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Confidences

 

Avant de mourir, je voulais donc achever ce programme, en relisant les religions de ma culture, Antiquité gréco-romaine, judaïsme et christianisme. J'espère que ce livre réalise ce projet. La religion de mon adolescence me manque ; je reste inconsolable de l'avoir perdue. Perdue par la tête, gardée en ma vie et ma conduite. Comment, au moins en une humble petite monnaie, rendre au christianisme les trésors qui réjouirent ma jeunesse ? Serres

Émouvant de lire ceci -, je l'avoue. Certes, c'est son dernier livre, achevé juste avant sa disparition mais ce n'est pas la raison. Certes, il tente dans cette dernière partie Le problème du mal de faire le lien entre les différentes parties de son parcours intellectuel et rappelle que depuis les Hermès, il aura privilégié la synthèse à l'analyse : il y a quelque chose d'émouvant à considérer un homme tenter de clore un cycle, de faire le tour de sa vie et de lui donner un sens. Serait-ce que tout homme tentant au soir de faire non le point mais le tour, fût une encyclopédie ? un monde en tout cas. Chaque conscience qui se tait, se mure ou renonce est une lueur qui s'éteint, un univers qui disparaît ; s'écrase sur lui-même.

Mais ce n'est pas même ceci. Certes, il en vient à considérer logique d'aborder la religion parce qu'elle est pensée de synthèse et de l'aborder enfin comme si c'était là terme naturel. Et ce serait lui faire offense que d'imaginer qu'en venir à la religion servirait juste à étancher quelque espérance ou à atténuer quelque crainte.

Non plus pour ceci mais pour cette phrase : La religion de mon adolescence me manque ; je reste inconsolable de l'avoir perdue.

Il y a, sans doute, quelque chose ici de l'ordre du Paradis perdu qui nous est commun à tous - de sa génération comme de la mienne, peut-être moins ensuite quoique cela dût prendre alors d'autres formes - qui tint non tant à la candeur d'une conscience pour qui tout était encore simple juste avant que l'adolescent en nous se piquât de tout critiquer, tout nier et parfois tout renier mais tint plutôt à ce savoir, cet enseignement à nous transmis parfois simplement à coup de répétitions par cœur, ou dans le silence pudique des gestes qui nous laissaient, parfois en cette singulière atmosphère où la magie de la musique et de la parole unies opérant, nous traversions des contrées où de la parole à l'acte il ne devait ni ne pouvait se creuser le moindre écart, le plus infime interstice de doute, la plus minime anfractuosité de négligence ou de facilités.

Pour cette phrase qui la complète : Perdue par la tête, gardée en ma vie et ma conduite.

Parce que, oui, il y avait ici lien indissoluble entre théologie et morale et que le chemin de la foi à la morale était ligne droite, presque trop. Et je crois bien que de cette morale nous ne nous sommes jamais débarrassés quand même parfois nous fîmes les bravaches pour la galerie et jouâmes les esprits libres et libérés. Si aujourd'hui on scrute ce que la doxa nomme les valeurs, on réalisera qu'elles sont toutes inscrites dans cette religion dont nous crûmes nous être écartés. Que même ce succédané d'éthique que la veulerie managériale nomme valeurs y puise son inspiration.

C'est de ce lien dont nous avons la nostalgie et qui lui fait écrire gardée en ma conduite.

Le verbe ordinaire la nomme judéo-chrétienne ; il m'est arrivé de la plutôt trouver judéo-grecque ce qu'elle tient du christianisme étant en réalité la synthèse des deux. Me trompé-je ? je ne sais. Je n'ignore en tout cas pas que juif, élevé dans un monde chrétien, qui plus est en cette Alsace où le protestantisme menait concurrence dure au catholicisme et où le judaïsme avait pignon presque accepté sur rue, nécessairement j'y fus baigné. Le fond gréco-latin me venant de ma formation ; parfois consolidé, parfois érodé, tantôt oublié par mes lectures ultérieures, tantôt retrouvé. Mais oui, je l'atteste, jamais plus qu'aujourd'hui je ne saurais mieux me sentir triple héritier De Jérusalem, Athènes et Rome ; jamais tant qu'aujourd'hui je perçois ce bariolage comme une chance. D'être homme mêlé.

Dans les lignes de ce chapitre je retrouve des intuitions miennes - ou crues miennes, je l'ai tant fréquenté - et même si parfois je l'aurais exprimé autrement, m'émeut plus encore de me retrouver ici en terre connue ; presque comme chez moi.

Ceci d'abord qui est l'assimilation de la violence au mal. Ce qui est au centre de ma réflexion mais aussi de mes hantises. J'ai évoqué ailleurs colères enfantines et lent apprentissage de leur maîtrise tant parfois me faisait peur à moi-même d'un jour ne plus parvenir à les (me) maîtriser et crois bien avoir tôt repéré combien le Décalogue était manière de proscrire la violence sous toute ses formes et constituait non seulement un moment inédit dans l'histoire pour des cultures qui d'ordinaire font de la guerre, du courage et de la bravoure des motifs d'héroïsme et de la classe guerrière une classe dirigeante ; une période axiale comme eût écrit Jaspers mais aussi le point commun avec le christianisme.

