Textes

La psychanalyse confrontée à l'épistémologie
Paul RICŒUR Professeur Emerite à Paris-X (Philosophie)

 

 

La question de la preuve en psychanalyse est aussi ancienne que la psychanalyse elle-même. Avant même d'être une requête adressée à la psychanalyse par les épistémologues, c'est une exigence interne à la psychanalyse elle-même. Le « Projet » de 1895 se présente comme un projet de psychologie scientifique. L'interprétation du rêve prétend être une science et non une construction fantastique, une « fine fairy tale » pour reprendre la remarque de Krafft-Ebing, jetée à la tête de Freud à la fin d'un exposé public. Tous les écrits didactiques de Freud — L'Introduction à la Psychanalyse, la Méta-psychologie, les Nouvelles Conférences sur la Psychanalyse et l'Abrégé de Psychanalyse — représentent chaque fois un nouvel effort pour communiquer aux non-spécialistes la conviction que la psychanalyse se rapporte authentiquement à ce qui est intelligible, à ce qui prétend être vrai. Et pourtant la psychanalyse n'a jamais pleinement réussi à montrer comment ses assertions se justifient, comment ses interprétations sont authentifiées, comment sa théorie est vérifiée. Le récent livre d'Arnold Grünbaum Foundations of Psychoanalysis confirme le malentendu qui règne entre psychanalystes et épistémologues formés à l'école du Cercle de Vienne, prolongée par le positivisme logique. Ce relatif insuccès de la psychanalyse à se faire reconnaître pour science résulte de la négligence de tous, dans les deux camps également, à poser certaines questions préliminaires. La première question concerne ce qui vaut comme fait en psychanalyse. La seconde concerne le type de relation qui existe entre la théorie et l'expérience analytique, sous son double aspect de méthode d'investigation et de traitement thérapeutique, enfin de la sorte de validation qu'on est en droit d'attendre dans le domaine de la psychanalyse : d'où la question de la preuve en psychanalyse.

1. Les critères du fait en psychanalyse

En ce qui concerne la première question, commençons par noter que dans les discussions traditionnelles sur le statut épistémologique de la théorie analytique on tient pour acquis qu'une théorie consiste en propositions dont le rôle est de systématiser, d'expliquer et de prédire des phénomènes comparables à ceux qui vérifient ou falsifient les théories dans les sciences naturelles ou dans celles des sciences humaines qui, à l'exemple de la psychologie académique, adoptent pour elles-mêmes l'épistémologie des sciences naturelles. Même quand nous n'avons pas à faire à un empirisme étroit qui n'exige pas d'une théorie qu'elle soit directement validée par des observables, nous continuons néanmoins à poser à la psychanalyse la même question que celle que nous posons à une science d'observation.

Mais c'est précisément ce qui est en question : qu'est-ce qui, en psychanalyse, mérite d'être considéré comme un fait, et ce qui vaut comme fait est-il de l'ordre de l'observable et du vérifiable ?

Ma thèse est que la théorie psychanalytique — en un certain sens qui sera précisé dans la seconde partie de cet essai — est la codification de ce qui prend place dans la situation analytique. C'est là que quelque chose se produit qui mérite d'être appelé l'expérience analytique. En d'autres termes, l'équivalent de ce que l'épistémologie de l'empirisme logique appelle des « observables » doit être cherché d'abord dans la situation analytique, dans la relation analytique. Notre première tâche dès lors sera de montrer de quelle manière la relation analytique suscite une sélection parmi les faits susceptibles d'être pris en compte par la théorie. Je propose de retenir pour la discussion ultérieure quatre critères de ce processus de sélection. Ces critères diffèrent entièrement de ceux par lesquels les sciences empiriques définissent un fait comme observable par des observateurs multiples et indépendants.


Premier critère. D'abord n'entre dans le champ d'investigation et de traitement que la part de l'expérience pulsionnelle susceptible d'être dite. Cette restriction au langage est avant tout une restriction inhérente à la technique analytique ; c'est le contexte particulier de non-engagement dans la réalité, propre à la situation analytique, qui contraint le désir à parler, à passer par le défilé des mots, à l'exclusion de toute satisfaction substituée aussi bien que de toute régression à l'acting out. C'est ce criblage par le discours dans la situation analytique qui fonctionne aussi comme critère de ce qui doit être tenu pour l'objet de cette science : non l'instinct en tant que phénomène physiologique, ni même le désir en tant qu'énergie, mais le désir en tant que signification capable d'être déchiffrée, traduite et interprétée. La théorie devra donc prendre en charge ce que nous pouvons appeler la dimension sémantique du désir.
C'est cette restriction sélective qui contraint à situer les faits de la psychanalyse dans la sphère de la signification et de la motivation.

