Il y a 100 ans ....

Procès de Laval en octobre 1945
ou le palindrome

Pierre Laval, ancien chef du gouvernement de Vichy, s'exprime au cours de son procès. Condamné pour haute trahison, il sera fusillé le 15 octobre 1945. Pierre Laval lors de son procès. La main sur le coeur, il témoigne ; se défend. Il y a quelque chose de pathétique dans cette posture d’un homme debout, quand tout le monde est assis ; d’un homme face à l’appareil, face donc aussi au président du tribunal, face à l’histoire.

Il tourne le dos au public, et de tous ceux qui sont supposés attentivement l’écouter, puisque plus tard le juger, il n’en est qu’un qui semble le regarder, le scruter même, la tête calée sur la main gauche.

Mise en scène toujours dramatique que celle des prétoires, jusqu’à ce clair- obscur que ne semble pas illuminer un lustre plutôt kitsch, comme si la seule lumière qui vînt arracher la cour aux noirceurs du temps ne pouvait être qu’obvie, et finalement assez faible (en haut à droite.)

Tout, sans doute, est visible dans cette photo à qui veut regarder, mais à qui sait regarder, surtout, parce que connaît l’histoire et la suite de cette histoire : le pouvoir et la chute ; grandeur et misère ; justice et simulacre politique ; vérité et mensonge. C’est pourquoi cette photo ne montre rien, pour dire tout.

La main sur le coeur, de cet homme amaigri, au reste d’élégance désinvolte qu’illustre la main dans la poche, droit dans la défense de son bilan. Ombre et lumière, va et vient entre lâcheté et héroïsme, collaboration et résistance : la France règle ses comptes et se débarrasse de son passé, si peu glorieux. L’homme mourra, piteusement exécuté, après une tentative de suicide ratée. Laval est le symbole même de ce que la France ne veut pas voir d’elle-même, et l’efface. Il reviendra, par la bande, comme la mauvaise conscience d’une épuration rarement glorieuse, vite bâclée, il resurgira, beaucoup plus tard, comme la dérive même d’une France qui, de gauche, se glissa, peureuse, dans la couche débraillée de la révolution nationale, pour se délecter enfin des remugles fétides du fascisme.

Laval, est tout dans ce palindrome qui résume l’époque étonnante, et le tourbillon affolé des valeurs. Populaire et populeux à en mimer la gouaille, maquignon dans l’âme, le châtelain auvergnat contrefait ici la sincérité de la potence. Deux ans avant, c’était Blum qui à Riom, se défendait. Ronde des vaincus, tourbillon des vainqueurs, palindrome des valeurs, Laval serait victorieux en ceci de nous faire croire que l’un et l’avers se valent. Ce qui est faux ! Néanmoins, demeure le malaise ; dirimant !

Malaise de cette glissade qui fit chuter une génération et se douter de l’humain. Il y a du Judas dans cet homme-là, et l’on cherche les deniers de la prébende.

Il fut l’exécuteur ultime de notre XIXe siècle : avec lui, meurt le progrès, et l’espérance naïve. Cet homme-là n’est symbole de rien, juste la glissade qui relie le rêve au cauchemar.