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Ecrire l'histoire … mais quelle histoire ?

Vous êtes maintenant au courant, et vous garderez tout cela pour vous Himmler 6 oct 43

Peut-on écrire l'histoire du nazisme feint de se demander Chapoutot ! Pardi ! toute sa carrière universitaire est fondée là-dessus. Mais soyons honnête, derrière la galéjade, plusieurs vraies questions dont l'une est épistémologique qui concerne les historiens eux-mêmes et les méthodes appropriées pour mener à bien leur travail. Affaire de sciences humaines, dirais-je. De recul et de contact, comme écrit Didi Huberman.

L'autre me ronge plus : peut-on écrire l'histoire des extrêmes ? peut-on décrire l'absolu ? peut-on évoquer cet absolu émotionnel et métaphysique ? Problème archaïque, dirais-je presque. Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre Ex,33,20 et, de la même manière le Soleil, hors de la caverne, aveugle. Quand même formation et méditation apprêteraient mieux à en endurer l'éclat, rien ne garantit pourtant qu'on en saisisse l'essentiel. L'être, que je l'entende comme vérité ou comme bien, tue le dialogue : je m'imagine malaisément me trouver devant le divin et chipoter sur tel ou tel aspect de la révélation. Mais a-t-on assez mesuré combien le mal absolu l'épuise tout autant : quel dialogue serait possible face à Hitler ou un quelconque des dignitaires nazis voire aurait seulement un sens en concédant ici ou là quelques points positifs mais regrettant quelques outrances. Face à l'absolu, je ne connais pas de postures mitigées, de demi-mesures, de nuances.

A-t-on assez compris combien vérité, certitude tuent la liberté

Dans quel puits nous faudra-t-il tomber pour apercevoir la lumière, la vérité, le bien ?

Nous avons assez souligné combien la démocratie n'est possible que par la conscience que nul ne possède assez de certitude pour proclamer c'est ainsi suivez moi ! Castoriadis a raison : c'est l'absence de textes sacrés en Grèce qui a, d'un même tenant, rendu possible la philosophie et la démocratie. Mais, à l'inverse, la toute puissance également. Le pouvoir appelle à l'obéissance - en tout état de cause ; par consentement ou par contrainte ; par séduction ou force. Je ne connais pas de pouvoir qui incite à la pensée. Je ne connais pas de philosophie qui ne finisse par caler devant le mal quitte à le concevoir comme un certain bien !

Comment penser ce mal radical qu'est le nazisme ?

Chapoutot ne valide pas la banalité du mal. Je ne suis pas sûr qu'il ait mesuré l'intérêt philosophique d'un tel concept ni bien évalué les contre-sens invraisemblables de la polémique que l'on infligea alors à Arendt. Il a compris ce que put être le choc de se trouver avec Eichmann non devant un monstre mais devant un individu presque trop normal, médiocre, veule et mécaniquement servile. Ou en tout cas en revêtit le costume. Ne pas revenir sur cette polémique : il est sans doute exact que l'expression prête trop à controverse pour être maniable ; il est tout aussi exact que nous éprouvons extraordinaire difficulté à penser le mal.

Pouvons-nous au moins nous le représenter ?

Si je ne me suis pas totalement trompé en supposant que l'image est synthèse plus sans doute que le concept qui procède par analyse ; qu'elle est recueil des possibles, intégrale de tous les points de vue, alors on doit bien un peu pouvoir en donner figure.

Ne serait-ce pas à cet endroit précis qu' Histoire et histoires se rejoignent ? Ne serait-ce pas ici où le génie d'un Ovide et d'un Tite-Live prennnent sens ? Il en va ici comme dans le principe d'indétermination d'Heisenberg où, quoiqu'on fasse, ce que l'on gagnerait d'information ici, on le perdrait là ; où il serait impossible de connaître la quantité de mouvement sans perdre en même temps précision sur la position de l'objet ; où la présence même de celui qui observe altère la connaissance de l'objet.

Il m'est arrivé de rêver écrire de la philosophie sous forme de légendes, d'historiettes. Nous y voici ! Serais-je photographe je le pourrais aussi sous cette forme.

Comment faire ressentir ne serait-ce que les premiers effrois devant l'éclosion de l'horreur ?

