Il y a 100 ans ....
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L'émancipation des femmes et la guerre.

On l'a écrit ; on l'a tellement écrit, comme d'une évidence : la guerre aura émancipé les femmes ...que c'en devient presque suspect.

Il y a pourtant, là-dessous, une formidable méprise, un évident parti pris idéologique, une invraisemblable approximation :

- ce qui est effectivement inédit (1) , c'est bien cette mobilisation générale qui va, en plein été, et la date n'est certainement pas anodine pour une nation encore essentiellement paysanne, prélever en moins d'un mois presque quatre millions d'hommes des champs et des usines soit un dixième de la population et un quart de la population active. Il fallait bien que la récolte se fasse et que les usines tournent - notamment celles d'armement - il est clair que les femmes occupèrent ces places cruellement vacantes.

- ce qui l'est tout autant et à quoi personne en réalité ne s'attendit, c'est que cette guerre allait se prolonger quatre ans ce qui, outre le nombre invraisemblable de tués, de blessés, d'invalides qui n'allait pas manquer de provoquer des effets tant d'un point de vue social, économique et démographique, produira invariablement des changements de mentalités

- ce qui est évident c'est que cette guerre allait vite produire un brassage de populations qui ne se rencontraient pas forcément auparavant : entre urbains et ruraux surtout.

- ce qui est manifeste encore, c'est combien l'on se sera écrit durant le conflit : la république a fait son oeuvre et les soldats savent désormais écrire. Ils échangeront avec leurs familles, avec leurs épouses donc, une correspondance nourrie. Ce lien si nécessaire avec l'arrière, qui soutient comme on disait le moral de la troupe, qui constituera plus tard un terreau fécond pour l'historien, dit en fin de compte l'importance du dialogue au sein de la famille. Les femmes non seulement parlent et écrivent mais laissent des traces. Ceci est inédit en histoire et n'a sans doute pas contribué pour peu à l'émergence d'un nouvel équilibre au sein des familles.

Le corps change

Partir peut-être de ce qu'il y a de plus extérieur, de plus immédiatement visible, le corps ; de ce qu'il y a de plus socialement déterminé en même temps : l'habillement.

Certes, le discours des couturiers a toujours été plus ou moins mégalomane, chacun se targuant d'à la fois toucher d'au plus près la Beauté - ce qui est métaphysiquement outrecuidant - et d'être le vrai promoteur de l'émancipation des femmes - ce qui est furieusement prétentieux. Pour autant, il est exact que la silhouette de la femme bourgeoise a commencé de changer dès les années 1910. Poiret ose abolir le corset vers 1905 : il dessine des robes qui révèlent les formes. C’est sur cette évolution que s’inaugure la beauté du XXe siècle, « métamorphose » amorcée entre les années 1910 et 1920 : lignes étirées, plus grande liberté de mouvements. Plus de poitrine projetée en avant, ni de croupe rejetée en arrière. Les corsages cintrés, affinant la taille et soulignant les hanches, passent de mode, et les femmes portent désormais des robes en tissu léger censées rappeler les tenues Empire, qui aplatissent les lignes sans plus marquer la taille. Une silhouette androgyne s’impose avec les premières robes-foulards ou chemisiers. Les jambes se déploient, les coiffures se relèvent, la verticalité domine.

Certes, la photo de droite le montre, les toilettes de ville, avec petit col de dentelle, dissimulent le corps, des oreilles jusqu’aux pieds. La chevelure est remontée sur la tête et le chapeau se plante en avant, comme pour équilibrer la silhouette tirée vers l’arrière par la traîne. Mais, malgré les apparences, la toilette féminine est beaucoup plus légère qu’elle ne l’a été depuis longtemps même si les corps restent tous corsetés.

L’allure de la femme glissera imperturbablement de l’image de la fleur à celle de la tige, de la lettre « S » à la lettre « I ». Au début des années vingt, la silhouette se fait ainsi tubulaire, mais la robe n’a pas encore raccourci. En 1925, pour la première fois dans l’histoire de l’Europe moderne, elle découvre le genou. C’est un véritable scandale.

Avec cette Jeune femme en solo au Romanisches Café de Berlin, c'est un nouveau type de femme qui se donne à voir, cherchant, en parallèle de cette libération des jambes, à s'émanciper du statut traditionnel de la femme. Surgit la coupe à la garçonne, sans laquelle il est impossible de porter le chapeau cloche. Et les vêtements effacent toutes les courbes du corps féminin qui ont enchanté les siècles précédents.

