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Déconfinement

Dans le lexique de cette année curieuse, il faudra bien ajouter confinement et son contraire dans la liste des mots les plus fréquents - et stressants .

J'adore d'ailleurs l'euphémisme : enfermement était trop fort ; réclusion pire encore ; retrait aurait eu connotation trop conventuelle ! va pour confinement.

Moment à propos crucial que celui-ci : ce déconfinement commencé représente à la fois le terme d'une longue période et, à ce titre, le point d'espoir qui avait fait tout supporter et la cristallisation de toutes les craintes : et si l'épidémie rebondissait ?

Cette ambivalence m'intéresse. Elle ressemble tellement à cette ligne verticale qu'il suffit de si peu de renverser qui sépare de haut en bas la lumière de l'ombre ; le bien du mal ; l'espoir du tragique ; le puissant du faible ; le héros du salaud ; l'ange du diable ; le traducteur du traître ! Non que ces deux extrêmes s'équivaillent mais qu'il suffise de si peu que de l'un on bascule vers l'autre. Paraclet et Diable sont juchés sur le même canal ; Alexandre et Diogène sont obnubilés par la même obsession de grandeur ; c'est de l'ombre que Thalès perçoit la lumière et comme l'eût écrit Girard, à la fin, les deux adversaires, de concourir ainsi au même challenge mimétique, finissent en jumeaux démoniaques.

Nul ne peut anticiper de quel côté l'histoire tombera … Nietzsche finirait par dire que cela importerait peu puisque tout revient à la fin au même.

Savourons cet instant : il ressemble à ces apex si rares dans l'histoire rassemblant tous les compossibles. Il est de courts miracles où tout semble à portée de main : comment ne pas songer à ce printemps 1789 ? ni la Terreur ni le 18 Brumaire n'étaient inéluctables. Ils eurent néanmoins eu lieu. Ou octobre 17 …

Demain, après-demain, tôt ou tard, la retombée sordide dans l'ordinaire, dans le brouhaha quotidien, dans l'affairement ordinaire. Finis ces grands moments de réflexions et de remises en doute. Business as usual dit le dicton ! oui quelque chose comme cela.

Si ambivalence a un sens c'est bien celui-ci : ces moments rares où l'on se tient sur la ligne de partage, à la fois dedans et dehors … avec ce curieux sentiment de puissance qui s'étiolera bien vite.

Et si l'image, cette icône supposée si pauvre et fallacieuse, et si ce sens tant décrié offrait précisément l'absolue richesse de cette combinatoire ; ce recueil de tous les compossibles ?

A la fin de sa Monadologie, Leibniz décrit un Sextus Tarquin se plaignant de sa destinée. Celui-là même qui achève le récit légendaire de Tite Live est emmené comme en apothéose vers les origines, au sommet de la pyramide. Là, à l'apex est le règne du réel. En dessous, disposés comme les appartements en étages, superposés par strates successives, l'infinité des possibles. Le dieu leibnizien, qui est calculateur, a créé le meilleur des mondes possibles, entendons a calculé la meilleure des combinatoires possibles. Il a ainsi éliminé une infinité de mondes plus bruyants, plus désordonnés, plus chaotiques encore. Ce qui est, est ainsi fait de ce qui n'est pas ; est l'intégrale de tous les compossibles. Descendons d'un cran ; regardons autrement, d'un point de vue légèrement décalé … le réel conquiert sa profondeur, son épaisseur ; sa noirceur comme ses mystères.

L'image est peut-être ce cartouche qui enferme et célèbre tous les compossibles comme autrefois en Egypte il portait noms et attributs des souverains ou des divinités !

Il faut avoir le courage de regarder !