 

Où la photo me fascine ! d'abord par son existence même. A côté d'un Himmler évoquant franchement la mise à mort de tout un peuple mais recommandant qu'on n'en parle jamais comme s'il s'agissait à la fois 'un artifice politique majeur et d'un serment secret fondateur qui liât chacun à jamais, il y a ces photos prises par un officier allemand alors même que ce fut interdit - preuve par l'absurde que rien jamais ne se peut garder secret ; ne se peut cacher. Que la révélation toujours finit par éclater. Absurdité ou malignité absolue : comment savoir ! Les photos du rapport Stroop avaient au moins une fonction utilitaire administrative de preuve … mais ici ? En quel esprit pervers peut avoir ainsi germerle désir de garder souvenir de ceci comme on l'eût fait de ses collègues de bureau ou de sa famille en vacance ?

Par ce qu'elle suggère, montre et annonce, par son existence même, cette photo déborde de sens.

Il est peu de photos, on le sait, de l'intérieur des camps. Une série, pourtant, prise en 1944, par un officier SS au moment de la déportation tardive des juifs hongrois. Tout ici respire l'exception et pourtant rien ne se voit. Après la série de photos montrant le tri sur la rampe d'arrivée, celle-ci montrant colonne de femmes et d'enfants. Ceux-ci n'ont pas été jugés aptes au travail. Se dirigent vers la chambre à gaz - sans le savoir ? - en ce qui semble un calme écrasant.

De ces traces grises et noires que présente la photo, une seule émerge. On ne voit qu'elle : elle semble regarder fixement l'officier ou très exactement l'objectif de l'appareil.

Tout est dans ce regard qui inverse totalement le sens de la photo, fait basculer le point de focalisation. Quand tout, dans le processus, visait à détruire l'humanité de l'homme et les réduire à masse informe, pas même vivante, cette femme, pour quelques minutes encore, à sa silencieuse manière, résiste ; nie la négation dont elle fait l'objet. Ce n'est bien sûr pas un dialogue ; c'est déjà une interpellation. Derrière celle du photographe, celle de la postérité ; donc la nôtre.

Dès lors peut s'enclencher la machine à imaginaire ; à récits ; à interprétation …

Quelque chose dans son port, altier, en impose. Femme d'un certain âge, sans plus d'enfants ou séparée de ceux-là jugés assez vigoureux pour s'épuiser au travail qui n'a jamais autant mérité son sens originel de torture - assez âgée en tout cas pour être classée dans les inutiles, la tête couverte comme il était d'usage pour les femmes en ces temps et communautés religieuses … mais ces lunettes aux grands verres qui lui dérobent la moitié de son visage, cette longue écharpe qui couvre ce que ce long manteau sans doute élégant autrefois avait désormais d'élimé tout en elle évoque une bourgeoise, voire grande bourgeoise - de ces caractères forts qui ne s'en laissent pas compter - plus accoutumée à donner des ordres qu'à en recevoir, impropre sans doute à se soumettre à autorité qu'elle n'eût pas préalablement reconnue, bousculée par les horreurs du temps, jetée ici par la terreur radicale. Tout la distingue de celles qui l'entourent. On ne voit plus qu'elle.

 

Furent-elles bruyantes ces colonnes ? Je devine cris, pleurs et hurlements à la descente des convois, au moment de la séparation ; j'entends presque ordres vociférés par les SS et aboiements des chiens. MC Vaillant-Couturier évoque même une Marseillaise entonnée pour se donner du courage ! Mais, là, progressivement, dans cette colonne fatale, je devine s'abattre le silence comme une chape ; comme un couvercle.

Antelme avait raison : c'était bien leur humanité qui était visée et chacun des survivants raconte sans ambiguïté qu'il le comprit immédiatement. Une polémique odieuse dont on n'épargna pas même Arendt suggéra sur le mode de l'étonnement feint que le massacre n'eût sans doute pas pris de telle proportion si les juifs ne s'étaient contentés de se soumettre. On n'osa pas écrire lâchement mais le soupçon résonna d'autant plus comme un refrain macabre que sournoisement implicite. On dira au reste la même chose des zeks qui se laissèrent passivement emmenés au Goulag médiocrement encadrés pourtant par des soldats.

Ce serait déchoir que d'y répondre.

