Il y a 100 ans ....

Procès Laval

Première audience, le 4 octobre 1945.

Le banc de la défense est vide (2), celle-ci conteste l'instruction même. Le premier président Mongibeaux passe outre. Il rappelle à Laval "la poursuite des patriotes, la Milice, les cours martiales..."

quand Laval l'interrompt : "Mais vous étiez tous aux ordres du gouvernement à cette époque, vous tous qui me jugez, magistrats, et vous, Monsieur le Procureur général [Mornet]".

Le premier président : "Si vous dites quoi que ce soit qui puisse constituer un outrage à l'égard des magistrats, nous passerons outre aux débats..."

P. Laval : "Je suis français, j'aime mon pays, je n'ai servi que lui" (Bruits dans la salle).

M. Demusois, juré : "Un peu plus de modestie, fourbe."

Le procureur général : "Je vous prie de maîtriser votre indignation, Messieurs les Jurés. Elevez-vous au-dessus de ce qu'elle vaut."


P. Laval : "Que pouvez-vous craindre d'une instruction véritable ? Elle était nécessaire non seulement pour l'exercice de mon droit naturel de me défendre, mais aussi par la contribution qu'elle aurait apporté à l'histoire de notre pays.

(...) Je n'accepte pas mais je subis la procédure arbitraire que vous m'imposez."

Lecture du réquisitoire définitif. Pierre Laval est poursuivi pour :
- crime d'attentat contre la Sûreté intérieure de l'Etat;
- intelligences avec l'ennemi.

Procédant à l'interrogatoire de l'accusé, le premier président :

- "Je fais un exposé assez long..."

P. Laval : "Un peu inexact, mais cela le rend plus pittoresque."


P. Laval se défend : "Vous êtes dans l'ignorance des faits (...). On me fait reproche pour les Juifs (...). Je souhaiterais n'être jugé que par des Juifs français, parce que maintenant qu'ils connaissent les faits, ils se féliciteraient de ma présence au pouvoir et ils me remercieraient de la protection que leur ai accordée. Voilà une parole que je prononce; elle peut choquer ceux qui l'entendent, mais quand ils sauront pourquoi j'ai le droit de la prononcer, elle ne choquera plus"


Autre extrait du long monologue de Laval : "Vous parliez tout à l'heure de mes origines modestes (...). Savez-vous, Monsieur le Premier que la plus grande blessure dont je souffre, c'est de savoir que parmi ces humbles, parmi ces travailleurs que j'ai tant aimés, que j'ai voulu tant servir, il en est qui sont trompés, qui m'en veulent, parce que, moi, je n'ai pas changé de sentiments à leur endroit."



Retournant sa veste par rapport à Pétain, Laval s'exclame : "Pour la maréchal Pétain, je me suis trompé, j'en fais humblement l'aveu devant le public. Où il eût fallu le maréchal Lyautey, nous avons eu le maréchal Pétain. C'est fait, je n'y peut rien."


Après une interruption d'audience, P. Laval poursuit : "Voulez-vous que je vous dise le fond de ma pensée ? Je ne suis pas petit devant vous. J'ai occupé les plus hautes fonctions; j'ai représenté mon pays quand il était fort, victorieux; J'ai eu cette fierté. Je ne me suis jamais senti aussi grand que sur ce banc, quand vous m'accusez car c'est pour ma patrie que je souffre et que j'ai souffert."


Laval monopolisant la parole, le premier président le questionne : "Est-ce que vous me laisserez parler ?"

P. Laval : "Evidemment, je n'ai pas le moyen de vous empêcher."

Un jeune homme applaudit.

Le premier président : "Arrêtez immédiatement le perturbateur."

Un juré, M. Prot : "C'est la Cinquième Colonne, la clique."

Un autre juré : "Il mérite, comme Laval, douze balles dans la peau."


Fin de cette première audience.

 

 

Audience du 5 octobre 1945.

