μεταφυσικά
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Boucle de rétro-action : être <-> φυσις

Car tel est bien la question : cette guerre, cette lutte dont Héraclite dit qu'elle détermine toutes les places, qui dont préexistait à tout ce qui existe, qu'est-elle et de quoi relève-t-elle ? Est-ce véritablement la forme que revêt le déploiement de l'être ? n'est-elle qu'une illusion fourbie par le langage ? ou n'est-elle qu'un effet de pensée ? Au fond, et suggéré de manière triviale, qui contamine qui ? L'être, la φυσις, ou encore la pensée ?

 

L'exemple amer de Diogène

Ce que l'exemple - trouble- de Diogène aura appris, c'est bien que dans n'importe quelle confrontation, les deux protagonistes finissent toujours par se ressembler. Certes, la tradition retiendra le hautain Ecarte-toi de mon soleil par quoi Diogène fait fi des munificences et ors du pouvoir au profit de l'austère recherche de la sagesse ; certes, on peut imaginer un Alexandre interdit devant un tel refus si insolite et tellement contraire à l'intérêt bien compris ; cependant il est difficile de ne pas voir une véritable confrontation dans cette rencontre où chacun rivalise pour se montrer au plus près du soleil. La victoire de la connaissance sur le pouvoir des choses et des hommes a évidemment quelque chose de flatteur et de rassurant : elle va tellement dans le sens de notre représentation de la connaissance comme valeur ultime ; tellement dans le sens aussi de notre représentation de la pensée grecque antique - mais tellement à l'opposé de la pratique commune ! Pourtant, et ce tableau de Poussin l'illustre admirablement, il s'agit bien d'une confrontation où le pouvoir, chevaux et soldats rutilants, occupe toute la place : il a gagné parce que dans ce jeu ambigu, Diogène dut bien, au moins implicitement, se dire je vaux mieux que toi - et accepter ainsi la logique de la confrontation. Comparer pouvoir et sagesse revenait à y trouver aune commune : c'était rabattre la connaissance au rang de vulgaire marchandise qui se peut échanger contre tout et n'importe quoi, selon l'intérêt du moment - et pourquoi pas contre le pouvoir ! Ce qui circule entre ces deux hommes, cet objet qui s'échangeant, dessine les contour de la cité, c'est la marchandise - c'est l'objet brut. (30)

Ce qu'être, précisément, récuse.

Il n'est pas une de ces figures de sages antiques - de Diogène à Pythagore, d'Anaximandre à Anaximène - figures mythiques, d'autant plus séduisantes qu'elles percent à travers le filtre ténu de quelques fragments ou de quelque papotage savant, figures un peu décalées et transgressives ; en passant même par les figures tutélaires des grands Platon et Aristote qui laissèrent oeuvre écrite et occupent presque toute la place de la fondation de la philosophie, il n'est pas une de ces figures, oui, qui ne traduisent l'écart, la mise à distance d'avec le monde, d'avec la transaction des marchandises et ce jusqu'à la figure même de l'école, dans les jardins d'Ἀκάδημος, ou dans le gymnase du Λύκειον, au centre de la cité, certes, mais en des lieux protégés, consacrés à la formation, du corps ou de l'esprit, en tout cas protégé du tumulte des échanges ordinaires.

Elles disent toutes, à leurs manières respectives, la difficulté, non d'être au monde, mais de résister au brouhaha du monde. Or, ce bruit du monde c'est précisément celui de l'objet qui s'échange, se troque ou s'arrache, qu'importe, de cet objet qui ne se voit presque pas tant il est partout, qui ne trône pas mais qui circule, qui est ce que le pouvoir octroie telle une prébende, mais qui toujours par l'accumulation qu'on en fait, marque sa place, grande ou petite, dans la cité ; l'objet qui justement fait les dieux ou les hommes, vous fait esclave ou libre ; de cette tendance à tout transformer en marchandises - et les hommes notamment - à tout réifier.

