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Tannenberg Août 1914

Victoire décisive de l'Empire allemand sur les russes, Tannenberg est en même temps la seule bataille qui se livrera sur le sol allemand.

Le plan Schlieffen avait disposé que l'effort principal fût porté sur le front Ouest afin d'en finir au plus vite avec la France et de porter l'effort ensuite seulement sur le front Est.

Les allemands s'attendaient donc à devoir reculer dans un premier temps sauf à considérer que les premiers assauts russes furent plus violents et rapides qu'escomptés.

Après une contre-offensive ratée à Gumbinnen, le commandant allemand du secteur Maximilian von Prittwitz ordonne la retraite sur la Vistule. Destitué de son commandement il sera remplacé par Hindenburg qui stoppe la retraite mais conscient qu'il lui sera impossible de combattre à la fois au Nord l'armée de Rennenkampf et au Sud celle de Samsonov, décide de concentrer ses forces au Sud. Où il parviendra à tromper Rennenkampf qui croyant les allemands définitivement en déroute continuera à avancer vers Königsberg incapable dès lors de venir au secours de Samsonov rapidement encerclé par les allemands à Tannenberg.

Bataille révélatrice de l'état des forces russes : 400 000 hommes contre 160 000 seulement pour les allemands, mais mal préparés, logistique défaillante - ravitaillement et munitions tardent à arriver sur le front - moyens de communication défaillants, sans compter la forte mésentente entre les deux généraux. La Russie que craignaient tant l'Etat-Major allemand n'était finalement qu'un tigre de papier et la défaite face aux japonais dix ans plus tôt plutôt un signe de la déliquescence d'une armée qui n'avait comme seul atout que le nombre.

Bataille décisive parce qu"à partir de Tannenberg le front va se stabiliser et qu'en tout cas les russes en resteront à une stratégie purement défensive.

Bataille emblématique pour plusieurs raisons :

- roborative pour la propagande allemande qui peut ainsi claironner combien il lui est décidément possible de mener une bataille sur deux fronts sans que ceci nuise aux résultats ; qui jouera d'autant plus sur la corde de l'unité nationale qu'il était évident que la défaite russe tint en grande partie à l'animosité savamment entretenue entre Rennenkampf et Samsonov.

- Stratégique ensuite : même si la Russie n'est pas définitivement défaite - il faudra bien maintenir jusqu'en 18 des troupes à l'Est, il est évident dès le début de la guerre que c'en est fini de la légende du rouleau compresseur russe et que, dès lors, l'essentiel de l'effort militaire allemand peut dès lors se porter sur le front Ouest où les choses ne se passent pas comme prévu et où, résistance belge imprévue et sursaut français sur la Marne, le conflit loin d'être rapidement décisif va s'embourber pour longtemps.

- Politiquement aussi, la légende Hindenburg commence et surtout celle du duo Hindenburg/Ludendorff qui prendra progressivement la main sur toutes les décisions essentielles et finira par démunir Guillaume II de tout réel pouvoir. La légende Hindenburg commence et lui aussi - comme Pétain - est d'âge à être à la retraite. La question reste ouverte de savoir si le rapatriement de troupes de l'Ouest vers l'Est pour contenir les russes aura ou non contribué à affaiblir l'offensive sur le front Ouest et contribué ainsi à son échec et contribué ainsi à la prolongation de la guerre qu'on espérait rapide. Mais elle a renforcé assurément la confiance aveugle dans le savoir-faire de l'Etat-Major et donc les pouvoirs qu'il s'est arrogés. Cette victoire en tout cas explique en partie les buts de guerre exorbitants stipulés par le programme de septembre.

- Symbolique enfin car il est loin d'être anodin qu'Hindenburg donnât à cette victoire celui de Tannenberg ce qui revenait à effacer la défaite des chevaliers teutoniques de 1410 face aux polonais et lituaniens. C'était renforcer l'idée d'une allemagne championne de la civilisation face à la barbarie slave et l'on a déjà dit combien était vivace la hantise - on devrait écrire la haine - de l'allemand face au slave.

 

On cherchera en vain dans la presse française mention de la défaite russe de Tannenberg : on y insiste plutôt sur leurs réussites en Galicie face aux autrichiens et les communiqués lénifiants tout au long du mois de septembre et octobre insistent plus sur la victoire de la Marne, les atrocités commises par les allemands en Belgique ou encore la cathédrale de Reims en feu que sur ce qui se passe à l'Est : magie de la censure et mirage d'une vision franco-française mais pas seulement. L"urgence des événements en France est un des éléments ; la lente construction du mythe de Tannenberg en est une autre. Même s'il est vrai que le conflit nous apparaît d'abord comme un conflit franco-allemand - et il le fut tant il se déroula principalement sur le territoire français alors que ses causes déclenchantes avaient été austro-russes, même si des combats importants se déroulèrent à l'Est, notamment dans les Carpathes et en Galicie, il n'empêche que les deux forces militaires susceptibles de l'emporter et suffisamment solides pour soutenir l'assaut s'avérèrent vite les forces françaises et allemandes. Russes et Autrichiens jamais ne parvinrent à déplacer le centre de gravité des combats à l'Est et ces deux empires se révéleront vite très faibles.

