux était omniprésent et saturait tout l'espace ; il est désormais cantonné aux quelques émissions contraintes du dimanche matin ! Supporterait-on aujourd'hui un écrivain tel Mauriac qui dans ses chroniques journalistiques parla de Dieu presque à chaque note ? On cesserait de la lire ou bien on le reléguerait en un recoin pas trop visible d'une page intérieure de la Vie Catholique !

Qu'on ne se méprenne pas : ni regret, ni consolation ! je n'irai pas chanter les louanges de Sens Commun ! Sujet d'autant plus délicat que désormais c'est toute une extrême-droite suspecte qui a fusionné avec ces chrétiens traditionalistes (ou l'inverse) - comme autrefois ; comme en ces périodes que fustige Mauriac où l’Église s'était compromise avec le sabre et le goupillon . J'ignore ce qui est le plus désastreux du politique qui se pique de spirituel ou du religieux qui envahit le politique. Identiquement détestables en tout cas. Mais qu'y a-t-il de plus désespérément morne qu'une cité qui ne sait conjuguer ses rêves qu'en optimisation, performance, montée en compétence et autre finalisation sordide ?

Mais je m'interroge sur cette place, désormais si discrète, presque intime, du spirituel voire du religieux.

Je veux y revenir même si j'ai déjà évoqué ceci : de la foi suivi de silence. Y revenir parce que, au delà de la réponse que chacun peut donner, comme il peut plus que comme il veut me semble-t-il, mais qui signe la couleur de sa présence au monde, il y a celle que l'on confie ou tait à l'autre qui signe cette fois son rapport à l'être.

Mais ce n'est pas tout !

« Credo in unum Deum, Patrem omnipoténtem, factόrem cæli et terræ, visibílium όmnium, et invisibílium. Et in unum Dόminum Iesum Christum, Fílium Dei unigénitum. Et ex Patre natum ante όmnia sæcula. Deum de Deo, lumen de lúmine, Deum verum de Deo vero. Génitum, non factum, consubstantiálem Patri : per quem όmnia facta sunt. Qui propter nos hόmines, et propter nostram salútem descéndit de cælis. Et incarnátus est de Spíritu Sancto ex María Vírgine : et homo factus est. Crucifíxus étiam pro nobis : sub Pόntio Piláto passus, et sepúltus est. Et resurréxit tértia die, secúndum Scriptúras. Et ascéndit in cælum : sedet ad déxteram Patris. Et íterum ventúrus est cum glόria iudicáre vivos, et mόrtuos : cuius regni non erit finis. Et in Spíritum Sanctum, Dόminum, et vivificántem : qui ex Patre, Filiόque procédit. Qui cum Patre, et Filio simul adorátur, et conglorificátur : qui locútus est per Prophétas. Et unam, sanctam, cathόlicam et apostόlicam Ecclésiam. Confíteor unum baptísma in remissiόnem peccatόrum. Et expécto resurrectiόnem mortuόrum. Et vitam ventúri sǽculi. Amen. »

Ceci encore, dans ces lignes mauriaciennes qui touche à l'attachement à l'Eglise. Voici qui est très catholique, trop pour moi mais, derechef, on ne se proclame pas impunément universel. J'entends résonner le credo et ne puis oublier que s'il commence par Dieu, il se termine bien par la foi en l'Eglise.

Bigre quelle descente aux enfers !

Vieille hantise des tromperies ordinaires ! Je me méfie comme de la peste de tout intermédiaire, a fortiori quand il s'agit d'institution, qui viendrait s'interposer entre moi et l’Être ; viendrait me consigner ce qu'il serait bon que je fisse et configurer à ma place le chemin de mon salut. Le parasite occupe la même place que le messager ; le diable que le symbole : la chose est connue, inutile d'y revenir.

Pour Mauriac c'est tout le contraire et dans ces pages introductives, il ne cesse de le proclamer avec cette force étonnante qui en fait effectivement un catholique bien plus qu'un chrétien ! Il voit dans l'Eglise, en dépit de tout, des errances et des erreurs, des structures qui ont tout sauvegardé et notamment la Parole originelle.

Rien ne s'est perdu dans l’Église catholique des paroles qui sont esprit et vie.

Je devine bien, à lire ces lignes, ce qui a pu séparer les protestant de l'assemblée mère : quelque chose qui ressemble à l'inversion entre moyen et fin ; quelque chose qui semble friser l'idolâtrie. Le reproche est ancien d'un christianisme qui n'eût pas été capable de demeurer fidèle à son monothéisme : il n'est pas nécessairement exact même si le catholique ne manque jamais de s'entourer d'une armada de saints, de béatifiés et que l’Église lui demeure une prosopopée tentaculaire de la maternité à la fois bienveillante mais autoritaire. Au delà de ce qu'il nomme structure, Mauriac voit en l’Église un esprit qui transmet ou canalise … quelque chose comme un vivant. Une source où puiser.

C'est bien cette alchimie discrète qui entrecroise foi - où résonnent confiance autant qu'alliance - église - où assemblée pèse plus qu'institution et où la croisée du tisserand s'entrevoit encore puisqu'il n'est question que de Logos se faisant chair et, enfin Dieu mais un dieu étrangement absent, discret plus prétexte à mystère que fondation, oui cette alchimie qui signe cette facture de chrétien à l'ancienne qu'on eût pu croire disparue mais qui ne l'est peut-être pas autant que cela.

C'est à elle que je mesure ma distance - qui n'est pas un argument - mais qui force le respect, qui est lui-même une autre forme de mise à l'écart. Mais que je veux combler en tâchant de comprendre non pas la pesée historique mais métaphysique de ce curieux Grand Œuvre !

On ne s'étonnera pas de trouver ici, bientôt, quelques pages sur Dieu, l’Église, la foi …