C'est bien en ce sens-ci qu'il faut entendre la lutte originaire qui fait être ; qui, parce qu'elle est originaire, distribue. La distribution est division, séparation, distinction - ce qu'atteste en latin, comme en français, le préfixe di(s). Etre, revient toujours à être ceci ou cela ; celui-ci ou celui-là ; à différer, à se distinguer. Que la distinction participe à la fois du registre esthétique, moral, social et logique ne saurait être indifférent : être, revient toujours à s'individuer, en tout cas dans la culture occidentale (31), à se séparer donc, et à lutter contre tout ce qui pourrait araser les différences.

La grande obsession d'Heidegger est bien cette réification qu'il interprète sous l'aune de la technique mais qu'il aura, notamment repérée dans la transformation brutale de la connaissance en promesse d'une technique plus efficace, en techno-science, où il redoutait la fin de l'Université parce que l'instrumentalisation de la connaissance. (32) Il reste à la démontrer, comme la tendance lourde qui naît paradoxalement de la volonté même de l'être d'apparaître comme différent et de sa tendance à se servir de tout et tous comme moyen pour y parvenir ; ce qui confère toute sa valeur à l'impératif kantien (33) de ne jamais considérer l'autre seulement comme un moyen mais comme la fin de notre action. Toute l'ambivalence de l'humanisme qui se réaffirme avec un Montaigne et trouve sa consécration avec Kant, qui à la fois exhausse l'humanité de l'homme et rabat le monde au rang de choses disponibles et prêtes à l'emploi où l'on peut deviner les risques environnementaux actuels mais aussi l'instrumentalisation de l'homme lui-même par la société industrielle.

Je doute qu'il suffise de se poser la question de l'être, de cesser d'oublier jusqu'à l'oubli de l'être pour enrayer le processus - il y va de trop de volonté, trop de politique et donc de morale, pour qu'une simple théorie y pourvoie -

Lorsque le combat cesse l'étant ne disparaît pas, mais le monde se détourne. L'étant n'est plus soutenu (c'est-à-dire maintenu comme tel). Il n'est plus alors que trouvé là, c'est l'inventorié. L'accompli n'est plus ce qui est installé dans des limites (c'est-à-dire placé dans sa forme), ce n'est plus que le produit fini, qui en tant que tel est à la disposition d'un chacun, le subsistant, en quoi il n'y a plus de monde qui monde -bien plutôt l'homme se fait maintenant le despote et le pilote du disponible. (34)

Cornelius CastoriadisCe qu'évoque ici Heidegger ressemble à ce qu'un Sartre pouvait nommer réification, ou un Marx résumer par aliénation. Le processus par quoi je deviens étranger à moi-même n'est pas seulement celui par quoi je me soumets à l'autre, à son pouvoir ou autorité, comme il peut se voir dans la dialectique du maître et de l'esclave, c'est surtout celui par lequel je cesse d'être autonome pour n'être plus défini que, de l'extérieur, par autre chose que ma volonté propre et qui me ramène à l'état de chose ; de marchandise que l'on change ou s'échange. Qu'en idéaliste invétéré, Heidegger conçût cette aliénation comme le résultat de l'oubli de l'être, la conséquence d'une lutte qui aurait cessé est somme toute assez cohérent ; que Marx y vît plutôt le résultat irrémédiable des rapports de production tels qu'organisés par le capitalisme est de bonne logique matérialiste. Mais ce qu'il y a de commun, dans les deux cas, est que si l'être est bien perçu comme ne pouvant pas ne pas être, l'humanité de l'homme, quant à elle, ce qui fait la spécificité du rapport de l'homme au monde et à l'autre, se révèle d'une extraordinaire fragilité et la résultante d'une lutte volontaire qui en conditionne la perpétuation. On peut, à l'instar de C Castoriadis (35) douter que la distinction être/étant soit si originaire que cela et appartînt au monde grec ; se demander encore si sa manière de poser l'être n'en ferait pas un ultime avatar du divin et force est de constater que même si Heidegger oppose résolument théologie et métaphysique au début de son texte, en revanche il n'échappe jamais vraiment à l'idée du divin, ne serait ce que pour en déplorer le retrait.

Ce qui demeure c'est cette extrême fragilité de l'être qui manque à chaque instant de vaciller et l'obligation de comprendre si elle résulte de l'être lui-même, d'une défaillance de sa volonté, d'une déclinaison de la lutte, ou au contraire, d'un extérieur, d'une lutte ayant atteint son paroxysme et se soldant par une défaite.