Second critère. La situation analytique ne sélectionne pas seulement ce qui est dicible, mais ce qui met le désir en rapport à un autrui. Ici encore, le critère épistémologique est guidé par quelque chose d'absolument central dans la technique analytique. Le stade du transfert, à cet égard, est hautement significatif, et nous aurions tort de confiner la discussion du transfert à la sphère de la technique psychanalytique et par là même de négliger ses implications épistémologiques pour la recherche de critères appropriés. Il suffit pour le montrer de revenir à un texte crucial de la technique analytique, l'essai de 1914 intitulé : Remémoration, Répétition et Translaboration (Durcharbeiten). Dans cet essai Freud commente l'épisode de la cure où le souvenir des événements traumatiques est remplacé par la compulsion à répéter qui bloque la remémoration : « L'analysant, dit-il, répète au lieu de se souvenir et le fait au moyen de la résistance. » C'est alors qu'il introduit le transfert qu'il décrit comme « l'instrument principal... pour contraindre la compulsion du patient à répéter et pour le transformer en un motif de remémoration ». Pourquoi le transfert a-t-il cet effet ? La réponse à cette question conduit aux considérations épistémologiques directement greffées sur ce qui paraît n'être d'abord qu'une affaire strictement technique. Si la résistance peut être levée et la remémoration libérée, c'est parce que le transfert constitue quelque chose comme « une arène dans laquelle [la compulsion du patient à répéter] a le loisir de se déployer dans une liberté presque complète ». Étendant cette analogie de l'arène, Freud dit plus précisément :


« Le transfert crée ainsi une région intermédiaire entre la maladie et la vie réelle grâce à quoi la transition se fait de l'une à l'autre. » C'est cette notion du transfert comme « arène » ou « région intermédiaire » qui guide mes remarques appliquées au second critère de ce qui est psychanalytiquement valable comme fait. Dans cette « arène », dans cette « région intermédiaire », en effet, nous pouvons lire la relation avec l'autre constitutive de la demande érotique adressée à autrui. C'est sous ce rapport que le transfert a sa place non seulement dans une étude de la technique analytique, mais aussi dans une recherche épistémologique de critères. Il révèle ce trait constitutif du désir humain : non seulement il est susceptible d'être dit, d'être porté au langage, mais il est adressé à autrui. Plus précisément, il est adressé à un autre désir susceptible de méconnaître sa demande. Ce qui est ainsi criblé de l'expérience humaine est la dimension immédiatement intersubjective du désir.

C'est pourquoi, dès le début, ce qui pourrait être considéré comme un solipsisme du désir est éliminé, en dépit de tout ce qu'une définition du désir en termes d'énergie, de tension, de décharge, pourrait nous amener à croire. La médiation de l'autre n'est constitutive du désir qu'en tant qu'il est adressé à... Cet autre peut être quelqu'un qui répond ou qui refuse de répondre, quelqu'un qui gratifie ou quelqu'un qui menace. Il peut être, surtout, réel ou fantasmé, présent ou absent, source d'angoisse ou objet d'un deuil réussi. Par le transfert, la psychanalyse maîtrise et examine ces possibilités alternatives en transposant le drame à plusieurs acteurs qui a engendré la situation névrotique sur une sorte de scène artificielle en miniature. Ainsi c'est l'expérience analytique elle-même qui contraint la théorie à inclure l'intersubjectivité dans la constitution même de la libido et à la concevoir moins comme un besoin que comme un souhait (Wunsch) dirigé vers autrui.

— Troisième critère. Le troisième critère introduit par la situation analytique concerne la cohérence et la résistance de certaines manifestations de l'inconscient — tels que fantasmes ou symptômes — qui ont conduit Freud à parler de réalité psychique par contraste avec la réalité matérielle. Ce sont les traits différentiels de cette réalité psychique qui sont psychanalytiquement pertinents. Ce critère est paradoxal dans la mesure où c'est ce que le sens commun oppose à la réalité qui est constitutif de cette réalité psychique.

Dans l'Introduction à la Psychanalyse, par exemple, Freud écrit : « Les fantasmes possèdent une réalité psychique opposée à la réalité matérielle... ; dans le monde de la névrose, cette réalité psychique joue le rôle dominant. »

L'important, ici, est que c'est l'expérience analytique elle-même qui impose l'expression réalité psychique pour désigner certaines productions qui tombent sous l'opposition de l'imaginaire et du réel, non seulement pour le sens commun, mais aussi, d'une certaine façon, en contradiction apparente avec l'opposition, fondamentale en psychanalyse, entre le principe de plaisir, d'où relève le fantasme, et le principe de réalité. C'est pourquoi ce concept rencontre une résistance, non seulement du côté du sens commun et des habitudes formées par les sciences d'observation, mais aussi de la part de la théorie psychanalytique elle-même et de sa dichotomie tenace entre l'imaginaire et le réel.

Les conséquences épistémologiques de ce paradoxe de l'expérience analytique sont considérables : tandis que la psychologie académique ne met pas en question la différence entre le réel et l'imaginaire, dans la mesure où ses entités théoriques sont supposées se rapporter à des faits observables et, à titre ultime, à des mouvements réels dans l'espace et le temps, la psychanalyse n'a à faire qu'avec la réalité psychique et non avec la réalité matérielle. Dès lors son critère de réalité n'est plus ce qui est observable, mais ce qui présente une cohérence et une résistance comparables à celle de la réalité matérielle.