On a voulu y voir une révolution culturelle bien au delà d'une révolution esthétique : c'est assurément prendre le mot pour la chose. S'il suffisait d'avoir une silhouette gracile, élancée, de montrer ses jambes, pour être libre cela aurait fini par se savoir et ce d'autant que ce mouvement n'atteignit que la femme urbaine, bourgeoise. Il n'empêche, ce changement de silhouette et, surtout, l'abandon du corset finirent par devenir les symboles de cette émancipation en marche.

En tant que symbole, ceci est incontestable.

On se souviendra qu'il n'est pas de mutation, ou de révolution culturelle, qui n'eût besoin de s'incarner et qui le fit le plus souvent par un trait ou une allure vestimentaire. La libération des femmes, au milieu des années soixante se joua de la mini-jupe ; au milieu des années soixante-dix de l'abandon du soutien-gorge.

On sera passé en moins d'un siècle d'un corps féminin qui se cache, qui surtout est comprimé, enfermé et réduit à des formes d'autant plus contraignantes qu'abstraites à un corps qui non seulement se montre mais cherche ses aises dans des vêtements souples et aérés . Or, de ce point de vue au moins le corset fut plus qu'un symbole : ce corps comprimé, contraint à des postures extravagantes ne pouvait que souffrir et être aliéné tant dans ses mouvements que dans ses élans. Corps enfermé et gourd qui en tout cas n'était compatible qu'avec la vie oisive et ostentatoire de la bourgeoise élégante : assurément pas avec celle, laborieuse, de la paysanne ou de l'ouvrière.

Ces femmes, qui récoltent betteraves ou sortent de l'usine Krupp, en vérité se ressemblent : elles sont bien encore cette part d'humanité qui travaille et se tait, et n'était cette prédominance du noir, n'était aussi l'absence de l'homme, on pourrait croire ces photos tout ordinaires.

Mise à part l'absence de couvre-chef, ces photos ne tranchent en rien de l'ordinaire du labeur humain que l'on veut bien encenser quand il est soumis et à la dévotion de la nation, dont on se méfie cruellement sitôt qu'il regimbe et a prétention à revendiquer des droits.

Les grèves surviendront mais plus tard. Elles seront le fait des femmes au moins autant que des hommes. Mais il faudra du temps et des souffrances, l'éclatante certitude d'une guerre qui allait se prolonger, pour que les femmes elles-mêmes s'habituent à ce rôle crucial qui est le leur désormais et qu'elles n'imaginent plus tout à fait devoir redevenir subalterne comme il le fut.

La femme devient visible

Et, surtout, d'abord, on la montre. La presse, le discours officiel, ce qu'on nommera bourrage de crâne, ou propagande, tient en particulier à illustrer combien l'effort patriotique n'est pas seulement le fait des poilus mais aussi, à l'arrière, des femmes, qui non contentes d'endurer avec patience l'absence des hommes, ont pris le relais et mettent la main à la pâte.

D'où ces reportages fréquents sur les femmes au travail - notamment quand il s'agit de les montrer dans des exercices habituellement réservés aux hommes tels que ramoneurs ; traminots, mécaniciennes, factrices etc.

Pour autant, ne nous leurrons pas les activités les plus valorisées demeurent encore celles, classiquement estampillées comme féminines : jardinières, cantinières - songeons à la Madelon - infirmières, préparation des colis pour les soldats, voire marraines ... On remarquera en tout cas que la mise en évidence du travail des femmes en usine sera d'autant plus aisément mis en évidence qu'il s'agira d'usines d'armement et les photos sont nombreuses les montrant préparant les munitions - les fameuses munitionnettes ou obusettes - en des tâches aussi ingrates que dangereuses où à l'évidence elles sont au bas de l'échelle.

Autant dire que si émancipation il y a, elle est bien symbolique : les inégalités sociales sont aimablement reproduites et aggravées lorsqu'il s'agit des femmes qui non seulement n'accèdent pas aux postes de responsabilité mais de surcroît gagnent sensiblement moins que les hommes (1 Fr de l'heure pour un manoeuvre, 0,75 Fr pour une femme et 0,35 Fr pour une jeune fille de moins de 16 ans).