En tout état de cause, sans suivre à la lettre Heidegger, ni en épouser la théorie, il reste que se poser la question de ce qu'est tel ou tel étant, ou celle de ce que signifie être pour lui, s'il n'est pas de manières différentes d'être selon l'étant que l'on est, me semble être la question métaphysique qu'il faut poser. Et que la manière d'être au monde pour l'homme recueille quelques spécificités, une évidence.

En somme être c'est vouloir être et ne cesser jamais de le vouloir demeurer.

Figures de la lutte

En prendre trois, au gré de nos existences, qui illustrent à la fois la fragilité et l'interaction :

- la phase du non chez l'enfant, ou encore celle que Freud nommait sadique-anale : moment de son individuation, qui semble devoir nécessairement passer par la négation de l'extérieur et aller de pair avec le phase métaphysique du pourquoi qui, prises ensemble équivalent à l'affirmation de soi et négation de l'altérité. Mais aussi la phase de l'adolescence où on se cherche et construit avec des outils objectifs (travail, reconnaissance de l'autre, de sa place sociale) ou des moyens théoriques, où l'on dessine en tout cas son propre horizon et ce que l'on nomme personnalité

- la confrontation avec le regard de l'autre - et comment ne pas faire référence ici à JP Sartre ? (36)

- la vieillesse, le retrait, plus que la retraite, où si d'aucuns s'accrochent et se noient dans une suractivité où s'assurer que l'on est encore vivant, d'autres au contraire, un peu plus tard, paraissent lâcher prise

Trois figures qui disent à merveille ce que Ricoeur nomme le pôle tu : cette liberté qui est la forme que prend la lutte de l'être, est plus voulue que réelle, plus ressentie que tangible ; elle a donc besoin pour passer à l'acte de l'autre, du regard de l'autre. L'autre est requis, autant nécessaire qu'appelé : ce moment n'est pas négatif même s'il s'inscrit dans une histoire où le négatif, la lutte, se profile déjà discrètement. Pour me croire libre, j'ai besoin de la liberté de l'autre mais prépare le moment où ma liberté, dans l'action, s'opposera à celle de l'autre.

Ce moment c'est celui qui prépare l'éthique mais, on le voit, si la guerre est le prix possible à payer de nos libertés respectives proclamées, elle n'est qu'une conséquence de cette première lutte par laquelle je me dis - et suppose l'autre - n'être pas que le fruits de déterminismes mécaniques. C'est d'abord celui par quoi je m'affirme, plus l'autre, mais pas celui par lequel je nie. On le voit bien, notamment dans ce passage des Mots où le jeune Sartre s'afflige d'abord de n'être rien, où jouant la mauvaise foi, il s'attache à coïncider à l'image que les siens se fond de lui tout en rêvant de s'y arracher. D'où l'importance, brutale, du passage chez le coiffeur où, de manière abrupte, il découvre à la fois qu'il est laid et qu'il n'est plus cet être androgyne où sa mère pouvait encore espérer la fille qu'elle eût préféré avoir. D'où ce texte célèbre sur la honte :

Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni le blâme, je le vis simplement [...]. Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu'un était là et m'a vu. Je réalise tout à coup toute la vulgarité de mon geste et j'ai honte. [...] Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j'ai honte de moi tel que j'apparais à autrui. Et, par l'apparition même d'autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet [...]. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n'est pas une vaine image dans l'esprit d'un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me "toucher". [... ] la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. ( L'être et le néant)

L'autre est le médiateur qui me permet de passer d'une conscience vague et diffuse à une conscience de moi. Cette conscience s'objective, donc aussi se réifie . C'est en la prenant en charge, en se reconnaissant dans l'image que l'autre se fait de soi, que la conscience à la fois se construit et peut se libérer : je suis peut-être ce que l'autre me voit être, mais je ne suis pas que cela ou, en tout cas, je puis être autre, devenir autre. Qu'il s'y range servilement et alors il en reste au stade de la réification, non sans mauvaise foi. Autre manière de dire d'ailleurs que ce moi n'est jamais libre mais ne cesse de se libérer ; de le vouloir en tout cas.