L'éventail des phénomènes satisfaisant à ce critère est immense. Les fantasmes dérivés des scènes infantiles (observation des relations sexuelles entre les parents, séduction et, avant tout, castration) constituent le cas paradigmatique dans la mesure où, en dépit de leur base fragile dans l'histoire du sujet, ils présentent une organisation hautement structurée et sont inscrits dans des scenarii qui sont à la fois typiques et limités en nombre.

La notion de réalité psychique n'est pas épuisée par celle de fantasme, au sens de ces scenarii archaïques. L'imaginaire, en un sens large, couvre toutes les sortes de médiations impliquées dans le déploiement du désir. Au voisinage de la scène infantile, par exemple, nous pouvons placer tout le domaine des objets abandonnés qui continuent à se présenter comme fantasmes. Freud introduit cette notion en relation avec le problème des formations de symptômes. Les objets abandonnés par la libido fournissent le lien manquant entre la libido et ces points de fixation dans le symptôme.

De la notion d'objet abandonné, la transition est aisée à celle d'objet substitué. Les Trois Essais sur la Théorie de la Sexualité partent de la variabilité de l'objet, par contraste avec la stabilité du but de la libido, et dérive de cet écart le caractère substituable des objets d'amour. Dans Les Instincts et leurs vicissitudes, Freud procède d'une façon systématique à la construction sur cette base des configurations typiques engendrées par la combinatoire des substitutions : par inversion, renversement, etc., le sujet est susceptible de se mettre à la place de l'objet, comme dans le cas du narcissisme.

La substituabilité, à son tour, est la clé d'une autre série de phénomènes centraux pour l'expérience analytique. A l'époque de l'Interprétation des Rêves, Freud a perçu l'aptitude remarquable du rêve à se substituer au mythe, au folklore, au symptôme, à l'hallucination, à l'illusiont. En effet, la réalité entière de ces formations psychiques consiste dans l'unité thématique qui sert de base au jeu de ces substitutions. Leur réalité est leur signification ; et leur signification est leur aptitude à se substituer l'une à l'autre. C'est en ce sens que les notions d'objet perdu et d'objet substitué — notions cardinales de l'expérience analytique — méritent d'occuper aussi une position clé dans la discussion épistémologique. Elles interdisent tout simplement de parler de « fait » en psychanalyse, comme on le fait dans les sciences d'observation.

Je ne veux pas quitter ce critère de réalité psychique sans ajouter un chaînon ultime à la chaîne des exemples qui nous a conduits du fantasme à l'objet perdu, puis à l'objet substitué. Ce chaînon nous assurera que la chaîne entière relève intégralement de l'expérience analytique. Cet exemple est celui du travail de deuil ; le deuil, en tant que tel, est un cas remarquable de la réaction à la perte d'un objet. C'est, bien entendu, la réalité qui impose le travail de deuil, mais une réalité qui inclut la perte de l'objet, par conséquent une réalité marquée par le verdict de l'absence. En conséquence, le deuil consiste dans « la réalisation degré par degré de chacun des ordres proclamés par la réalité ». Mais cette réalisation consiste précisément dans l'intériorisation de l'objet perdu, à propos duquel Freud dit : « Son existence continue sur le mode psychique. »

Si je conclus cet examen du critère de la réalité psychique par le travail de deuil, ce n'est pas seulement pour souligner l'ampleur des phénomènes issus de l'abandon de l'objet, mais pour montrer à quel point le phénomène de deuil est près du cœur même de la psychanalyse. La psychanalyse commence par tenir le fantasme pour paradigme de la réalité psychique ; mais elle continue au moyen d'un travail qui peut lui-même être compris comme un travail de deuil, c'est-àdire comme intériorisation des objets perdus du désir instinctuel. Loin de se borner à dissoudre le fantasme au bénéfice de la réalité, la cure vise aussi à le recouvrer en tant que fantasme, en vue de le situer, sans le confondre avec le réel, au plan de l'imaginaire. Cette parenté entre la cure et le travail de deuil confirme, si une confirmation ultérieure était encore nécessaire, que l'expérience analytiqu e elle-même requiert que nous ajoutions la référence au fantasme aux deux précédents critères. En effet, ce qui est dit (premier critère), ce qui est demandé d'autrui (second critère) portent la marque des formations imaginaires particulières que Freud rassemble sous le titre générique de phantasieren. Il suit que ce qui est pertinent pour l'analyste, ce ne sont pas des faits observables ou des réactions observables à des variables d'environnement, mais la signification que les mêmes événements que ceux considérés par le psychologue en tant qu'observateur, assument pour un sujet. Je me risquerai à dire, en bref, que ce qui est psychanalytiquement pertinent, c'est ce qu'un sujet fait de ses fantasmes (au sens très large que je viens de dire).