Le Reich sera vite seul et n'en consolidera que mieux sa posture défensive de puissance encerclée, à l'est par des barbares, à l'ouest par des puissances économiques déclinantes - France et Royaume-Uni - soucieuses néanmoins de conserver leur hégémonie en Europe et bien décidée à en compter durement le prix à l'Allemagne.

D'où le double mythe à la fois de Tannenberg et de Hindenburg

Où se retrouve la frontière si fine entre commémoration et propagande.

Très tôt on érigea à Berlin une statue géante du maréchal : le public était invité à venir y planter des clous à acheter sur place, la somme étant versée aux veuves de guerre.

De la même manière c'est à Tannenberg qu'on érigea entre 1924 et 27 le plus grand monument de guerre allemand pour célébrer la victoire contre les russes, certes, mais surtout pour symboliser la puissance ancestrale et civilisatrice de la germanité. Financé par des associations d'anciens combattants très marqués à droite, le monument qui n'est pas sans rappeler le site néolithique de Stonehenge, disposait au centre de chaque côté de l'octogone une tour ; à l'intérieur, une crypte où l'on enterra les restes de vingt soldats inconnus. Ces derniers furent déplacés plus tard dans des cryptes latérales quand Hitler décida en août 34 d'y enterrer Hindenburg.

Dès lors, le monument prit tout son sens qui n'était pas seulement d'effacer la défaite de 18 ou même celle de 1410 mais de mettre en avant, outre la tradition guerrière des chevaliers teutoniques la grande mission civilisatrice, la solidarité avec cette prusse désormais détachée du territoire mais enfin la revanche à prendre sur une défaite qui ne s'est jamais reconnue.

Dresser ce monument à cet endroit-ci c'était bien plus que dresser la vertu d'une commémoration nationale : c'était rappeler les origines mêmes de la Prusse et indiquer son avenir. Toute la suite est inscrite dans ce jour d'Octobre 35 où Hitler fait transférer la dépouille d'Hindenburg à Tannenberg. L'avenir de l'Allemagne n'a jamais été à l'Ouest et si Hitler, comme Guillaume II, crurent jusqu'au bout qu'une entente avec l'Angleterre restait possible, ils ne nourrirent jamais que mépris pour la France.

Non décidément l'avenir était à l'Est, dans la conquête, ou reconquête de ces terres qui, comme par prédestination étaient dévolues aux germains. Lors de la conquête de la Biélorussie et de l'Ukraine en 17 et 18, Ludendorff avait déjà fomenté le plan d'un Etat militaire qui n'eût d'autre objectif que d'exploiter ces territoires au profit de l'effort de guerre allemand ; Hitler y rajoutera la dimension raciale et le thème de l'espace vital. Si l'idéologie raciale du IIIe Reich explique la violence accrue et sans précédent qui s'exercera alors - n'oublions pas qu'après l'extermination des juifs le plan nazi prévoyait de déplacer tous les slaves beaucoup plus à l'Est afin de libérer ces terres pour les allemands - en revanche le plan d'essor vers l'Est demeure le même. Qu'entre temps la Russie passât sous les fourches caudines des communistes, que nombre de leurs dirigeants fussent juifs, ne pouvait que surenchérir le thème explosif du judéo-bolchévisme qui sera le grand prétexte de toutes les lâchetés, de tous les revirements. Le pacte germano-soviétique de 39 n'était qu'un subterfuge permettant d'éviter provisoirement les deux fronts : le plan Barbarossa était bien, dès le début, la logique des buts de guerre nazis.

Rétrospectivement on peut comprendre la hantise de certains lors de la réunification allemande de 1989 : c'était celle d'une histoire qui sempiternellement faisait l'Allemagne toujours regarder vers l'Est au risque de briser l'union européenne.

Reste ce parallèle étonnant, qui en surajoute à une histoire mimétique que Girard aide à comprendre, entre Hindenburg et Pétain : l'un rappelé de sa retraite en 14 ; l'autre à six mois de la prendre ; héros tous deux de cette guerre qui les fera accéder au pouvoir et tous deux pour finir par succomber devant Hitler ...