Réciprocité

S'il est bien un moment où l'on peut observer cette boucle de rétroaction, c'est bien ici : non seulement les deux protagonistes ont besoin l'un de l'autre, de la reconnaissance de l'autre pour se poser dans leur réalité objective, mais aussi pour tenter d'y échapper, mais encore, ils finiront par s'opposer de ceci même qu'ils se ressemblent. Avant même de pouvoir s'entendre selon le processus victimaire comme l'eût énoncé R Girard, avant même d'y soupçonner l'échappatoire illusoire vers un bouc émissaire quelconque, il faut y considérer le mode d'être de l'homme au monde.

- La lutte, dont parle Héraclite, d'abord est une lutte contre quelque chose ou quelqu'un : l'homme n'est homme que face à d'autres ; face au monde. L"humanité n'est pas un en soi existant en on ne sait quel arrière-monde éternel : elle est un processus qui se construit dans un constant vis-à-vis.

- Cette lutte est d'abord une affirmation ; pas une négation. Affirmation de soi bien avant que d'être une négation de l'autre ou du monde. Toutes les différences d'interprétation se joueront sur ce point où l'un dira : l'enfer, c'est les autres quand l'autre verra plutôt dans le visage de l'autre ce qui me requiert et m'appelle.

C'est assurément une question morale que de savoir comment endiguer sinon la violence, la lutte, en tout cas ses effets délétères ; c'est pourquoi elle vient après. C'est une question métaphysique que de se demander si cette lutte est d'abord affirmative ou destructrice.

C'est une question métaphysique de constater combien dans cette lutte où l'être de l'homme joue sa liberté, il manque souvent de reconnaître dans l'autre - bien sûr, et c'est alors qu'il y a violence - mais dans le monde encore, cette dimension de processus qui lui est, à lui, si indispensable. Réduire la nature, où résonne encore nascor, la φυσις où résonne encore le croître et s'accomplir pour ne plus l'entendre que comme objet, comme chose disponible et sans vie, c'est précisément le prix - le risque - de violence qu'implique la reconnaissance nécessaire. Et l'on voit bien, c'est à la fois ce que supposèrent Spinoza et Comte, que le fétichisme aura été la forme idéologique prise par la tendance du sujet à se projeter sur l'altérité ; que l'instrumentalisation moderne est la forme en retour qu'aura revêtue la tendance inverse du monde à rabattre le sujet sur une simple réalité disponible et transformabl ; étriquée. Aux deux extrêmes, les deux figures de la réciprocité où le sujet hanté de se distinguer de l'objet finit par lui ressembler.

Nos idéologies sont le reflet de notre rapport au monde, rêvé ou réel ; les théories l'expliquent ; les mythes les racontent ; la métaphysique tente de le mettre à plat.

La théorie comtienne des trois états est séduisante par sa - trop - grande logique : un esprit humain se découvrant et allant de manière cohérente du plus abstrait et simple au plus concret, rendant ainsi acte de l'ordre par lequel les domaines se furent successivement scientifisés ; cherchant en dehors de lui, cause qui lui ressemblât, plusieurs d'abord, floues, contradictoires, changeantes comme peuvent l'être ses sentiments, volontés, désirs puis par rigueur, s'en trouvant une, unique, presque abstraite, transcendante, avant de la ramener à la froideur de la loi. Elle semble dire - et c'est la même hantise qu'éprouvèrent Hegel puis Marx - que nos théories ne sont jamais que les fruits provisoires de nos différentes phases de développement intellectuel et spirituel ; au contraire d'Heidegger qui cherche une vérité enfouie dans un début trop vite oublié, on espère demain une vérité produite par nos efforts et dont les savoirs antérieurs n'auraient été que des parcelles, nécessaires certes, mais tronquées.

Derechef c'est ceci qui se joue derrière cette guerre originaire qui crée l'ordre : une menace, un chemin, une fatalité ?

L'analyse de Castoriadis


30) sur Diogène,

- ce que Diogène Laërce en rapporte

- ce que nous en écrivions dans la Morale

31) dans le bouddhisme, le nirvana se définit bien comme la fin de toute pratique spirituelle et vise à l'extinction des trois soifs dont, notamment celle de l'individualité. Mais que la finalité de l'existence soit fixée ici à l'exact inverse de la nôtre ne change finalement pas vraiment la question : l'individualité est une modalité de l'être, qu'elle soit à construire ou à éteindre.