Ici, de manière bien plus que symbolique, cette femme recueille l'essence même de la révolte. Ce n'est plus un gardien SS qui la photographie, c'est elle qui le toise, le défie, semblant lui dire Vous tous, n'en aurez plus jamais fini avec ça ! [2] Mais elle ne prend pas seulement date : elle, qui menaçait de se fondre dans la masse et qu'on eût pu ne pas voir, c'est désormais elle qui regarde et confond le bourreau dans un indescriptible océan de culpabilité.

Il ne peut s'agir de rien d'autre : d'une chose, on se sert, puis on la jette quand elle est hors d'usage. On ne la regarde pas. S'en soucier comme de sa première chemise, l'expression dit tout. Le crime contre l'humain consista bien en ceci - réification, chosification qu'importe le terme - cette négation de l'homme en l'homme, ce refus de voir en l'autre un visage, celui qui précisément proclame tu ne tueras point, selon Lévinas. En cet instant d'une douleur infinie où l'on voit encore mais n'est déjà plus vu par personne.

Ceci, cette femme le refuse et le retourne.

Magnifique récit d'une révolte, je crois bien. Qui érige cette photo en emblème. L'invention, ici encore, est de ne rien montrer ; de tout suggérer comme s'il n'était de réel que l'implicite, de vrai que le compossible.

Je ne connais, à ce titre, pas de plus atroce perspective que celle-ci : ce portique, là-bas tout au bout du point de fuite où les deux rails semblent se rejoindre pour mieux nous étouffer. Malgré sa banalité architecturale - pour ne pas écrire sa laideur, - il est reconnaissable entre tous. Devenu le symbole même de la ligne de partage. Au lieu même du Styx où mémoire, passé, dignité s'effaceront et d'où plus aucun retour ne sera possible. Cette ligne perpendiculaire à la voie ferrée barre tout : dignité, humanité, espace comme temps. La ligne d'horizon en temps ordinaire, recule à mesure que nous avançons. Là non ! Ceux qui franchiront cette ligne passent de l'autre côté, de l'autre côté du miroir, de la vie … tout simplement de l'être. Et même pour les rescapés, cet autre côté le restera comme ce qui à jamais ne s'expliquera ni ne transmettra.

Du côté où il n'est même plus de pourquoi !

« Et justement, poussé par la soif, j’avise un beau glaçon sur l’appui extérieur d’une fenêtre. J’ouvre, et je n’ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu’un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l’arrache brutalement. “Warum ?” dis-je dans mon allemand hésitant. “Hier ist kein warum” (ici il n’y pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l’intérieur. » Primo Levi

Est-il besoin d'insister ?

Il n'est pourtant pas de règle sans exceptions. Le royaume d'Hadès en connut quelques unes. L'histoire veut qu'après de longs siècles, l'âme des justes obtenaient l'autorisation de regagner le monde des vivants mais non sans être plongées dans les eaux du Léthé, fleuve de l'amnésie qui leur ôtait toute mémoire de leurs vies antérieures. Perséphone, fut enlevée par Hadès pour devenir son épouse. Sa mère, Déméter, menaçant d'affamer la Terre en interdisant toute moisson, obtint un compromis : la jeune femme résidant en enfer une partie de l'année et en Olympe une autre . Demi-réussite donc … il est bien un biais pour échapper à l'inéluctable, un biais réservé aux dieux. Quasi-réussite celle d'Orphée dont les talents arrachèrent aux dieux -de traverser le Styx pour ramener Eurydice. Il s'en fallut de très peu qu'il n'y réussît : un bruissement fit qu'il se retourna et la promise était définitivement perdue.

Histoires, oui, qui ressemblent aux contes de notre enfance, présumés toujours bien finir. Cette foi en une fin heureuse ne nous quitte jamais vraiment ! jusqu'au bout nous y croyons et toujours espérons. nous en avons besoin pour nous donner courage et audace de nous lever et affronter les vents contraires. Nous avons beau contrefaire les blasés et les réalistes, revenus de tout, en nous chuchote encore cette voix qui nous fait espérer. Il faut Orphée pour que nous admettions que jusqu'à la fin le destin peut chavirer. C'est ainsi que nous apprenons le tragique. Que nous savons sans le regarder de face néanmoins.