— Quatrième critère. La situation analytique retient de l'expérience d'un sujet ce qui est capable d'entrer dans une histoire ou un récit. En ce sens « les histoires de cas », en tant qu'histoires, constituent les textes primaires de la psychanalyse. Ce caractère narratif de l'expérience psychanalytique n'est jamais discuté directement par Freud, du moins à ma connaissance. Mais il s'y réfère indirectement dans ses considérations sur la mémoire. On se souvient de la fameuse déclaration des Études sur l'hystérie, à savoir que « les patients hystériques souffrent principalement de réminiscences. » Bien sûr, maints souvenirs se sont avérés n'être que des souvenirs-écrans, des fantasmes, plutôt que des souvenirs réels, dès lors que Freud a cherché l'origine réelle de la souffrance névrotique. Mais ces fantasmes, à leur tour, seront toujours considérés en relation à l'oubli et au re-souvenir, en vertu de leur relation à la résistance et de la connexion entre résistance et répétition. La remémoration, dès lors, est ce qui doit remplacer la répétition. La lutte contre la résistance — ce que Freud appelle durcharbeiten — translaboration — n'a pas d'autre but que de rouvrir le chemin de la mémoire.

Mais qu'est-ce que se souvenir ? Ce n'est pas simplement évoquer certains événements isolés, mais devenir capable de former des séquences signifiantes et des connexions ordonnées. En bref, c'est être capable de constituer sa propre existence en forme d'histoire, de telle façon qu'un souvenir isolé ne soit que le fragment de ce récit. C'est la structure narrative de ces histoires vécues qui fait d'une vie une « histoire de cas ».

Qu'une telle mise en ordre par l'analysant des épisodes de sa propre vie sous forme d'histoire constitue une sorte de travail — comme le mot translaboration le suggère —, est attesté par le rôle d'un phénomène fondamental de l'imaginaire, à savoir le phénomène d'après-coup — Nachträglichkeit — qui a si bien été dégagé par Jacques Lacan. C'est le fait que « les expressions, les impressions, les traces mnésiques, sont refondues plus tard en fonction de l'expérience nouvelle de l'accès à un nouveau stade de développement, et qu'elles peuvent assumer non seulement une signification nouvelle, mais une nouvelle efficacité » (Vocabulaire de la Psychanalyse, p. 33). Avant de poser un problème théorique, ce phénomène est impliqué dans le travail de la psychanalyse elle-même. C'est dans le processus de translaboration évoqué plus haut que Freud découvre que l'histoire du sujet ne se conforme pas à un déterminisme linéaire qui placerait le présent sous l'emprise du passé de façon univoque. Au contraire, la restitution des éléments traumatiques par le travail de l'analyse révèle que, à l'époque où ils ont été éprouvés, ils ne pouvaient pas être pleinement intégrés à un contexte signifiant. C'est seulement l'advenue d'événements nouveaux et de situations nouvelles qui précipite la restructuration récurrente de ces événements antérieurs. Ainsi, dans «L'Homme aux Loups», c'est une seconde scène, sexuellement significative, qui, après coup, confère à la première scène son efficacité. De façon générale, de nombreux souvenirs refoulés ne deviennent traumatiques qu'après coup. Il s'agit de beaucoup plus que d'un simple délai ou d'une action différée. Il apparaît ici que nous sommes fort éloignés de la notion d'une mémoire qui se bornerait à reproduire des événements réels dans une sorte de perception du passé ; il s'agit plutôt d'un travail qui ne cesse de ré-élaborer des structurations antérieures sous des formes de plus en plus complexes. C'est ce travail de la mémoire qui est impliqué, entre autres choses, par la notion de récit ou de structure narrative de l'existence.

Pour la quatrième fois, donc, une vicissitude de l'expérience analytique révèle un trait pertinent de ce qui, en psychanalyse, vaut comme « fait ».

2. Procédure d'investigation, méthode de traitement et termes théoriques

Le second malentendu qui oppose psychanalystes et épistémologues concerne la nature de la relation susceptible d'être établie entre la théorie et ce qui vaut comme fait en psychanalyse.

Dans la perspective d'une analyse opérationnelle, les termes théoriques d'une science d'observation doivent pouvoir être reliés à des observables par le moyen de règles d'interprétation ou de traduction qui assurent la vérification indirecte de ces termes. La question est alors de savoir si les procédures opératoires qui assurent la transition du niveau des entités théoriques à celui des faits ont la même structure et la même signification en psychanalyse que dans les sciences d'observation.

Pour répondre à cette question, je voudrais revenir à une des déclarations de Freud qui traite précisément du statut épistémologique de la théorie en psychanalyse. Nous lisons dans « Psychanalyse et Théorie de la Libido » que « la psychanalyse est le nom donné :

1) à une procédure (Verfahren)d'investigation des processus psychiques.. ;

2) à une méthode (basée sur cette investigation) pour le traitement (Behandlungsmethode) des désordres névrotiques ;

3) à une collection de conceptions (Einsichten) psychologiques qui s'est développée selon ces lignes et a pris graduellement la consistance d'une nouvelle discipline scientifique ».

