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De retour

Promenade après le déconfinement ! oh pas loin: juste sur l'ile aux cygnes et retour. Impression mitigée.

Un corps rouillé après deux mois de quasi-inaction, rendant tout mouvement gourd et lourd- presque douloureux ; une nature protubérante prenant ses aises sitôt qu'on cesse de l'entretenir. Les bancs envahis de verdure intempestive, rongés au point de s'y confondre ; des arbres trop lourds aux branches si intrusives qu'elles en paraissent vouloir flirter avec le fleuve. Un air de quasi campagne, furieusement trompeur : la ville, qui a rang de capitale à tenir, ne se laisse jamais longtemps oublier.

Étonnante en tout cas - remarque naïve, certes, voir pages précédentes - cette inclination qu'a toute photo à nous duper. On en serait presque à s'imaginer en pleine forêt quand en réalité l’île, artificielle, ne mesure pas plus de onze mètres de largeur. Mais si j'avais eu crainte d'une submersion ou d'un recul de la cité, , je fus vite rasséréné : poubelles débordantes et promeneurs attardés m'ont vite rappelé que l'humain, lui aussi, prolifère et salit.

 

Lentement, la besogne ordinaire reprend ses droits à côté de l'indolence à peine perturbée d'exercices des autres : il faut bien s'entretenir !

Rien n'illustre mieux l'entropie ambiante : entretien a pu vouloir signifier dialogue, conversation ; il ne vise plus que la lutte contre la dégradation… de soi. Plus ou moins empâtés, nous réalisons combien peu l'inaction nous sied ; combien nos efforts tout au mieux parviennent à nous épargner de nous abîmer plus encore. Moins que la mort, la bouffissure ou l'abîme.

 

Quelques uns se promènent, d'autres goûtent le plaisir du banc, ou du goûter à même l'escalier. Quand les volatiles, plus sages ou plus sots, font comme si de rien n'était, habitués qu'ils restent de notre présence mais gênés en rien par notre absence.

Pendant ce temps la grande dame en toc semble veiller sur un fleuve presque éteint bordé par des arbres presque trop verts, me semble-t-il, d'en avoir vu si peu en deux mois.

Je m'amuse de cette manie incongrue de coller des cadenas partout - ne sommes-nous pas assez enfermés ? - et trouve quelque tristesse à voir les uns et les autres se parler désormais derrière un masque ! Le visage de Lévinas aurait bien du mal à faire entendre sa supplique.

D'avoir néanmoins rencontré depuis un collègue, qui eût bien aimé me parler mais gourd de tant de craintes qu'il ne toléra de le faire qu'à bonne distance, je concède qu'il vaut encore mieux se parler camouflant mimiques et sourires derrière invraisemblable rempart de papier, que de tant craindre pour soi qu'on en refuse d'approcher l'autre.

Il n'est pas pire misère que la crainte : toujours quand elle se fait système, elle sécrète obéissance veule, soumission au pire, et bientôt haine de l'autre.

Heureusement - ? - l'ordinaire tonitruant mais entôlé est de retour. Qu'il est triste d'avoir presque à s'en réjouir.

 

 

Un lendemain tout aussi radieux … Inquiétant tant il succède à deux mois de confinement outrageusement chauds … mais les gamins s'en moquent qui envahissent les berges et s'en font terrain de jeux parmi les plus simples - pierre-papier-ciseaux - quand d'autres là-bas réinventent les joies de la baballe … faute de mieux. Ou d'autres encore, profitant des pistes pour redécouvrir les joies du vélo en famille …

Sera ce l'objet de l'année ? Les écolos en rêvent et Hidalgo piaffe d'en installer des pistes partout. Je souris me souvenant qu'en mes années de lycée l'on désignait la petite reine comme le signe d'un réveil économique en ces pays en voie de développement - notamment la Chine - quand la voiture serait, en un second temps, la preuve d'un véritable décollement. Nous y voilà et serions - presque - en passe de le regretter. La modernité semble faire un pas de côté et le progrès technique danser la gigue …Nous ne revenons certes pas en arrière mais craignons néanmoins de devoir fermer une parenthèse qui nous fit parfois perdre le sens commun, en tout cas celui de la mesure ; qui se sera révélée funeste et nous obligera bientôt à renier les signes extérieurs d'un confort facile. L'objet est encore d'agrément et parfois d’entraînement. Comme souvent, nous mimons la vertu plutôt que d'en faire le moteur intime de notre volonté ou de notre âme ; faute de savoir l'assumer.

Pourquoi ai-je la sensation d'une veillée funèbre ?

Quoi de plus étrange que ces bistrots fermés quand tout le reste reprend vie ? Quoi de plus triste que ces dés abandonnés à la va-vite sur une table comme si péril accablant avait contraint d'abandonner les lieux en toute urgence. Ce reflet de la vitrine, qui eût pu être intempestif, avoue en réalité l'essentiel : le télescopage du plaisir, du jeu et de la boisson, avec le péril, invisible, se terrant derrière cette trottinette électrique ou ce passant que l'on devine là-bas, ou bien encore moi-même me reflétant, obsédé par la photo à saisir.

Comme si d'entre intérieur et extérieur il n'était plus de différence - ce qui est synonyme exact de l'enfer, où plus rien ne se cèle ni ne pardonne - ou que, pire encore, ce serait l'extérieur qui se fût transformé en vaste geôle.

Je ne suis pas certain que nos politiques en saisissent grand chose qui sont formés à tout ramener à chose déjà connue ; je doute que la réponse vienne des écologistes ou autres idéologues de gauche qui s'empêtrent dans leurs désirs autant que leurs théories ; je doute de notre bon sens et me méfie de ceux dont on affirme sottement qu'ils ont tout compris …

Drôle d'époque décidément !!!