Les trois avocats de Pierre Laval assurent sa défense. Ils déposent des conclusions selon lesquelles il y a lieu de saisir à nouveau la Commission d'instruction ou de renvoyer le procès. Conclusions rejetées par la Cour.

P. Laval provoque : "Je me tourne vers les jurés. Je ne les ai pas choisis. Il y a beaucoup de communistes, m'a-t-on dit, parmi eux. Cela m'est absolument égal. Ils sont, pour moi, des Français, et ils sont du pays de Descartes."

Un juré : "Ils l'ont prouvé."

P. Laval : "Parce qu'ils sont du pays de Descartes (...), ils savent qu'on ne peut rien contre la vérité. Eh bien, la vérité est simple. Me reprocher l'armistice, ce n'est pas une injustice, c'est plus grave qu'une injustice : (...) c'est une offense à la vérité."


Le procureur général Mornet : "Si vous n'aviez aucune autorité sur le maréchal et s'il ne vous consultait jamais, s'il n'avait aucune confiance en vous, comment se fait-il qu'au lendemain du 10 juillet [1940] vous ayez été appelé à la vice-présidence du Conseil et qu'il ait fait de vous son héritier présomptif ?


P. Laval : "Vous croyez avoir dit l'histoire en disant cela ? (...) Il était mortel, le maréchal (...). Je manque de modestie aujourd'hui ? C'est possible, mais je dis qu'aucun autre nom à ce moment-là ne pouvait apparaître dans un acte constitutionnel autre que le mien."


P. Laval décrit Pétain : "Le maréchal (...) était un homme sans expérience politique et il avait, néanmoins, le goût de la politique, en tout cas, très certainement, le goût du pouvoir personnel, un goût immodéré. Je m'en suis rendu compte trop tard. J'ai pensé qu'en restant, j'accomplissais mieux mon devoir qu'en m'en allant, que peut-être je pourrais, à la longue et le plus rapidement possible, exercer une parcelle d'autorité ou empêcher certains actes de s'accomplir."


P. Laval charge Pétain : "Un jour, excédé par l'usage de ce pouvoir personnel, je dis au maréchal : "Connaissez-vous, Monsieur le Maréchal, l'étendue de vos pouvoirs ?" Il me dit : "Non". Je dis : "Ils sont plus grands que ceux de Louis XIV, parce que Louis XIV devait soumettre ses édits au Parlement, tandis que vous, vous n'avez pas besoin de soumettre vos actes constitutionnels au Parlement, puisqu'il n'est plus là." Il me dit : "C'est vrai." (...) Eh bien, oui, il avait le goût du pouvoir personnel, et je n'étais pas assez fort pour l'empêcher de l'exercer dans es limites."


P. Laval évoque la Légion : "Le maréchal n'avait pas l'idée de faire un parti unique à l'image et à l'instar du parti national-socialiste. Je me garderai bien de le prétendre, ce serait ridicule. Le maréchal avait l'intention de supprimer les partis politiques qui existaient (...). Il ne voulait qu'un parti du maréchal ; cela est clair. Eh bien, ce part du maréchal s'appelait la Légion.
(...) La Légion n'avait pas les faveurs de l'autorité d'occupation. Elle était un organisme politique à tendance réactionnaire dans la zone sud. Elle m'a gêné dans mon action gouvernementale; elle m'a obligé parfois à prendre des décisions que je n'aurais pas voulu prendre."


Audience du 6 octobre 1945.

Le procureur général Mornet : "Si, au lendemain de la Libération, au mois d'août ou au mois de septembre 1944, Pierre Laval avait été appréhendé et conduit devant un tribunal militaire - qui ne juge pas avec toutes les formes extérieures auxquelles vous étiez astreints - eh ! bien ! sa condamnation suivie de ce que vous savez, n'eût pas été une erreur judiciaire."
P. Laval : "Cela m'aurait privé du plaisir de vous entendre !

Le procureur Mornet : "Cela aurait donné satisfaction à la conscience de tous les Français."

