Chronique d'un temps si lourd
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Réactionnaires....

Le Monde titre ce soir sur le réveil de la France réactionnaire, couvrant à la fois les différentes manifestations, celle de la semaine précédente et celle prévue demain.

Intéressant parce qu'il révèle le désarroi que suscite cette montée-là d'une colère diffuse, confuse, souvent extrême, dérapant aisément vers des mots d'ordre non seulement réactionnaires mais souvent fascistes, mais trop souvent racistes.

Désarroi parce que ce mouvement est confus, fait flèche de tout bois et notamment de rumeurs ; mais diffus aussi parce qu'il n'a pas vraiment de mot d'ordre ni réellement d'objectif ; il ne combat rien de particulier mais s'oppose à tout. Bref un mouvement irrationnel, de peur pour ne pas dire d'angoisse ; d'angoisse pour ne pas dire de phobie.

Réactionnaire, ce courant l'est au sens premier du terme : c'est une réaction non tant spontanée qu'irrationnelle, qui trouve son origine et sa force non dans une réflexion ou un projet mais plus prosaïquement dans la peur de la décadence, de l'offense, de la crise ... Pour cela même, elle ne débouche sur rien, ne propose rien - même pas le retour en arrière ce qui en ferait un conservatisme - ne bâtit rien.

Fasciste, il l'est en partie - je veux dire que certains de ceux qui s'y nichent et s'en servent de tremplin sont d'authentiques fascistes. A bien entendre ce qui fait se lever ces foules - refus du mariage pour tous ; refus de l'avortement ; délire autour de la théorie du genre, tous thèmes relevant de ce qu'on nomme aujourd'hui sociétal mais qui en réalité renvoient tous à la famille- on devine bien que ce qui s'énonce, au nom de la perte des valeurs et des repères, c'est en deçà de la crainte de la décadence, l'affirmation de l'enracinement dans la race, le genre, le peuple et la terre. Le primat du groupe sur l'individu et la nécessité pour lui de s'y plier. Toute préférence sexuelle, tout déterminisme social ou culturel ne sauraient être que des incongruités qui viseraient toutes à dissoudre le collectif. N'oublions pas que Maurras exécrait à la fois la Révolution, pour avoir sapé l'ordre séculaire de l'autorité ; le Romantisme pour son culte de l'ego, nécessairement asocial, et la République bien sûr pour l'illusion qu'elle draine d'égalité et de liberté. Par quelque bout que l'on prenne ce mouvement, il dit cela d'abord : ce refus acharné de l'individu et l'exigence d'une morale tout entière centrée sur l'obéissance au groupe et à la nature.

Totalement irrationnel il l'est enfin, ce qui veut dire aussi non rationalisable. Le dialogue semble vain, en dépit qu'on en ait, face à des mots d'ordre qui ne s'appuient sur rien de vérifié ni de rigoureux ; qui opposent toujours aux faits la suspicion d'un complot ; à la démonstration, l'invective contre tel ou tel groupe ; quand ce n'est pas la haine, purement et simplement. Il serait aisé de reprendre cette phrase célèbre de Baldur von Schirach : quand j'entends le mot culture, je sors mon pistolet ; il se joue ici pourtant quelque chose de cet ordre. Faute de repères idéologiques clairs, faute aussi des assises culturelles de base qui leur eussent permis de s'y retrouver, il y a, notamment dans les banlieue, une frange de la jeunesse, issue pourtant de l'immigration et qui devrait pour cette raison même se méfier des inclinations fascistes de ce courant, qui assise sur la colère et la lassitude produite par sa marginalisation sociale, mais aussi sur son antisionisme, verse de ce côté-là, réalisant mal ( ou alors ce serait encore plus angoissant) combien ils glissent insensiblement vers des idéaux qu'on eût espéré enfouis ; vers le racisme ; purement et simplement.

 

Entre la droite catholique, bourgeoise et traditionnelle, repue de nostalgie et inquiète de l'avenir, d'une part, et cette jeunesse marginalisée et ivre de revanche, le mélange est explosif ; totalement insaisissable ; où les fascistes de tout poil auront vu un biais où fomenter leurs sombres manoeuvres.

Ne pas tomber dans la paranoïa dont souffrent certains - et je pense notamment à Finkielkraut - qui a tendance à voir des crimes contre l'humanité à chaque coin de pensée, et des offensives contre la culture occidentale derrière toute réforme est une chose et je ne voudrais pas hurler au loup ni trop vite ni inconsidérément. Peut-être, après tout, ce mouvement n'est-il que le prurit, désagréable certes, mais passager d'une époque de crise qui se prolonge trop longtemps, face à un pouvoir affaibli qui semble incompétent aux uns et traître à sa cause aux autres ; d'une époque qui n'entrevoyant pas de solutions replie son angoisse sur des formules hâtives et convenues. Ce serait, après tout le scenario le plus engageant et l'on ne saurait oublier que cette droite-là s'exprime d'autant plus volontiers de manière extrême que c'est la gauche qui est au pouvoir.

Pourtant, la résurgence sans honte du racisme sous toutes ses formes hideuses incline à se méfier. On sait trop la tendance de toute société à se chercher un bouc émissaire pour résoudre ses crises mimétiques et combien effectivement ces processus sont radicalement irrationnels.

Restent ces trois-là ....

L'actualité les aura en quelques semaines, mis en lumière, séparément et ensemble. Leur collusion est évidente mais la ressemblance de leurs parcours aussi. Dieudonné fut un authentique militant anti-raciste ; Soral était militant du PC ; quant à Belghoul, elle fut dans les années 80 de ces femmes qui animèrent la gauche anti-raciste et se refusa même à sa récupération par le PS. Ces trois-là dérivèrent pour finir dans le cloaque. Tous les trois ne virent d'autres solutions pour expliquer leurs échecs respectifs que d'en imputer la responsabilité au lobby juif, homosexuel etc.

Il y a toujours quelque chose d'insuffisant à ne chercher que des explications psychologiques ; mais demeure troublant que le mécanisme de leurs dérives eût ainsi été rigoureusement le même. Nous connaissons tous les dérives politiques : elles sont légion et, après tout, dans l'ordre même de la liberté démocratique. Clemenceau commença vrai radical pour finir grand partisan de l'ordre et de la force ; Briand débuta à l'extrême gauche féru de grève générale pour finir par les briser une fois au pouvoir. Les glissements se font souvent de la gauche vers la droite mais, après, tout, demeuraient fidèlement dans la sphère républicaine. Rares sont ceux qui firent le chemin inverse : Mitterrand fut de ceux-là ; parti de la droite extrême avant la guerre, il finit à gauche, moins à gauche qu'on ne le crut ou espéra, mais à gauche tout de même !

Mais dans ce chemin-là, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite raciste et fasciste, il y a une cohérence qui me laisse interdit. Et s'il y a de l'irrationnel dans ce mouvement c'est aussi dans ce sens-là : il est incompréhensible.

Ce déni de l'humain, cette haine de l'autre, cette adulation immodérée et immodeste de soi et du même, décidément je ne la comprendrai jamais ; ni ne le veut d'ailleurs.

Et me demande s'il ne faut pas désormais commencer par sérieusement s'inquiéter ....