Autant dire que la représentation de la femme que le discours patriotique privilégie demeurera encore l'épouse attendant patiemment son soldat d'époux, ou bien gérant précautioneusement ses maigres ressources.

Il faudra du temps, presque un siècle, pour que l'idée de métiers réservés aux hommes s'atténue quelque peu ; il faudra bien du temps encore si l'on en juge par l'état actuel des choses, pour que le salaire des femmes équivaille à celui des hommes et qu'elles puissent accéder au même titre qu'eux à des postes d'encadrement et de responsabilité.

Au travail :

C'est en réalité sur la longue durée que l'on peut évaluer les éventuels progrès de l'émancipation féminine. Or, la femme au travail dans les usines et les champs n'a rien d'extraordinaire : en dépit du paradigme entêtant de l'idéologie dominante qui veut que la place des femmes soit à la maison à s'occuper de la famille, les femmes travaillent même si cela recouvre encore beaucoup un labeur caché, subalterne et sans droit : on la retrouve dans les champs, dans les ateliers à domicile qui se développent, dans le commerce mais évidemment aussi dans tout le registre de la domesticité. Les révolutions industrielles vont les faire entrer à l'usine où la représentation de leur faiblesse physique va les reclure dans les activités les plus répétitives mais aussi les moins bien payées. Le privilège noble du mâle étant la puissance et la décision, elle sera réduite aux tâches répétitives et auxiliaires.

Le recensement de 1906 indique que les femmes représentent 39% de la population active - 38% sont ouvrières, 16 % domestiques. Or, même s'il est vrai que la part des femmes travaillant dans les usines augmentera après la guerre, ne serait ce que pour compenser le nombre effrayant de tués et d'invalides, en revanche force est de constater que nombreuses furent aussi celles qui revinrent à leur statut de départ comme si la guerre n'avait été qu'une effroyable parenthèse. En 1920, elles ne représentent plus que 30% de la population active et le retour des hommes d'une part, la mécanisation accélérée et réduisant le nombre d'emplois offert, d'autre part, une crise économique se profile qui amène le gouvernement à inciter les femmes à revenir au foyer. Cette politique n'aura que peu d'effet : les femmes quittent d'autant moins les usines qu'on leur y propose d'autant plus volontiers des postes que leurs salaires sont inférieurs de 20 à 30% à ceux des hommes.

Où la situation changera le plus, après guerre, c'est sans doute dans le secteur tertiaire qui se féminisera de manière assez sensible après guerre. Avec la professionnalisation désormais reconnue par un diplôme du métier d'infirmière, avec l'équivalence désormais reconnue et des programmes quasi-identiques au bac pour les filles que pour les garçons, avec donc l'accès devenu possible à l'Université, c'est la légitimité du travail féminin qui commence à entrer dans les moeurs à condition d'admettre que ce mouvement concerne d'abord les urbains, les emplois tertiaires et les femmes de la petite et moyenne bourgeoisie.

Le chemin est encore long qui permettrait de parler d'émancipation.

A tout le moins faut-il admettre que si la guerre de 14 est bien un contexte qui vient bouleverser la place des femmes dans le monde du travail, elle ne saurait être entendue comme une cause. Ce sont bien plutôt une politique salariale, d'un côté ; une politique éducative, de l'autre, en même temps que la pente de l'activité économique à gonfler le tertiaire au détriment du monde agricole d'abord puis de l'industrie ensuite qui formeront le socle de l'évolution chaotique de la condition féminine au XXe siècle. Il faudra bien plus que la guerre elle-même pour bouleverser le rapport entre les sexes.

Néanmoins, quatre facteurs auront changé la donne, deux à court terme ; deux à long terme :

- la grande saignée démographique provoquée par la guerre aura manifestement déréglé le marché matrimonial : la précarité des situations pousse la bourgeoisie - petite et grande - à doter leurs filles d'une formation scolaire voire universitaire leur permettant d'exercer une activité professionnelle. Même si elles arrêtent le plus souvent de travailler en se mariant, les jeunes femmes de l'entre-deux-guerre attestent en tout cas que pour elles désormais le travail est intégré dans un horizon possible à défaut d'être encore souhaitable.

