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Alain Finkielkraut: un étrange républicain,
Laurent Joffrin

 


C’est tout de même autre chose que Zemmour… Pendant deux ans, Alain Finkielkraut a commenté l’actualité - ou, plus exactement, son actualité, soigneusement choisie pour illustrer ses idées - sur l’antenne de la Radio communale juive (RCJ) et dans le magazine d’Elisabeth Lévy, Causeur. Il en a tiré un livre fait de mélanges intelligents et rapides, écrits d’une plume élégante, qui contrastent avec les philippiques fiévreuses qu’il dispense à la télévision. Sa lecture est utile parce qu’on y trouve deux choses : un relevé de certaines erreurs patentes de la gauche, qui doivent faire réfléchir tous les progressistes ; mais aussi un corps de doctrine qui sert, désormais, d’armature au conservatisme français, hostile à l’islam, à la modernité technique et, au bout du compte, à la liberté.

Au fil des chroniques, le philosophe appelle de ses vœux une France qui sera inévitablement conduite, si ses idées l’emportaient, à restaurer des frontières fermées. Le tout dans un monde en pleine révolution dont on s’isolerait dans l’espoir de s’en protéger, ce qui serait la voie la plus sûre vers le déclin.

On rend volontiers des points à «Finky» sur nos propres ridicules. On en est d’autant plus à l’aise pour rejeter l’avenir étriqué qu’il nous propose. Des erreurs ? Il y en eut, il y en a. Quand plusieurs profs ont alerté l’opinion sur les «territoires perdus de la République», ces quartiers où l’enseignement des valeurs républicaines devenait difficile en raison de réactions communautaires inadmissibles, beaucoup à gauche ont ignoré, ont minimisé, ont camouflé cette rupture du contrat démocratique dans le souci de ne pas «stigmatiser» la minorité musulmane.

Erreur cardinale : il faut évidemment stigmatiser les comportements contraires aux principes de liberté et de droits de l’homme et qui sont, en général, l’effet de menées intégristes. Cette stigmatisation est nécessaire pour gagner justement à la cause de la République les musulmans qui souhaitent s’intégrer en France et qui sont la grande majorité. De la même manière, il faut se montrer intraitable avec les préjugés antisémites qu’on observe dans une partie de l’islam français. Aussi bien, une partie de la gauche a traité de manière fruste la question de l’identité nationale. Parce que ce thème était exploité par des forces intolérantes, on l’a déclaré tabou. Pourtant, il n’y a rien de honteux à aimer son pays, à partager un héritage, une histoire, à défendre la culture française, celle de Molière, Hugo ou Camus et à promouvoir l’identité française, dès lors qu’on y inclut, au premier chef, la geste républicaine, la saga du mouvement ouvrier ou l’héroïsme de la Résistance.

Pour s’intégrer, il faut s’intégrer à quelque chose et non à une forme vide. Toutes les minorités présentes en France doivent le comprendre. Mais ces rappels n’autorisent pas celui qui fait profession de culture et d’intelligence à charger comme il le fait la minorité musulmane de tous les péchés. Alain Finkielkraut est minutieux, intraitable, implacable avec les dérapages d’un certain communautarisme musulman. Cette croisade occupe pratiquement la moitié de ses chroniques d’actualité sur deux ans, toutes hostiles aux musulmans. Jamais il ne donne un exemple d’intégration réussie, de Français musulman illustre et précieux à la nation, de cohabitation paisible. Il condamne rapidement le racisme et déploie toute son énergie à critiquer l’antiracisme.

Dans cette anthologie soi-disant républicaine, on passe des juifs aux musulmans, des musulmans aux juifs, de la naïveté de la gauche à la candeur coupable des progressistes, avec, au passage, quelques déplorations passéistes sur la nocivité d’Internet et des nouvelles technologies. Des inégalités sociales, des excès de la finance, du défi écologique, de la crise démocratique, il n’est jamais question. Bref, on voit l’actualité mondiale dans un prisme religieux, ethnique, antimoderne et la France à travers la lunette déformante d’un pessimisme sans rémission. Alain Finkielkraut se définit comme républicain, ce qu’on veut bien croire. Mais de la République, il n’a ni l’optimisme historique, ni la confiance dans la science et l’industrie, ni le sens de l’égalité qu’il voit comme une illusion, ni l’amour de la liberté, dont il se méfie comme de la peste, ni le réflexe universaliste, tout occupé qu’il est des questions communautaires. Etrange républicanisme.