Cette relation triangulaire entre un procédé d'investigation, une méthode de traitement et une théorie occupe la place de la relation entre théorie et faits dans les sciences d'observation. Non seulement la psychanalyse traite de

« faits » d'une nature particulière, mais ce qui tient la place des procédures opératoires à l'œuvre dans les sciences de la nature est un type unique de relation entre procédure d'investigation et méthode de traitement. C'est cette relation qui fait médiation entre la théorie et les faits. Or, avant de dire quoi que ce soit sur le rôle du troisième terme, la théorie, la relation entre procédure d'investigation et méthode de traitement n'est pas elle-même facile à saisir. Si cette relation peut apparaître non problématique pour une pratique qui se soucie peu de spéculation théorique, elle soulève des difficultés considérables pour la réflexion épistémologique. Très en gros,on peut dire que la procédure d'investigation tend à donner la préférence aux relations de

« signification » entre des productions mentales, tandis que la méthode de traitement tend à donner la préférence aux relations de « force » entre des

systèmes. La fonction de la théorie sera précisément d'intégrer ces deux aspects de la réalité psychique.

La procédure d'investigation a en effet une affinité profonde avec les disciplines d'interprétation textuelle. Nous lisons par exemple dans L'Interprétation des Rêves — dont le titre est à cet égard révélateur : Traumdeutung — que « le but que je me suis proposé de montrer est que les rêves sont susceptibles d'être interprétés... "interpréter" un rêve implique qu'on lui assigne une "signification" (Sinn). C'est-à-dire qu'on le remplace (ersetzen) par quelque chose qui s'insère (sich einfügt) dans la chaîne de nos actes mentaux à titre de chaînon disposant d'une validité et d'une importance égales au reste ». A cet égard, l'interprétation a souvent été comparée à la traduction d'une langue dans une autre ou à la solution d'un rébus. Freud n'a jamais mis en doute que, aussi inaccessible que l'inconscient puisse être, il participe néanmoins des mêmes structures psychiques que la conscience. C'est cette structure commune qui permet « d'interpoler » des actes inconscients dans le texte des actes conscients. Ce trait pertinent de la méthode d'investigation s'accorde bien avec les critères qu'on a reconnus aux « faits » en psychanalyse, en particulier avec les critères de dicibilité et de substituabilité (critères 1 et 3). Si la procédure d'investigation peut être appliquée à la fois aux symptômes névrotiques et aux rêves, c'est parce que « la formation de rêve (Traumbildung) et la formation de symptôme (Symptombildung) sont homogènes et substituables ». Ce point a été reconnu dès l'époque des Études sur l'Hystérie, dans laquelle la « Communication préalable » traite déjà de la relation entre la cause déterminante et le symptôme hystérique comme d'un « lien symbolique », parent du processus de rêve. Cette parenté étroite entre diverses formations de compromis nous permet de parler de la psyché comme d'un texte à déchiffrer.

Cette notion largement inclusive de texte embrasse la profonde unité non seulement entre rêve et symptôme, mais entre ces deux formations prises ensemble et le rêve diurne, le mythe, la légende, les proverbes, les jeux de mots et les mots d'esprit. L'extension graduelle de cette méthode d'investigation est assurée par la parenté particulière qui se révèle entre, d'un côté, le groupe des fantasmes désignés plus haut comme scènes infantiles (placées dans l'Interprétation des Rêves parmi « les rêves typiques » : rêve de nudité, rêve de la mort d'une personne chère, etc.) et, d'autre part, les structures mythiques les plus hautement organisées et les plus permanentes. Sous la même procédure d'investigation tombe, de la façon la plus remarquable, la structure

« textuelle » commune au complexe d'Œdipe, découvert par Freud dans son auto- analyse, et la tragédie grecque d'Œdipe, qui nous est transmise par la littérature. Il y a ainsi une correspondance entre l'extension de la procédure d'investigation et ce qu'on pourrait appeler l'espace du fantastique en général, dans lequel viennent prendre place des productions psychiques aussi diverses que le rêve éveillé, les jeux d'enfants, les romans psychologiques et d'autres créations poétiques. De la même manière, les conflits psychiques inscrits dans la pierre du Moïse de Michel-Ange se prêtent à l'interprétation en vertu de la nature figurative et substituable de tous les systèmes de signes qui relèvent de la même procédure d'investigation.

