Elysées 2012

La réaction néogaulliste de Sarkozy

Arnaud Leparmentier 22 / 11 / 11

Nicolas Sarkozy endosse l'habit des grands Européens : jeudi 24 novembre, le chef de l'Etat s'affichera aux côtés de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du président du conseil italien, Mario Monti, pour tenter de sauver l'euro. Bientôt, M. Sarkozy exposera aux Français sa vision de l'Europe, dont il a déjà touché quelques mots. "En période de crise, l'Europe a besoin d'un leadership fort", explique le président, qui se dit partisan d'une zone euro plus intégrée et d'une Union européenne confédérale à vingt-sept.

Ainsi, M. Sarkozy voudrait achever le vieux rêve français, celui d'une union politique, resserrée autour de l'euro et pilotée par les seuls chefs d'Etat et de gouvernement. Mais cette Europe si française ne correspond ni à celle, démocratique et fédérale, de Mme Merkel ni à celle, libérale, de M. Monti, qui fut commissaire européen à la concurrence.

A cinq mois de la présidentielle, le projet Sarkozy n'a rien de fédéral. Il est destiné à réconcilier, comme en 2007, la France du oui et celle du non. Il s'inscrit dans la tradition du général de Gaulle, qui fut l'artisan de la réconciliation franco-allemande mais n'a pas sa place au Panthéon du fédéralisme européen. Le traité de Rome fut signé en 1957, avant son accession au pouvoir. L'action gaulliste à Bruxelles s'incarna dans la politique de la chaise vide, parce que la France refusait le principe majoritaire, fondement du fédéralisme. Son héritage réside dans une tentative avortée, le plan Fouchet de 1961 : le pouvoir y était concentré entre les mains des chefs d'Etat et de gouvernement, qui décidaient, seuls et à l'unanimité.

C'est ce projet que tente de faire revivre, à intervalles réguliers, M. Sarkozy. A l'origine peu germanophile, le ministre de l'intérieur de Jacques Chirac avait voulu imposer, en 2003, un directoire des grands pays - France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne. Officiellement pour mûrir les décisions, en réalité pour court-circuiter petits pays et institutions européennes. Cette entreprise était vouée à l'échec dans l'UE élargie : inacceptable pour les pays moins peuplés, inefficace pour la France, trop diluée dans un tel directoire. Si la France n'a eu de cesse de contrer les élargissements successifs, ce n'est pas en raison de son rêve fédéral - elle fit échouer toutes les tentatives, de la Communauté européenne de défense en 1954 au non à la Constitution européenne de 2005 -, mais parce que cette Europe trop vaste rendait chaque jour plus probable sa mise en minorité.

Soudain, la faillite de la Grèce a semblé donner à M. Sarkozy une chance unique, celle d'un retour en arrière, qui lui permettrait d'imposer le plan Fouchet du XXIe siècle. Depuis la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, en 2008, il cherchait à imposer un conseil des dirigeants de la zone euro. Mme Merkel n'en voulait pas : c'était couper Berlin des pays de l'Est ; c'était mettre en danger l'UE à vingt-sept, garante du marché intérieur ; c'était entrer dans une Europe non démocratique.

Le premier obstacle a volé en éclats, avec la crise de l'euro qui a rendu son primat au face-à-face franco-allemand. Londres s'est mis hors du projet européen, et les Polonais, en plein essor économique, peuvent attendre. Reste l'UE à vingt-sept. M. Sarkozy ne veut plus de cette construction, accusée d'avoir transféré trop de compétences fédérales à la Commission. Dans quatre domaines essentiels - le marché intérieur, la concurrence, le commerce et la libre circulation des travailleurs -, M. Sarkozy voudrait retrouver le "primat du politique", expression habile pour masquer un détricotage européen, voire une renationalisation. M. Sarkozy discrédite cette Europe prétendument naïve, invoquant des règles de réciprocité (commerciales, environnementales, sanitaires) qui ne seraient pas respectées. Sans jamais en donner d'illustration.

Mme Merkel n'aime guère la Commission, mais l'Allemagne, première puissance exportatrice en Europe et à travers la planète, a un intérêt vital à la préservation de ces acquis fédéraux. M. Monti, qui ferrailla avec M. Sarkozy en 2004 sur le renflouement étatique d'Alstom, se disait, il y a un an, partisan de plus d'intégration politique... à condition qu'il y ait plus de concurrence en Europe.

Troisième obstacle, le contrôle démocratique et fédéral. L'Allemagne exige désormais un contrôle préalable des budgets de la zone euro. La France l'accepte du bout des lèvres en théorie, s'insurge dès qu'elle est mise en cause. Pour M. Sarkozy, l'essentiel serait de "décider et de rendre compte". Comprendre : "nous trouverons bien des arrangements". Cette approche est inacceptable pour Berlin, qui exige un feu vert, désormais préalable, des décisions du Conseil européen : le Bundestag s'en charge, tant que la zone euro ne dispose pas d'institutions fédérales jugées légitimes pour la zone euro. Il n'existe ni de Commission à dix-sept, ni de Parlement européen à dix-sept, ni de Cour de justice à dix-sept.

M. Sarkozy ne peut faire cette impasse. Réduire la zone euro aux délibérations à huis clos de ses dirigeants, c'est prendre le risque d'une révolte des peuples : ils s'inquiètent d'un diktat franco-allemand conjugué à celui des marchés, alors que les gouvernements du Sud tombent les uns après les autres. Berlin et Rome ne seront pas seuls à dire non à M. Sarkozy. Sa régression néogaulliste peut réconcilier les Français sur l'Europe, l'espace d'une élection. Elle ne s'imposera pas en Europe.