- la fin du Franc Germinal - qui a perdu 70% de sa valeur - signe aussi l'érosion des rentes et l'effritement des fortunes. La stabilité de la monnaie durant un siècle avait favorisé en France un capitalisme de la rente bien plus que de l'entrepreneuriat et l'une des formes classiques de la réussite bourgeoise - attestée aussi bien par la littérature (Balzac, Zola) que par l'analyse politique (Tocqueville) - demeure encore celle du placement sûr et prudent et de la gestion avisée - en bon père de famille - d'une fortune patiemment accumulée. Après 18, la situation, pour enviable qu'elle puisse encore paraître, n'est plus ni stable ni pérenne : l'activité professionnelle devient dès lors - surtout pour les femmes - sinon une perspective désirable en tout cas un pis aller nécessaire. La solde versée au soldat étant notoirement insuffisante, l'allocation versée aux femmes de mobilisés représentant à peine une heure de travail par jour, le prolongement de la guerre aura au moins montré aux femmes la nécessité pour elles d'une formation professionnelle qui leur permît de répondre à la fois aux situations d'urgence et à l'instabilité désormais de rigueur, de la conjoncture économique.

- une baisse continue du nombre de naissances depuis 1900, à quoi la guerre ne changera rien et qui se prolongera jusqu'au milieu des années 40. Après guerre une politique familiale vigoureuse, avec l'extension des allocations familiales, mais aussi avec la loi de 1920 qui criminalise l'avortement, visait manifestement à faire retourner les femmes dans les foyers non seulement pour laisser leurs places aux hommes revenus du front mais encore pour y faire des enfants. La courbe ci-contre montre que ce fut un échec cuisant comme si les femmes se refusaient à fournir à la guerre suivante de la chair à canon fraîche. Néanmoins la continuité de cette tendance à la baisse laisse augurer que la guerre en tant que telle n'y eut aucune conséquence ; que si elle peut expliquer, jusqu'au paroxysme de la politique pétainiste, la mise en exergue de la mère plutôt que de la femme, elle ne saurait être entendue ni comme un effet de la guerre ni comme une revendication émancipatrice car, tout aussi bien, la reprise vigoureuse de la natalité à partir de 42 ne se fit pas contre mais en même temps que les aspirations émancipatrices des femmes et leur entrée massive sur le marché de l'emploi.
On sait la France avoir commencé sa transition démographique presque un siècle avant les autres pays européens et si l'Allemagne l'a entamée elle-aussi à la fin du XIXe, cela est si peu visible encore aux analystes qu'avant 14 on s'alarmera en France d'une population moins vigoureuse et moins jeune que celle de l'Allemagne et y verra les risques d'un affaiblissement militaire imminent : la loi des trois ans votée en 1913 n'avait pas d'autre objectif que de le compenser. C'est dire combien la fécondité - et donc la place des femmes au sein de la famille - est un enjeu important du discours militaire et politique qui s'appuiera d'autant plus aisément sur l'Eglise, les ligues de vertus et la doctrine hygiéniste des médecins que ceux-ci pousseront au maintien des femmes dans les familles, à l'exacerbation de la maternité et à la réprobation du salariat féminin. Ce qui ne veut pas signifier pour autant que ces discours et les lois qui s'en suivirent fussen nécessairement suivis d'effet. J'aime à penser la dimension en partie irrationnelle de la fécondité, qui a sans doute autant de déterminants métaphysiques qu'économiques ou sociaux. Les politiques volontaires accompagnent les tendances ; ne les créent jamais. C'est dans ce sens que la natalité dit assurément quelque chose sur la représentation qu'à un moment donné, l'on se fait de la famille, du rôle des femmes ...

- la politique scolaire de la IIIe République : elle a fini par produire ses effets - et pas seulement par l'adhésion désormais massive des français à la république. Les hommes comme les femmes de 14 ont tous été à l'école et savent lire et écrire ; pour le moins. Même s'il faut attendre l'après guerre, on l'a souligné, pour que les femmes se voient offrir l'accès à l'Université et quand bien même ceci ne concernât encore que les filles de la bourgeoisie, il n'empêche que le socle minimal de connaissance est désormais partagé ce qui rendra possible, prépare en tout cas l'accès des femmes aux métiers du tertiaire. Qu'on y rajoute le fait que depuis 1907, les femmes ont libre disposition de leur salaire même si elles doivent encore demander l'autorisation de travailler à leur père ou époux ; qu'elles peuvent désormais librement se syndiquer - même si elles font peu appel à la grève qui fragilise leur position - et l'on comprendra combien l'éducation aura grandement contribué à préparer une nouvelle manière pour les femmes d'être présentes dans le monde du travail.