Mais si nous nous bornions à suivre ce qui est suggéré par les concepts de texte et d'interprétation, nous arriverions à une notion entièrement erronée de la psychanalyse. La psychanalyse pourrait être purement et simplement placée sous l'égide des sciences historico-herméneutiques, parallèlement à la philologie et à l'exégèse. Nous omettrions alors des traits spécifiques de l'interprétation qui ne peuvent être saisis que quand la méthode d'investigation est jointe à la méthode de traitement. Pourquoi en effet, la signification du symptôme et celle du rêve sont-elles si difficiles à déchiffrer, sinon parce que, entre la signification manifeste et la signification latente, s'interposent des mécanismes de distorsion (Entstellung), ces mêmes mécanismes que Freud énumère sous le titre de « travail de rêve » dans L'Interprétation des Rêves ? (les diverses formes de ce travail sont bien connues : condensation, déplacement, etc. ; nous ne nous occupons pas ici de la théorie du rêve mais de la relation entre interprétation et méthode de traitement).

Cette « distorsion » est en vérité une sorte étrange de phénomène et Freud a recours à toutes sortes de métaphores quasi physiques pour rendre compte de cette déformation dont il dit qu'« elle ne pense, ne calcule, ni ne juge d'aucune façon que ce soit ». Nous avons déjà mentionné la condensation et le

déplacement, qui sont des métaphores quasi physiques pour le travail du rêve. Mais c'est la métaphore centrale du refoulement qui organise toutes les autres métaphores, au point de devenir un concept théorique dont l'origine métaphorique est oubliée (comme l'est d'ailleurs lui-même le concept de distorsion, qui signifie littéralement un déplacement violent aussi bien qu'une déformation). La semi-métaphore du refoulement appartient au même cycle.

Une autre métaphore quasi physique d'égale importance est celle d'investissement, dont Freud ne cache pas la parenté avec l'opération d'un capitaliste qui investit ses fonds au service d'un entrepreneur.

« L'entrepreneur de rêve », c'est la pensée diurne ; et « le capitaliste qui engage la mise de fonds psychologique nécessaire pour le lancement du rêve est toujours, absolument, quelle que soit la pensée diurne, un désir venant de l'inconscient » (trad. fr. p. 477). Ce jeu de métaphores devient extrêmement complexe, du moment où Freud entreprend de tisser entre elles des métaphores textuelles (traduction, substitution, surdétermination, etc.) et des métaphores énergétiques (condensation, déplacement, refoulement), produisant ainsi des métaphores mixtes telles que déguisement, censure, etc.

Pourquoi Freud s'engage-t-il dans de telles complications, en usant de concepts qui demeurent semi métaphoriques, voire des métaphores inconsistantes, polarisées entre, d'une part, le concept mécanique de compromis, compris lui- même comme la résultante de forces multiples en interaction ? Je suggère que c'est la conjonction entre procédure d'investigation et méthode de traitement qui contraint la théorie à opérer de cette façon et à user de concepts semi métaphoriques dépourvus de cohérence.

Faisons une pause et considérons la méthode de « traitement » que nous avons distinguée plus haut de la méthode d'investigation. Traitement signifie « maniement » (Behandlung). La notion est donc à prendre en un sens qui dépasse considérablement la notion strictement médicale de « cure », pour désigner l'ensemble de la procédure analytique, dans la mesure où l'analyse elle-même est une sorte de travail. Ce travail est à la fois l'inverse de ce qui vient d'être décrit comme travail du rêve et le corrélatif de ce qu'on a désigné plus haut comme travail de deuil. A la question de savoir ce qui fait de l'analyse un travail, Freud donne une réponse constante : la psychanalyse est essentiellement une lutte contre les résistances. C'est cette notion de résistance qui nous empêche d'identifier la procédure d'investigation avec une simple interprétation, avec une compréhension purement intellectuelle de la signification des symptômes. L'interprétation, entendue comme traduction, ou comme déchiffrement, bref comme la substitution d'une signification intelligible à une signification absurde, n'est que le segment intellectuel de la procédure analytique.

Qu'est-ce que cela signifie pour notre enquête épistémologique ? Essentiellement ce qui suit : la paire formée par le procédé d'investigation et la méthode de traitement occupe exactement la même place que les procédés opératoires qui, dans les sciences d'observation, relient le niveau des entités théoriques à celui des data observables. Cette paire constitue la médiation spécifique entre théorie et « faits » en psychanalyse. Et cette médiation opère de la façon suivante : en coordonnant l'interprétation et le maniement des résistances, la praxis analytique fait appel à une théorie où la psyché est représentée à la fois comme un texte à interpréter et comme un système de forces à manipuler. En d'autres termes, c'est le caractère complexe de la pratique effective qui force la théorie à surmonter la contradiction apparente entre la métaphore du texte à interpréter et celle des forces à manier ; en bref, la pratique nous force à penser ensemble signification et force dans une théorie inclusive. C'est de la coordination pratique de l'interprétation et du maniement des résistances que la théorie reçoit la tâche de former un modèle capable d'articuler les faits tenus pour pertinents dans l'expérience analytique. C'est de cette façon que les relations entre procédé d'investigation et méthode de traitement constituent la médiation nécessaire entre la théorie et les « faits ».

