Jean-Paul SARTRE (1905-1980) L'Imaginaire, Paris, Ed. Gallimard, 1940, p 23.
On a
souvent procédé comme si l'image était d'abord constituée sur le type de la
perception et comme si quelque chose (réducteurs, savoir, etc.) intervenait
ensuite pour la replacer à son rang d'image. L'objet en image serait donc
constitué d'abord dans le monde des choses, pour être, après coup, chassé de
ce monde. Mais cette thèse ne cadre pas avec les données de la description
phénoménologique ; en outre, nous avons pu voir dans un autre ouvrage que,
si perception et image ne sont pas distinctes par nature, si leurs objets ne
se donnent pas à la conscience comme sui generis, il ne nous restera aucun
moyen pour distinguer ces deux façons de se donner les objets ; en un mot,
nous avons constaté l'insuffisance des critères externes de l'image. Il faut
donc — puisque nous pouvons parler d'images, puisque ce terme même a un sens
pour nous, — il faut que l'image, prise en elle-même, renferme dans sa
nature intime un élément de distinction radicale. Cet élément, une
investigation réflexive nous le fait trouver dans l'acte positionnel de la
conscience imageante.
Toute conscience pose son objet mais chacune à sa manière. La perception,
par exemple, pose son objet comme existant. L'image enferme, elle aussi, un
acte de croyance ou acte positionnel. Cet acte peut prendre quatre formes et
quatre seulement : il peut poser l'objet comme inexistant, ou comme absent,
ou comme existant ailleurs ; il peut aussi se « neutraliser », c'est-à-dire
ne pas poser son objet comme existant. Deux de ces actes sont des
négations : le quatrième correspond à une suspension ou neutralisation de la
thèse. Le troisième, qui est positif, suppose une négation implicite de
l'existence naturelle et présente de l'objet. Ces actes positionnels — cette
remarque est capitale — ne se surajoutent pas à l'image une fois qu'elle est
constituée : l'acte positionnel est constitutif de la conscience d'image.