Reste le politique

C'est assurément dans ce domaine que la France sera le plus à la traîne. Même si, dès avant 14, il y a consensus chez les socialistes pour revendiquer le droit de vote des femmes, et qu'il y aurait sans doute eu, sinon au Sénat en tout cas à la Chambre des députés, une majorité républicaine pour la voter, manifestement l'irruption de la guerre, puis la situation chaotique de l'entre-deux-guerres, tant d'un point de vue économique que politique, auront reporté cette reconnaissance civique au point qu'il fallût attendre 44 pour qu'elle se fît.

On sait le mouvement des suffragettes vivaces tant aux USA, Royaume Uni, Allemagne qu'en France. Mais on sait aussi combien, même à gauche, on redoutait que, faute de formation ou d'expérience, et, pour certains du fait même d'une inclinaison propre à leur sexe, les femmes ne votent plutôt à droite et, pire que tout, votent clérical.

On a déjà dressé ici le portrait de femmes allemandes comme C Zetkin ou R Luxemburg ainsi que de S Lacore qui sera parmi les premières femmes ministres sous le Front Populaire de L Blum en 36. Si les femmes sont encore rares dans les partis politiques d'avant 14, ces quelques voix - fortes et déterminées - mettent en tout cas l'accent sur ce qui restera tout au long de ces années le dilemme des socialistes - mais tout autant des femmes elles-mêmes. L'émancipation des femmes est-elle une lutte à part ou bien n'est-elle qu'un cas particulier de la lutte plus globale qui marque le capitalisme - la lutte des classes ? Et, en conséquence, les femmes doivent-elles intervenir en tant que femme ou bien simplement en tant que militantes ?

Notre histoire politique montre en tout cas la tendance, continue depuis 89, à considérer que la révolution républicaine doit se porter et se limiter à la sphère politique - et donc, le plus souvent, s'arrêter aux frontières à la fois de l'usine et de la famille - que viennent télescoper l'analyse marxiste et le mouvement socialiste depuis le milieu du XIXe, en appelant au contraire à une révolution globale qui engageât d'abord la sphère économique puis sociale. Autre façon de dire que l'émancipation ne se décrète ni ne se vote !

D'où la certitude que l'émancipation des femmes ne saurait se satisfaire de quelques lois, fussent-elles progressistes ; que l'émergence et le développement de l'aspiration des femmes à l'égalité ne sauraient s'expliquer par une cause unique, fût-elle aussi forte que la guerre de 14. Qu'elles résultent au contraire d'un enchevêtrement serré de causes où éducation, développement d'une économie de plus en plus mécanisée, émergence forte du secteur tertiaire, transition démographique ont large part bien plus souterraines et de long-terme en tout cas que l'explosion apparente de la guerre.

 

Au bilan

G Offenstadt a sans doute raison : la guerre aura joué assurément un rôle de catalyseur en ce domaine comme dans d'autres, aura servi sans doute de révélateur d'une mutation tant économique que sociale plutôt que de cause - même seulement déclenchante - d'une aspiration à l'émancipation des femmes qui l'aura amplement précédée. Période de transition, écrit-il, oui assurément ! mais ne le sont-elles pas toutes ?

Si nous avons tendance spontanée à nous accrocher à des signes tangibles et à voir ainsi dans ces femmes des années vingt qui découvrent le charleston, le jazz, après avoir découvert le tango, les signes tangibles d'une émancipation en marche, qu'au moins l'on ne se méprenne pas en y voyant la ligne continue et continûment progressiste d'une libération mais bien plutôt un de ces symboles, aux antipodes exacts mais simultanés de la loi de 1920 réprimant tant avortement que contrôle des naissances montrant combien cette émancipation, ambivalente, contradictoire, revendiquée plus que réalisée ne fait encore que commencer.

Marx avait raison et après lui, l'Ecole des Annales : c'est bien dans les entrailles d'une société que l'on peut tenter de décrypter les prémisses des mutations à venir.

Ainsi, ici, la règle demeure la prudence devant ces extrapolations paresseuses.

 


1) n'oublions pas que la guerre de 70 ne concerna que l'armée de métier et fut assez courte

2) à comparer avec la courbe allemande