3. La question de la preuve

Maintenant, la psychanalyse possède-t-elle une théorie qui satisfasse à ces exigences ? Autrement dit qui tienne compte aussi bien des critères du « fait » en psychanalyse que de la cohésion entre la théorie et la paire formée par le procédé d'investigation et la méthode de traitement (dans la mesure où en analyse cette paire tient la place de la médiation entre théorie et expérimentation) ?

Il me semble que c'est à la lumière de ces questions que l'œuvre théorique de Freud — c'est-à-dire essentiellement sa « métapsychologie » — devrait être examinée aujourd'hui. Si la métapsychologie de Freud a pu être érigée en fétiche par quelques-uns et traitée par le mépris par d'autres, c'est parce qu'on en a fait une construction indépendante. Trop d'œuvres épistémologiques examinent les grands textes théoriques — depuis P« Esquisse » de 1895 et le chapitre VII de la Traumdeutung jusqu'à Le Moi et le Ça — hors du contexte total de l'expérience et de la pratique. Isolé de cette manière, le corps de doctrine ne peut conduire qu'à des évaluations prématurées et tronquées. La théorie doit donc être relativisée, entendons, replacée dans le réseau complexe de relations qui l'englobent. Dès lors, on peut dire qu'en psychanalyse les moyens de preuve résident dans l'articulation du réseau entier constitué par la théorie, les procédés d'interprétation, le traitement thérapeutique et la structure narrative de l'expérience analytique.

Je n'ignore pas que cette assertion conduit à l'objection la plus formidable de toutes contre la psychanalyse, à savoir que ses énoncés sont irréfutables et par conséquent invérifiables, s'il est vrai que théorie, méthode, traitement et interprétation d'un cas particulier se vérifient en bloc et d'un seul coup. Si l'investigation poursuivie ici ne réussit qu'à formuler les moyens pour y répondre, elle aura atteint son but.

Je laisse de côté la forme grossière de cette objection, à savoir que l'analyste suggère à son patient d'accepter l'interprétation qui vérifie la théorie. Je tiens pour acquises les réponses que Freud donne à cette accusation. Elles valent ce que valent les mesures prises au niveau du code professionnel et de la technique analytique elle-même contre le soupçon de suggestion. Je tiens pour acquis que ces mesures définissent un bon analyste, — et qu'il y a de bons analystes.

Il est plus intéressant de prendre Freud à son mot et de se battre avec une forme plus subtile de l'accusation d'auto-confirmation, à savoir que la validation en psychanalyse est condamnée à rester circulaire, puisque tout y est vérifié à la fois. Considérons cet argument. Il est d'autant plus important de procéder ainsi que la notion de cercle est familière à toutes les disciplines historico-interprétatives dans lesquelles un « cas » n'est pas seulement un exemple à placer sous une loi, mais une aventure singulière, dotée de sa propre structure dramatique qui en fait une « histoire de cas ». Le problème, dit Heidegger, en référence au cercle herméneutique, n'est pas d'éviter le cercle mais d'y entrer correctement. Autrement dit, de prendre des mesures telles que le cercle ne soit pas un cercle vicieux. Or un cercle est vicieux si la vérification dans chacun des domaines considérés est la condition de vérification dans chaque autre domaine. Le cercle de la vérification ne sera pas vicieux si la validation procède de façon cumulative par le renforcement mutuel de critères qui, pris isolément, ne seraient pas décisifs, mais dont la convergence les rend plausibles et, dans le meilleur des cas, probables et même convaincants.

Je dirai donc que la validation susceptible de confirmer la prétention à la vérité propre au domaine des faits psychanalytiques est un processus extrêmement complexe qui est basé sur l'action conjuguée de critères partiels et hétérogènes. Si l'on prend pour guide l'idée d'une constellation formée par la théorie, les procédés d'investigation, la technique de traitement et la reconstruction d'une histoire de cas, on peut alors dire ce qui suit :

1) Une bonne explication psychanalytique doit être cohérente avec la théorie ou, si l'on préfère, elle doit se conformer au système psychanalytique de Freud, ou au système par lequel telle ou telle école se réclamant de son nom est identifié (on se rappellera toutefois que j'ai limité mes considérations aux écrits de Freud).

Ce premier critère n'est pas particulier à la psychanalyse. En tout champ d'investigation l'explication établit une connexion de ce genre entre un appareil théorique de concepts et un faisceau de faits relevant de ce style théorique. En ce sens toute explication est limitée par son propre réseau conceptuel. Sa validité s'étend aussi loin que vaut la corrélation entre théorie

et faits. Pour la même raison, toute théorie peut être mise en question. Une nouvelle théorie est requise, comme Thomas Kuhn l'a montré, aussitôt que de nouveaux faits sont reconnus qui ne peuvent plus être « couverts » par le paradigme dominant. Quelque chose de semblable est peut-être en train de se produire aujourd'hui en psychanalyse, comme en témoignent les travaux théoriques de Lacan, Winnicott, Balint, Kohut, Bion, Green. Le modèle théorique de distribution de l'énergie apparaît de plus en plus inadéquat, mais aucun modèle alternatif ne paraît être encore assez puissant pour « couvrir » tous les faits ressortissant à la psychanalyse et pour rendre compte de leur nature paradoxale.

