Chronique d'un temps si lourd

Farida Belghoul, de l'extrême gauche anti-raciste à la croisade anti-genre à l'école

 

Elle existe à nouveau sur le devant de la scène. Farida Belghoul, à l'origine de la " journée de retrait " pour protester contre la diffusion supposée de la dite " théorie du genre " à l'école, a trouvé une nouvelle croisade. Après un long silence et une amertume consommée, elle règle ses comptes avec la gauche et s'affiche avec un polémiste à l'antisémitisme obsessionnel. Elle avait pourtant été la figure de proue d'une jeunesse immigrée très à gauche.

C'est en 1984, lors de la deuxième Marche des beurs – Convergence 84 –, qu'elle est apparue. Le 1er décembre, un an après la Marche pour l'égalité, une cinquantaine de jeunes issus de l'immigration arrivent en cyclomoteur à Paris avec le slogan : " La France, c'est comme une mobylette, pour avancer il lui faut du mélange. " Intelligente, véritable oratrice au sens politique aigu, Farida Belghoul en est devenue la figure de proue.

Fille d'un père éboueur algérien et d'une mère femme de ménage, la jeune femme a alors 26 ans. Elle est titulaire d'une maîtrise d'économie, a réalisé deux films et milite à l'Union des étudiants communistes. A Tolbiac, elle a dirigé durant deux ans le cercle communiste et a ferraillé contre Julien Dray. Quand, au lendemain de la première marche, des militants du Collectif des jeunes de la région parisienne décident d'en organiser une nouvelle, ils voient débarquer la jeune femme. " Elle avait un vrai sens politique, une formation militante. Elle est vite devenue la figure la plus marquante ", se souvient le sociologue Ahmed Boubeker.

Julien Dray et Harlem Désir, qui veulent lancer leur grande association de jeunesse contre le racisme, ne s'y trompent pas en lui proposant de les rejoindre – cette belle femme d'origine algérienne qui a fait des études serait parfaite dans leur casting. Elle refuse : pour elle, le mouvement doit rester autonome et se radicaliser.

Le 1er décembre, place de la République, c'est elle qui prend la parole. Son discours, dans lequel elle fustige la bien-pensance et le paternalisme des antiracistes, douchera les militants de gauche présents. Eux ne veulent pas l'intégration mais l'égalité, leur crie-t-elle. Le malentendu avec la gauche est total.

Dans les mois qui suivent, la bataille de légitimité avec la bande de Julien Dray et Harlem Désir fait rage. Les amis de Farida Belghoul la perdent. Elle en gardera une amertume tenace : " On avait pris l'initiative d'aller vers les Français, et on a été baisés ", déclare-t-elle deux ans plus tard. Elle milite encore quelques mois avec l'association France plus, qui réunit des jeunes Français d'origine maghrébine, collabore au lancement de Radio Beur. Puis disparaît de la scène militante.

Elle se marie, opère un virage religieux vers le soufisme et devient professeur de français et d'histoire-géographie dans un lycée technologique. Pour elle, c'est un choc : elle découvre la misère de l'éducation nationale en banlieue et se désole du niveau des élèves, " illettrés et incultes " dans un système qui ne leur apprend rien, décrète-t-elle, quitte à choquer ses collègues.

En 2007, l'enseignante décide de retirer ses trois enfants de l'école et leur fait cours dans son pavillon de Bezons (Val-d'Oise). C'est de là que naît son projet de cours particuliers pour les enfants des quartiers populaires, le Reid (pour Remédiation éducative individualisée à domicile). Elle ne trouve pas les financements, malgré quelques articles dans la presse. Deux ans plus tard, elle revient en politique en soutenant la candidature de Dominique de Villepin à la présidence. " Elle a essayé de m'enrôler ", se souvient Nordine Gasmi, un ancien du Mouvement de l'immigration et des banlieues. " Je lui ai dit que c'était quand même le mec qui a mis en place le couvre-feu après les émeutes de 2005 ! "

On la voit réapparaître sur Youtube en mai 2013 dans un long entretien sur l'histoire du mouvement beur. Elle y développe ses thèses, marquées par un complotisme très poussé, voyant notamment la main de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) derrière l'échec du mouvement.

C'est Egalité et réconciliation, l'association d'Alain Soral, qui est à l'origine de cette diffusion. Farida Belghoul est une belle prise pour ce petit groupe d'extrême droite. Militante formée, son histoire politique sert le propos d'Alain Soral, qui veut séduire les jeunes des quartiers. Leurs cibles sont les mêmes : on y trouve Julien Dray, SOS Racisme, le PS ou encore l'UEJF. Créé en 2007 par des proches de Marine Le Pen, Egalité et réconciliation devait attirer vers le FN les jeunes beurs derrière le flambeau d'Alain Soral. Ce transfuge du PCF, qui se revendique aujourd'hui national-socialiste, a depuis claqué la porte du parti.

A la suite de cette vidéo, Farida Belghoul reçoit une " quenelle d'or " de la part de Dieudonné, " trophée " qui récompense ceux qui diffusent le mieux les idées du duo Soral-Dieudonné. Depuis, Mme Belghoul et Alain Soral se sont encore rapprochés. Elle a donné plusieurs conférences en compagnie du polémiste et de ses amis. C'est aussi la maison d'édition de M. Soral, KontreKulture, qui a ressorti son premier roman. Récemment, KontreKulture a été condamnée à retirer de la vente un ouvrage antisémite et à en censurer d'autres pour la même raison.

Ses anciens amis ne comprennent pas. Pour eux, Farida a " pété un câble ", amère qu'on ne lui reconnaisse pas un rôle. Elle aurait ainsi mal vécu les commémorations de la Marche de 1983, où l'on a peu parlé de celle de Convergence. " C'est plutôt le vertige de la voir avec des négationnistes et des malades mentaux ", lance Nordine Gasmi.

" Elle est dans la même dérive populiste qu'on voit se développer dans les quartiers, l'addition du retour identitaire et du ressentiment contre les juifs ", tacle Tarek Kawtari, du Forum social des quartiers populaires, qui réfute ce discours mêlant un peu de Palestine, l'abandon des quartiers, la dénonciation de la gauche et une bonne dose d'antisémitisme qui s'entend dans les banlieues. Comme se désole Rachid Amghar, autre militant de la Marche : " C'est grave ce qu'elle fait, parce que Soral y devient une référence. "

Abel Mestre et Sylvia Zappi