Très vite, cette audience devient tellement tumultueuse que le premier président annonce une suspension. Les sténographes notent alors, en provenance des jurés et visant P. Laval :
- "Provocateur... Salaud... Douze balles... Il n'a pas changé..."

Réponse de P. Laval : "Non, et je ne changerai pas maintenant... Les jurés !... Avant de me juger !... C'est formidable..."
Un juré : "On vous a déjà jugé, et la France vous a jugé aussi !"


Conséquence de cet incident de séance, l'accusé décide de ne plus comparaître et refuse de se présenter à la reprise du procès

Ancien président de la République, Albert Lebrun est appelé à témoigner :

- "Il eût mieux valu pour la France et pour lui-même [P. Laval] que le pays fut administré directement par un gauleiter plutôt que par un gouvernement français qui n'allait plus avoir du pouvoir que l'apparence et dont le rôle essentiel consisterait, en somme, à avaliser toutes les décisions des autorités d'occupation."

Audience du 8 octobre 1945.

Le fauteuil de Pierre Laval est vide, de même que le banc de la défense.


Déposition du général Doyen :

- "Toute politique ayant pour objet d'aider l'ennemi sous une forme ou sous une autre dans sa lutte contre l'Angleterre et ses alliés, ne pouvait que favoriser l'Allemagne dans l'obtention de ses buts de guerre, qui étaient, en premier lieu, le démembrement et la destruction de la France. Par conséquent, toute politique ayant cet objet, qu'elle s'appelle collaboration ou autre, était une politique criminelle contre le pays.

Or, il s'est trouvé une homme pour se faire le père de cette politique et l'imposer au pays. Cet homme a été M. Laval."

- "Son intimité avec les Allemands était totale. Je dirais même qu'elle était indécente à un moment où nous avions plus d'un million et demi de prisonniers qui souffraient derrière des fils barbelés."

Déposition du secrétaire général honoraire du Sénat, M. de Lapommeraye :

- "Cinq ou six semaines après [juillet 1940], il [P. Laval] me dit : "Et voilà comment on renverse la République".

Le procureur général Mornet : "Pierre Laval a fait notifier 33 témoins qui appartiennent à la Haute Cour, en tant qu'il peut y avoir intérêt à recevoir leurs dépositions. Je vais vous demander de prier M. l'Huissier de faire appel de ces 33 témoins."
Aucun ne répond à l'appel de son nom.


A défaut d'entendre Pierre Laval devant la Cour, il est donné lecture de ses interrogatoires lors de la brève instruction.


Question : "Le 22 août 1942, c'est le débarquement manqué des Britanniques à Dieppe (5). Que dites-vous des félicitations adressées par le maréchal et par vous-même au haut commandement allemand pour le "rapide nettoyage" et du télégramme de Pétain qui faisait l'offre au Chancelier du Reich d'une collaboration militaire ?"


Réponse de P. Laval : "Je n'en ai aucun souvenir. Je n'avais pas coutume de correspondre avec les militaires allemands."
Question : "Antérieurement au 24 août 1942, se place un acte dont on a beaucoup parlé : c'est le défi qui est sorti de votre bouche le 22 juin précédent, et que la radio a diffusé aux quatre coins du monde. C'est le "Je souhaite la victoire de l'Allemagne."

"Le 15 décembre 1942, au cours d'une conférence de presse à Vichy, vous vous écriez : "Assez d'hypocrisies, il s'agit de choisir son camp sans équivoque et sans ambiguïté : je veux la victoire de l'Allemagne... Ceux qui escomptent la victoire américaine ne veulent pas comprendre que M. Roosevelt apporte dans ses bagages le double triomphe des Juifs et des communistes. Libre à certains de le souhaiter, mais je suis résolu à les briser, coûte que coûte."


Réponse de P. Laval : "Si je n'avais pas fait certaines de ces déclarations verbales, je n'aurais pas pu résister à certaines exigences allemandes, plus dures encore que celles que nous avons connues. Ces propos qui n'engagent que moi, m'ont permis de mieux accomplir ma tâche."

