Il y a 100 ans ....
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Idées reçues

Un article dans le Monde de N Offenstadt pour relever quelques idées reçues à propos de la guerre de 14. Elle mériteraient sans doute d'être toutes éclairées : nous le ferons au moins pour quelques unes.

Elles révèlent en tout cas cet art si particulier qui est celui de l'historien qui a affaire à un objet mouvant qu'il se doit sans cesse de critiquer ; mais aussi à la représentation de cet objet qui n'est jamais que celle de son époque, chacune la reconstruisant, l'obligeant évidemment à la déconstruire avant même de pouvoir prendre quelque recul scientifique que ce soit.

C'est le cas notamment pour :

- les causes de la guerre : avant même de distinguer d'entre les causes profondes et les causes immédiates, déclenchantes, il importera de ne pas confondre causes et responsabilités. Que l'immédiat après-guerre entendît l'exclusive responsabilité allemande se comprend de soi seul ; la parole du vainqueur prévaut. Qu'un siècle après, l'on cherche avec plus de nuances à mesurer la part de chacun est évident même s'il est clair que l'enjeu sinon politique en tout cas idéologique du débat ne saurait être le même en France ou en Allemagne. Or, il semble assez évident que l'histoire qu'on est en train de retricoter à l'occasion de ce centenaire, ne peut pas ne pas tenir compte du contexte européen, en ses forces autant qu'en ses crises. Pour autant le débat sur les responsabilités ne saurait se confondre avec celui des causes ; le premier relève de l'imputation morale, idéologique sans doute, mais diplomatique, politique et géopolitique surtout quand le second a partie liée avec des grilles théoriques dont la neutralité idéologique est tout sauf évidente.

- l'émancipation des femmes : nous avons tous appris, et entendu seriné, combien la mobilisation générale, en laissant les femmes seules ou presque à l'arrière, contraignit celles-ci à prendre le relais. Qu'elles occupassent subitement des métiers auxquelles jusque là elles n'avaient pas accès est sûr ; que leur présence dans les usines, les champs et les services fût plus visible que jamais - il n'est qu'à regarder les photos et la presse de l'époque pour le constater - ne signifie pas pour autant ni qu'elles n'eussent pas travaillé auparavant ni surtout que ceci équivalût à une quelconque émancipation. Encore faut-il s'entendre sur les termes de cette émancipation : économique ? politique ? sociale ? des moeurs ? Sans doute les femmes d'après 18 ne sont-elles plus tout-à-fait les mêmes qu'en 14 ; sans doute, même si la France y mettra plus de temps que d'autres pays, se voient-elles progressivement reconnus leurs droits civiques ! mais encore ?

- la reconquête enthousiaste de l'Alsace : nous l'avons déjà évoquée et sa place si particulière dans l'imaginaire républicain de la IIIe République commençante. L'essentiel n'est pas là mais bien plutôt dans cette représentation d'une mobilisation pleine d'allégresse, dans cette fleur au fusil qui tient plus de la représentation journalistique et de la propagande que de la réalité. L'union nationale au début de 14, l'absence de grève de la guerre que les autorités craignirent tant, expliquent sans doute l'exacerbation par la presse et les autorités de cet enthousiasme qui n'a existé que dans les images (1) prises au moment de la mobilisation. A bien y regarder il y a bien plutôt sinon résignation en tout cas sentiment d'un devoir à accomplir à quoi l'on ne peut se soustraire, un devoir patriotique d'autant mieux accepté qu'on a la double certitude d'une guerre qu'on n'a pas voulue et qui sera courte.

Ce qu'il y a derrière tout ceci c'est évidemment le problème de l'histoire elle-même : la question n'est pas tant qu'elle repose sur le témoignage humain, nécessairement fragile, car après tout la confrontation des documents, leur critique, peut y remédier que la tentation de rationaliser les événements, les attitudes, les évolutions sociologiques dans une grille causale qui invariablement sous-estime ce qu'il peut y avoir d'irrationnel dans nos comportements, et d'extrapoler de manière trop générale tel ou tel phénomène comme cause des autres. La guerre, d'autant qu'elle fut massive et longue, d'autant qu'elle impliqua l'ensemble de la société, à l'avant comme à l'arrière, peut sembler assez aisément la cause ultime de tous les bouleversements observés mais est-ce si simple ? si binaire ? n'est-elle pas plutôt, en tout cas aussi, le contexte dans lequel ils se produisent et à ce titre sans doute un catalyseur mais pas nécessairement une cause, et certainement pas une cause première.

Il y a derrière tout ceci comme une revanche que prendrait la théorie du mal nécessaire ; comme une incapacité à considérer l'histoire comme une tragédie et à vouloir à tout prix conférer à la guerre quelque valeur positive - entêtement idéologique que précisément cette guerre mettra à mal.

Il n'empêche : ces images, ces idées ont la vie dure. Y revenir donc ! Au moins pour certaines d'entre elles.

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1) mais voir aussi