Il devait bien rester quelque chose de cette foi pour que même les plus avisés refusassent d'abord de croire possible un tel massacre. Impensable il fut d'abord impensé mais heurtait trop notre credo intime pour s'y résoudre.

Je n'arrive pas à oublier cette scène invraisemblable où Schindler parvient à arracher à la mort ces femmes conduites par erreur à Auschwitz.[4] Le point fixe est ici encore ce portique sauf qu'il est ici ouvert et laisse, chose invraisemblable, un train repartir plein, plein de ces femmes qui vont vivre et se réjouissent même d'y remonter. Succession de jour et de nuit, certes, train qui fend la barre, oui ; angoisse que la machine ne s'enraye, jusqu'à cette scène où Schindler parvient à arracher in extremis les enfants des griffes d'un soldat obstiné.

Mais, omniprésent, comme seul point fixe, ce portique. [5]

Comme unique référence ou boussole. Voici le Nord ! Il n'y aura pas de partage entre les différentes parties de l'année. Avec l'absolu aucun marchandage n'est possible.

Aucune réconciliation.

Histoire touchante, trouble que celle de cet homme, pingre, affairiste et sans plus de conviction que ses intérêts personnels qui, insensiblement, reconnaît l'homme en l'autre et bascule du côté lumineux. Presque un conte de fée n'était cette scène où Schindler se désespère de n'avoir pu faire mieux et plus.

Où resurgit sinon le tragique, du moins l'inéluctable : l'étincelle des 1100 ne fera pas oublier la nuit définitive des 6 millions.

Je comprends en tout cas à parcourir ces images qu'il n'est pas d'autre manière de représenter l'abstraction pure - comme la mort, la terreur … - que ces objets furieusement concrets ; pas d'autre manière de donner vie aux objets concrets que de les associer à des abstractions dont ils deviendront des symboles. Sans doute donné-je l'impression d'enfoncer des truismes ; ce n'est pas le cas. Evidemment la linguistique ne dira pas autre chose : les mots sont symbole d'un sens ; les représentations supposent distance autant qu'arbitraire. Il est heureux qu'il en aille de même des icônes.

Il y a plus : ce sens est un processus, une construction continue autant dire un aller et retour indéfiniment répété entre le concret et l'abstrait, l'objet, l'idée et l'imagination. C'est au reste par là que nos parvenons à nous l'approprier.

Il y a plus encore : me revient en mémoire cette remarque faite par un vieux maître aujourd'hui disparu. Il n'y aurait jamais eu en communication - mais la formule pourrait s'étendre à l'infini - que de la reformulation. Cette reformulation étant selon lui gage de liberté. Reformulation en extension, énonçait-il qui d'une phrase ou d'une bribe de phrase construisait un commentaire, rédigeait une dissertation, composait un roman ou élaborait une thèse. Reformulation en contraction qui de volumes entiers résumait en quelque lignes voire quelques mots seulement cet essentiel qui importait et que d'ailleurs seul notre mémoire conserverait.

Du registre de celle-ci, ces notations - plus que des commentaires d'ailleurs - très courtes accompagnant certaines photos de la Chambre Claire de Barthes. Notes parfois vachardes, toujours sagaces, qui engouffrent dans leur précision tout ce qu'il y aurait à voir d'autre en ces photos. Qui à la fois donnent raison d'être à des photos qu'autrement l'on n'eût même pas regardées, qui d'une certaine manière, les sauvent de l'indifférence et du pilon mais qui, de l'autre, interdiraient presque qu'on y vît désormais autre chose.

Du registre de celle-là, l'effort de tout artiste, le creuset de toute œuvre embobinant toutes les combinaisons d'une même sensation, d'un même regard, grâce à quoi la composition du musicien, le récit du romancier, la toile du peintre contiendront toujours plus que ce que l'ingéniosité de leur auteur y mit. Ces réflexions aussi, que je tente plus modestement ; ce rêve de faire de la philosophie à partir d'histoires racontées dont il importerait alors si peu qu'elles finissent bien ou mal …

Cet aller-retour entre l'implication et l'explication, entre excursion et incursion, synthèse austère et commentaire baroque, rejoint peut-être ce dialogue à la fois impossible et nécessaire entre les mythes et les sciences ; la légende et l'Histoire. Mythes et histoires sont prodigues de toutes les virtualités comme si chaque élément, objet et personnage y pouvait encore prendre les valeurs, incarnaient ce que Leibniz nommait les compossibles. Rentrons dans le monde de la raison, tout se devra être déterminé. Là, le salaud ou le médiocre peut encore devenir un héros (Schindler) le dépravé avoir la révélation et devenir un Père de l’Église et le Saint parler aux oiseaux ou apaiser les loups.

