Elysées 2012

Les paradoxes de la campagne de Marine Le Pen

La présidente du Front national fait face à un paradoxe dont peu de candidats peuvent se targuer : elle n'a jamais été aussi haut dans les sondages, entre 17 % et 20 % d'intentions de vote selon les instituts. Et pourtant, sa campagne présidentielle peine à se mettre en marche.

Samedi 19 novembre, Marine Le Pen devrait dévoiler, à Paris, les grandes lignes de son projet présidentiel. Mais son entourage le concède : celui-ci ne sera pas révolutionnaire, même s'il comportera "quelques idées nouvelles".

CONTRE-OFFENSIVE MÉDIATIQUE

Mme Le Pen veut ainsi marquer, lors de ce "banquet des mille" – qui réunira militants et sympathisants –, son entrée dans la campagne présidentielle avec un discours politique très large qui devrait donc balayer l'ensemble des problématiques frontistes. Vendredi soir, sur le plateau de France 2, la candidate a lancé sa contre-offensive médiatique, et a donné le ton : "Vous croyez qu'un projet présidentiel, c'est une espèce de catalogue de mesurettes ?", a-t-elle répondu à la question de savoir si elle promettait une hausse du SMIC.

"Il s'agit d'un projet global, cohérent, une vision d'ensemble, un discours de politique générale. La ligne de force sera le rétablissement de l'autorité de l'Etat", explique Florian Philippot, nouveau directeur stratégique de la campagne. L'autorité de l'Etat, un thème transversal qui a pour intérêt, selon le FN, de "recouper la sécurité, la laïcité, et l'économie". Le programme détaillé et chiffré, lui, ne sera révélé que le 12 janvier 2012.

Après son accession à la tête du FN, en janvier, Marine Le Pen a profité d'une dynamique politique forte dans la course présidentielle. Mais depuis l'été, elle accumule les difficultés d'organisation de sa campagne. Pis, le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, considéré comme l'adversaire principal par les stratèges frontistes, creuse l'écart avec la présidente du Front national.

"Ce n'est pas grave à ce stade. Il y a beaucoup de calage d'organisation, de mise en place. Mais la stratégie et le discours sont là", veut croire Nicolas Bay, chargé de la communication électorale.

"CE SERA COMME POUR LE RÉFÉRENDUM EUROPÉEN EN 2005"

Ironiquement, tandis que le sujet de prédilection de Mme Le Pen – qu'elle met en avant depuis deux ans –, la crise de la monnaie unique et l'éclatement de la zone euro à partir de la Grèce, est au centre de l'actualité, elle ne semble pas en récolter les fruits. "Notre positionnement est bon, mais on a du mal à se faire entendre sur l'économie. Ce que l'on dit est original et en phase avec une bonne partie de l'électorat", reconnaît M. Bay. "Notre posture est très offensive", abonde M.Philippot. "Tous les grands débats, que ce soit sur le protectionnisme ou la sortie de l'euro, se structurent autour des propositions de Marine Le Pen."

Pour le directeur de campagne de la candidate, ces difficultés s'expliquent par l'omniprésence de M. Sarkozy sur la crise et "l'état de grâce" de François Hollande après la primaire socialiste. Mais, espère-t-il, "il y aura une nouvelle dynamique à partir de janvier. On entrera dans le vif du sujet, les Français vont parler des différents projets et comme il n'y a pas de différences entre l'UMP et le PS sur l'économie, les Français verront que l'alternative, c'est Marine Le Pen", espère le haut fonctionnaire de 30 ans. "Ce sera comme pour le référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005. Quand le débat sera vraiment installé, ceux qui étaient sur les bons termes du débat vont en récolter les fruits."

Cependant, au sein du parti d'extrême droite, des voix commencent à se faire entendre pour critiquer "une équipe d'amateurs", qui ne "transmet pas les infos en interne" et qui "multiplie les cafouillages", comme lors du déplacement de Mme Le Pen aux Etats-Unis, début novembre.

"COMITÉS BLEU MARINE"

Surtout, ce qui lui est reproché, c'est de mener une campagne attentiste, laissant trop d'avance à ses adversaires. Du coup, elle reprend ses visites sur le terrain, interrompues depuis un mois. La semaine du 21 novembre, elle sera ainsi au Salon des maires à Paris pour souligner ses difficultés à récolter les 500 signatures obligatoires pour être candidat à la présidentielle.

D'autres critiques internes dénoncent un manque "d'axe de campagne". Il est vrai que la prétendante à l'Elysée a du mal à incarner un message. Jacques Chirac a été le candidat contre "la fracture sociale", Nicolas Sarkozy, celui du "pouvoir d'achat". "Marine Le Pen doit incarner un message, et on ne le voit pas", persiflent les plus critiques, pour qui "le rétablissement de l'autorité de l'Etat" n'est pas un identifiant politique.

Pour parer aux critiques, l'équipe de la présidente du FN va mettre en place, sur tout le territoire, des "comités bleu Marine", qui pourraient servir de sas pour les gens souhaitant soutenir la candidate du FN sans pour autant adhérer au parti.

LE RISQUE D'UNE STRUCTURE CONCURRENTE DU FN

Cette démarche comporte cependant un risque : celui de faire naître, au final, une structure concurrente du FN. "Ce sera une déclinaison du comité de soutien", explique Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du FN, fidèle de Jean-Marie Le Pen et, entre autres fonctions, secrétaire générale du comité de soutien. "Ce seront en fait des comités de soutien régionaux et départementaux, en aucun cas une concurrence du FN. J'y veillerai."

Mme Arnautu l'assure : "Cela reste dans l'esprit de l'ouverture et de l'élargissement au-delà du FN. Cette campagne ne doit pas être fronto-frontiste, mais pas anti-front non plus." Un avertissement à peine voilé adressé à ceux qui voudraient contourner le parti d'extrême droite, en vue, d'abord, d'un rassemblement plus large pour les élections législatives de juin 2012, puis pour mettre en place les bases d'un nouveau parti politique pour l'après-2012.

Les difficultés de la campagne n'empêchent pas les membres de son équipe de campagne de voir grand : la majorité d'entre eux dit croire en la possibilité d'une victoire au soir du 6 mai.


Abel Mestre