32) lire

33) dont voici les diverses formulations

« Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle. »
« Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen. »
« L'idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté instituant une législation universelle. »
« Agis selon les maximes d'un membre qui légifère universellement en vue d'un règne des fins simplement possible. »

34 ) Heidegger, op .cit. p 73

(le passage en entier)

35)C Castoriadis, Séminaires, p 263

Mais. ce qui me sépare plus profondément de lui, c'est sa thèse centrale, ce qu'il appelle la différence ontologique, la question de l'étant comme radicalement distincte de celle de l'être. Heidegger appartient à la tradition onto-théologique précisément en vertu de cette distinction de l'être et de l'étant, qu'il veut rendre centrale et qui est étrangère au monde grec. Pour les Grecs, il n'y a pas une question de l'être séparée de la question de l'être des étants, et c'est pour cela qu'on ne demande pas: ti to einai, ce qui grammaticalement serait tout à fait possible, mais: ti to on, qu'est-ce que l'être-étant. EtPlaton et Aristote posent ainsi la question, même si, pour ce dernier, sa vacillation sur le sens de ce qu'il appelle prôtè philosophia a troublé bien des interprètes. Car il semble dire tantôt que la philosophie première parle de l'être comme tel, sans considérer aucun étant, et tantôt qu'elle parle de l'étant par excellence, celui qui réalise pleinement ce que nous appelons être, et qui est pour Aristote la pensée se pensant elle-même - qu'il nomme aussi dieu. Mais cette distinction ne peut exister pour lui, jamais il ne sépare l'être de cette façon -ou alors comme simple vocable qui s'applique indifféremment à tout, comme universel abstrait, dirait Hegel. Finalement, cette différence ontologique heideggérienne n'est rien d'autre qu'un avatar de la pensée centrale de la théologie, qui impose une distance infinie entre quelque chose, Dieu, et tout le reste, les créatures.

on trouvera ici l'analyse que Castoriadis fait des fragments d'Héraclite, analyse à plus d'un égard très éloignée de celle que mena Heidegger

sans rapport direct, quelques ressources autour de la démocratie grecque (ITV de Castoriadis filmée par Ch Marker)

36 ) à titre d'exemple ces deux passages des Mots de JP Sartre et celui, classique, sur la honte

Les cailloux du Luxembourg, M. Simonnot, les marronniers, Karlémami, c'étaient des êtres. Pas moi: je n'en avais ni l'inertie ni la profondeur ni l'impénétrabilité. J'étais rien: une transparence ineffaçable. Ma jalousie ne connut plus de bornes le jour où l'on m'apprit que M. Simonnot, cette statue, ce bloc monolithique, était par-dessus le marché indispensable à l'univers.

(...)

Bref les coups de théâtre faisaient mon petit ordinaire et je regardai avec bienveillance mes boucles rouler le long de la serviette blanche qui me serrait le cou et tomber sur le plancher, inexplicablement ternies; je revins glorieux et tondu.

Il y eut des cris mais pas d'embrassements et ma mère s'enferma dans sa chambre pour pleurer: on avait troqué sa fillette contre un garçonnet. Il y avait pis: tant qu'elles voltigeaient autour de mes oreilles, mes belles anglaises lui avaient permis de refuser l'évidence de ma laideur. Déjà, pourtant, mon oeil droit entrait dans le crépuscule. Il fallut qu'elle s'avouât la vérité. Mon grand-père semblait lui-même tout interdit; on lui avait confié sa petite merveille, il avait rendu un crapaud: c'était saper à la base ses futurs émerveillements. Mamie le regardait, amusée. Elle dit simplement: « Karl n'est pas fier; il fait le dos rond. »

Anne-Marie eut la bonté de me cacher la cause de son chagrin. Je ne l'appris qu'à douze ans, brutalement. Mais je me sentais mal dans ma peau. Les amis de ma famille me jetaient des regards soucieux ou perplexes que je surprenais souvent. Mon public devenait de jour en jour plus difficile; il fallut me dépenser; j'appuyai mes effets et j'en vins à jouer faux. Je connus les affres d'une actrice vieillissante: j'appris que d'autres pouvaient plaire.