Ici non ! l'ombre désespérée et désespérante d'un côté ; de l'autre de la lumière.

Je ne suis pourtant pas certain qu'il faille choisir entre les deux ! je n'y suis en tout cas jamais parvenu. Car, au fond, l'un est le miroir de l'autre.

Mais décidément combien Ovide est moins balourd que Hegel ; Tite-Live moins naïf que Comte !

 


 


 1) R Antelme L'espèce humaine, p 11

Les héros que nous connaissons, de l'histoire ou des littératures, qu'ils aient crié l'amour, la solitude, l'angoisse de l'être ou du non-être, la vengeance, qu' ils se soient dressés contre l'injustice, l'humiliation, nous ne croyons pas qu'ils aient jamais été amenés à exprimer comme seule et dernière revendication un sentiment ultime d'appartenance à l'espèce. Dire que l'on se sentait alors contesté comme homme, comme membre de l'espèce, peut apparaître comme un sentiment rétrospectif, une explication après coup. C'est cela cependant qui fut le plus immédiatement et constamment sensible et vécu, et c'est cela d'ailleurs, exactement cela, qui fut voulu par les autres

2) Arendt cité par Agamben

« Avant cela, on disait : bien, nous avons des ennemis. C'est tout à fait normal. Pourquoi n'aurions-nous pas d'ennemis? Mais là, c'était autre chose. C'était vraiment comme si un abîme s'ouvrait. [ ... ] Cela n' aurait pas dû arriver. Je ne parle pas seulement du nombre des victimes. Je parle de la méthode, la fabrication de cadavres et tout le reste. Inutile ·d'entrer dans les détails. Cela ne devait pas arriver. Il est arrivé là quelque chose avéc quoi nous ne pouvons nous réconcilier. Aucun de nous ne le peut. »

Das war 1943. Und erst haben wir es nicht geglaubt. Obwohl mein Mann und ich eigentlich immer sagten, wir trauen der Bande alles zu. Dies aber haben wir nicht geglaubt, auch weil es ja gegen alle militärischen Notwendigkeiten und Bedürfnisse war. Mein Mann ist ehemaliger Militärhistoriker, er versteht etwas von den Dingen. Er hat gesagt, laß dir keine Geschichten einreden; das können sie nicht mehr! Und dann haben wir es ein halbes Jahr später doch geglaubt, weil es uns bewiesen wurde. Das ist der eigentliche Schock gewesen. Vorher hat man sich gesagt: Nun ja, man hat halt Feinde. Das ist doch ganz natürlich. Warum soll ein Volk keine Feinde haben? Aber dies ist anders gewesen. Das war wirklich, als ob der Abgrund sich öffnet. Weil man die Vorstellung gehabt hat, alles andere hätte irgendwie noch einmal gutgemacht werden können, wie in der Politik ja alles einmal wieder gutgemacht werden kann. Dies nicht. Dies hätte nie geschehen dürfen. Und damit meine ich nicht die Zahl der Opfer. Ich meine die Fabrikation der Leichen und so weiter – ich brauche mich darauf ja nicht weiter einzulassen. Dieses hätte nicht geschehen dürfen. Da ist irgend etwas passiert, womit wir alle nicht fertig werden. Über alle anderen Sachen, die da passiert sind, muß ich sagen: Das war manchmal ein bißchen schwierig, man war sehr arm, und man war verfolgt, man mußte fliehen, und man mußte sich durchschwindeln und was immer; wie das halt so ist. Aber wir waren jung. Mir hat es sogar noch ein bißchen Spaß gemacht. Das kann ich gar nicht anders sagen. Dies jedoch, dies nicht. Das war etwas ganz anderes. Mit allem andern konnte man auch persönlich fertig werden. *****

3) Lévinas

 

4)

5)