Question : "La loi mettant les Juifs hors du droit commun n'était qu'un premier pas dans l'imitation servile de nos vainqueurs. (...). N'y eut-il jamais de Juifs arrêtés en zone libre, notamment en juillet et août 1942 ?
(...). Aussitôt après votre reprise du pouvoir en 1942, la politique soi-disant française devient une politique tout allemande : persécution contre les Juifs, on l'a dit, persécution contre les francs-maçons, qui se traduit part de nombreuses listes de noms à l'Officiel, ce qui les marque pour servir d'otages, persécution contre les communistes et résistants de tous les partis; la police française mise au service de la Gestapo; des arrestations innombrables (25.000 à Paris dans la nuit du 15 au 16 juillet) (6). Les lois d'exception toutes calquées sur le régime hitlérien et au rebours de nos traditions, vous ne laissez même pas aux vainqueurs le soin de les appliquer ?"


P. Laval : "Je répondrai par une note."



Question : "Un article dit "loi" n° 1077 du 11 décembre 1942" publiée au Journal Officiel du 12 décembre, et signé par vous, prescrit l'apposition de la mention "Juif" sur les cartes d'identité délivrées aux Israélites français et étrangers. Voulez-vous vous expliquer sur cette prétendue loi qui est signée par vous seul ?"


P. Laval : "Je suis fatigué; exceptionnellement sur ce point je vous ferai parvenir une note."

 

Audience du 9 octobre 1945

En l'absence de Pierre Laval et de ses trois avocats, réquisitoire du procureur général Mornet :


- "Dans la France diminuée on espérait, avec l'aide d'hommes comme Laval, trouver (...) un pays subordonné à la politique du Reich. Aussi bien est-ce le pays où, pour mieux le mater, le nombre de déportés a été le plus élevé : déportés raciaux, cent vingt mille, sur lesquels il en est revenu quinze cents (7); déportés politiques, cent vingt mille également (8), dont beaucoup sont restés dans les camps de Dachau, de Buchenwald, et dans les chambres à gaz, sans compter les cent cinquante mille fusillés sur le sol de France (9). Je me demande dans ces conditions de quel droit Laval peut dire que s'il n'eût pas été là, la situation eût été pire.


Mais il faut considérer les choses de plus haut. La politique de Laval a fait aux Français une situation pire au point de vue moral; elle a exposé la France au soupçon de trahison envers ses alliés comme envers la cause dont elle était le champion dans le monde."

- "Aujourd'hui il (...) refuse de se présenter devant vous pour se défendre. C'est sa suprême ressource, et je dirai même sa suprême tactique.


Vous avez pu constater que chaque fois qu'on lui pose une question précise, il l'élude, ou promet de répondre par une note qui n'est qu'une nouvelle façon d'éluder une réponse qu'il ne peut pas faire. Alors, devant l'impossibilité de répondre à une question précise, lui, qui est un joueur, il a joué jusqu'au bout en se disant : "Ils n'oseront".
Eh bien, pour ma part, et quelque rôle pénible que dans ces conditions la loi et mon devoir m'imposent, je suis de ceux qui disent : "J'oserai" (...).


Je vous demande de prononcer la peine de mort contre Pierre Laval."

Après une très longue délibération, la Haute Cour condamne Pierre Laval à la peine de mort, le déclare convaincu d'indignité nationale et prononce la confiscation de ses biens.

 

 

Le 13 octobre 1945, le général de Gaulle entend Mes Naud et Baraduc, lesquels demandent non pas la grâce de Pierre Laval mais de recommencer le procès. Si le chef d'Etat pouvait effectivement accorder sa grâce, juridiquement, il ne pouvait casser une décision judiciaire et ordonner la révision du procès.

Le 15 octobre, quand la cellule de Laval est ouverte à la prison de Fresnes pour le conduire à la mort, il est découvert empoisonné.


Ranimé, la majeure partie de la substance toxique éliminée, Pierre Laval est fusillé devant une butte de Fresnes où les Allemands passèrent par les armes des résistants...