Il y a 100 ans ....
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Représentations

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Rien n'est plus intéressant et révélateur, rien n'est moins surprenant d'ailleurs que la représentation de la guerre, que ce soit dans les documents officiels 'notamment les films tournées par l'armée) ou bien ceux que les écrivains et philosophes en proposeront - mais a posteriori - ou bien encore ceux des peintres et autres dessinateurs - souvent à chaud.

Parce que, volontairement ou non, ces représentations traduisent une rupture, que leurs auteurs en aient conscience ou non. Qui peut se décliner en quatre aspects :

- Première rupture, déjà soulignée, que permettent la photographie et le cinéma. C'est la première guerre qui a été systématiquement couverte au point que les documents accessibles sont loin d'être rares tant d'ailleurs du côté allemand que du côté français - et qui d'ailleurs se ressemblent furieusement.

- Seconde rupture - en dépit de la censure et des images officielles que la propagande déverse - tout le monde parle, écrit, photographie. Autre façon de dire qu'Internet n'a rien inventé : plus encore qu'avec l'écriture, même s'il est vrai que les soldats écrivirent beaucoup et racontèrent, la photographie a fait de chacun un acteur. Et la censure n'y peut pas grand chose : tout finit par passer, se voir et se savoir.

- Troisième rupture : le changement très rapide dans la représentation de la guerre - et ce tant dans les textes que les images : si au début, avant la grande bataille initiale, on observe encore une glorification de la guerre, très vite c'est l'horreur qui, mise en évidence, en même temps que la machine industrielle de la mort que l'on montrera effaçant pour longtemps toute légitimation possible de la guerre. Si les socialistes allemands comme français prônèrent la paix, ne se résolvant à la guerre - pas toujours glorieusement d'ailleurs de part et d'autre - que sous l'argument qu'ils y furent contraints par une agression qu'ils ne purent empêcher, très vite refleurira dans les troupes, la certitude d'avoir été trompé, d'avoir été envoyé à la boucherie qui séparera le soldat à la fois de la propagande officielle mais aussi de l'arrière et nourrira à la fois les mutineries et le pacifisme.

- Quatrième rupture : une grille esthétique totalement bouleversée que désigne assez bien le dessin d'un Otto Dix mais aussi le style d'un Céline, pour ne prendre que l'exemple le plus célèbre - et le plus trouble.

Chaque époque reconstruit son propre passé en même temps qu'elle lui donne des explications qui à la fois tiennent compte de l'état présent des connaissances et des archives, mais aussi des préoccupations et des projets du moment. Rien ne fut à cet égard plus révélateur que la confrontation, en France, des célébrations des centenaire et bicentenaire de la Révolution de 89, le premier mettant l'accent sur les valeurs fondamentales de la République - ce qui n'était pas étonnant pour une IIIe République qui n'avait alors qu'une petite vingtaine d'années et pas mal d'incertitudes encore sur son avenir - quand le second, juste au moment de l'effondrement du bloc de l'Est, insista plutôt sur les excès et les prémisses de totalitarisme présents au moins dans son épisode jacobin Nul doute que le centenaire de 14 - on n'est plus en 64 où le double message passa à la fois de la légitimité de certaines guerres, vingt ans seulement après la catastrophe nazie, mais la nécessité impérieuse de la réconciliation allemande - mettra l'accent sur le lien nécessaire de l'union européenne et tentera de se rassurer en proclamant la guerre européenne désormais impossible. Les acteurs ont désormais tous disparus ; la guerre est définitivement entrée dans l'histoire et nul risque n'existe plus de froisser les anciens combattants en mettant en avant l'inanité de leur combat et de leur sacrifice.

C'est que, décidément, entre nous et les choses, s'insinuent un monde de concepts, de passions, de préjugés ou d'extrapolations, de désirs et de passions ... Nous le savons, au moins depuis Kant : nous n'atteignons jamais les choses mêmes ; mais feignons néanmoins de l'oublier.

Qui n'a rêvé, avec un peu de honte mais cette si trouble nostalgie, de retrouver un moment cette candide simplicité d'enfance où les choses semblent être ce qu'elles paraissent ?

Se résoudre pourtant à ces textes, ces images, ces tableaux, qui s'interposent et nous imposent un regard d'abord déterminé par la critique rongeuse des souris - ainsi qu'aimait à le rappeler Marx - mais aussi par ces productions artistiques ou pas, philosophiques ou pas qu'un siècle de distance a érigées en classiques incontournable.

L'irruption de l'inhumanité

L'irruption de l'absurde

La certitude de la rupture

L'évidence de l'apocalypse