2) Une bonne explication psychanalytique doit en outre satisfaire aux règles universalisables établies par les procédures d'investigation en vue du décodage du texte de l'inconscient. Ce deuxième critère est relativement indépendant du précédent, dans la mesure où il repose sur la cohérence interne du nouveau texte substitué par voie de traduction au texte illisible des symptômes et des rêves. A cet égard, le modèle du rébus est tout à fait approprié. Il montre que le caractère d'intelligibilité du texte substitué réside dans sa capacité à prendre en compte autant d'éléments isolés que possible parmi ceux que le processus analytique lui-même fournit, plus particulièrement ceux qui résultent de la technique des associations libres.

Un corollaire de ce second critère mérite attention. Il concerne l'expansion des procédés d'interprétation au-delà de la terre natale de la psychanalyse, à savoir les symptômes et les rêves, le long des lignes analogiques qui relient légendes, mots d'esprit, etc. au premier analogon de la série, le rêve. Une nouvelle sorte de cohérence apparaît ici qui ne concerne pas seulement l'intelligibilité interne du texte traduit, mais aussi l'analogie de structure qui apparaît entre tous les membres de la série des productions psychiques. Le second critère de validation peut dès lors être formulé de deux manières complémentaires, comme critère de consistance intertextuelle. La seconde formulation est devenue la plus importante, dans la mesure où l'universalisation des règles de décodage repose sur la solidité de l'extrapolation analogique qui conduit des symptômes et des rêves aux autres expressions culturelles. En même temps le caractère purement analogique de cette extrapolation nous rappelle la valeur problématique de ce moyen de preuve. Mais, même la limitation qui résulte de la structure analogique de ce critère de validation procède d'une raison structurale distincte de celle qui impose une limite au premier critère.

3) Une bonne explication psychanalytique doit en outre être satisfaisante en termes économiques, en d'autres termes elle doit pouvoir être incorporée au travail de l'analysant, et ainsi devenir un facteur thérapeutique d'amélioration. Ce troisième critère, lui aussi, est relativement indépendant du premier, puisqu'il implique quelque chose qui arrive à l'analysant sous la condition de son propre « travail » (d'où la substitution du terme analysant à celui de patient et même de client). En outre, il est relativement indépendant du second critère, pour autant qu'une interprétation qui est seulement comprise, c'est-à-dire appréhendée intellectuellement, reste inefficace et peut même être nuisible, aussi longtemps qu'une nouvelle configuration d'énergie n'a pas émergé du « maniement » des résistances. Le succès thérapeutique qui résulte de cette nouvelle configuration énergétique constitue, de cette façon, un critère autonome de validation.

4) Finalement une bonne explication psychanalytique doit pouvoir élever une histoire particulière de cas à la sorte d'intelligibilité narrative que nous attendons ordinairement d'un récit. Ce quatrième critère ne devrait pas être surestimé, comme ce serait le cas dans une interprétation purement « narrative » de la théorie psychanalytique. Toutefois, la relative autonomie de ce critère ne doit pas être négligée non plus, dans la mesure où l'intelligibilité narrative implique quelque chose de plus que l'acceptabilité que nous mettons en œuvre quand nous lisons n'importe quelle histoire, qu'elle soit vraie ou fictive. Selon l'expression de W.B. Gallie dans Philosophy and the Historical Understanding, l'histoire doit pouvoir « être suivie », et, en ce sens, « s'expliquer par elle-même ». Nous interpolons une explication quand le processus narratif est bloqué et afin de « suivre à nouveau et plus loin ». Cette explication est acceptable dans la mesure où elle peut être greffée sur des archétypes de la narration, tels qu'ils ont été culturellement développés et tels qu'ils régissent notre compétence actuelle à suivre de nouvelles histoires.

La psychanalyse à cet égard ne fait pas exception. Les récits psychanalytiques sont des sortes de biographies et d'autobiographies, dont l'histoire littéraire se rattache à la longue tradition issue de l'épopée orale des Grecs, des Celtes et des Germains. C'est toute cette tradition narrative qui fournit une autonomie relative au critère d'intelligibilité narrative, par contraste avec non seulement la cohérence des procédés d'interprétation, mais aussi l'efficacité du changement introduit dans l'équilibre des énergies libidinales.

En conséquence, lorsque ces critères de validation ne dérivent pas l'un de l'autre, mais se renforcent mutuellement, ils constituent l'appareil de la preuve en psychanalyse. On peut accorder que cet appareil est extrêmement complexe, très difficile à manier, et hautement problématique. Mais on peut au moins assumer que seul ce caractère cumulatif des critères de validation s'accorde, d'une part aux critères du fait psychanalytique qui spécifient la prétention à la vérité en psychanalyse, et d'autre part aux relations complexes entre la théorie, les procédés d'investigation et la méthode de traitement qui régit les moyens de preuve en psychanalyse.

P.R.