Je m'étais parfois demandé si à partir de l'évidence du mal absolu que pouvait représenter le génocide on ne pouvait pas en déduire l'évidence d'un Bien absolu qui ne pouvait qu'avoir le nom de Dieu. Ce n'était assurément pas la bonne question. Qui est effectivement dans le principe de la Révélation qui est aussi dialogue. Qu'on me parle suppose que je sois capable de comprendre : qu'on me demande de ne pas être violent, que je le sois encore, certes, mais que je pourrais ne plus l'être. Ce qui est un fabuleux message d'espoir.

C'est bien ainsi que je l'avais compris, conforté par ce passage du Testament d'un poète juif assassiné : rien n'est pire que le silence. On le prétend d'or : il peut bien l'être un petit peu ; il est destructeur sitôt qu'il se prolonge. La philosophie aide à le comprendre : pas plus que pour le désir, il ne saurait être de conscience sans un écart à son objet. La présence, en face de soi, contre soi dit l'objet, de quelqu'un qui n'est pas soi, vous constitue, forme et forge ; vous crée.

Et le récit de la Genèse dit d'abord ceci aussi : que nous ne sommes pas seuls au monde et que nous sommes créés par ce regard divin qui, nous considérant comme des êtres conscients, à la fois nous met à distance, nous rend libres et en position de dialoguer. Nous crée. Quand je parle à l'autre, je le reconnais comme autre ; d'une certaine manière … je le crée.

C'est ceci que suggère Wiesel, mais aussi l'expérience de tous ceux qui furent broyés par la machine totalitaire. Mourir ? Ne plus être écouté, ne plus être vu … Ne compter pour rien , ne compter pour personne. Cerner cet instant où l'on parvient même à vous empêcher de penser - qui est dialogue avec soi-même et prise de recul - ce moment où l'on se désagrège. Ce moment où, comme l'écrit Wiesel, les images cessèrent de se transformer en mots. Ce moment où, cessant de pouvoir prendre du recul, on finit par coller à l’objet ; à être objet. Aliénation ou mort.

Je veux l'entendre ainsi : Dieu est ce qui vous rappelle que vous n'êtes pas tout à fait de ce monde ; que vous êtes autre ; en tout cas pas une chose. Qu'importe qu'on l'entende comme l’Être, lui attribue un nom, en face une entité suprême et transcendante ou qu'au contraire on n'en fasse qu'un principe voire un symbole. יהוה est le nom de l'espérance absolue - nous pourrions ne pas être violents, ceci ne dépend que de nous - nom aussi de ce qui nous convoque et préserve en notre humanité.

Dieu, fait partie de ces éléments blancs, de ces jokers, qui sont l'objet même de la métaphysique, selon M Serres. Qui empêchent que nos discours s'enroulent et ferment sur eux-mêmes en de vaines arguties, parfois terrifiantes d'assurance acerbe ; qui nous rappellent à notre nature composite : matière qui se refuse à n'être que cela ; esprit qui ne se survit que d'être au monde ; incarné.

Est-il être personnel ou principe ? Quelle importance ! tout me va parce qu'il est, en tout état de cause ce qui ne se donne pas aux sens ni ne se laisse saisir par la raison. Sans doute ce qui les rend possibles mais échappe à notre froid entêtement à trier, classer, ranger ; découper. Transcendant en ceci aussi : Ἐν ἀρχῇ

J'y retrouve ceci lu dans Incandescence :

Veufs de Dieu, nous aimons toutes les femmes et le monde, le prochain et les lointains, les plantes et les bêtes, les paysages et la vie, le monde en ses tables rases, déserts, haute mer, montagnes blanches, l'existence et la mort, le bien et le mal, l'être et le non-être, l'Univers et les femmes encore, il n'y a d'amour qu'universel, dirigé vers cette intégrale inaccessible de nos actes d'amour que de plus sages que moi ont nommé Dieu Soi-même.

Veufs de Dieu : cette expulsion aura été la condition de notre humanité ; en quête de lui, quoiqu'on en ait, de l'universel qu'il représente ; de cet intermédiaire qui m'empêche de me détruire et l'autre avec moi ; me permet de penser et rêver de mieux et d'ailleurs. Qui me repousse en pesanteur et m'appelle en grâce.

Je n'ai jamais prisé les religions ou plus exactement les Églises. On m'imputera sans doute outrecuidance bouffie ou présomption ampoulée, ce n'est pourtant pas de ceci dont il est question. Je n'aime pas qu'on se mette entre moi et l'universel et me dise comment penser, prier, m'agenouiller. Pourquoi sous-traiterais-je ma liberté ? l'assujettirais-je à institution qui comme toute institution finira par privilégier sa propre reproduction à toute autre considération ? Rien, assurément, n'est plus nécessaire que la place de l'intermédiaire ; rien n'est plus dangereux que de se croire pouvoir parler au nom de l'absolu. Portiques peut-être nécessaires, les Églises néanmoins s'épuisent en murailles hérissées de meurtrières qui sont autant de préjugés que de présomptions.

Ce n'est pas à elles de me dire comment prier, comment servir, comment être. Quelles organisent le rassemblement des hommes - c'est leur titre - favorisent le dialogue - c'est leur vocation - mais ne s'érigent ni en censeurs, ni en docteurs de la lois ; qu'elles ne substituent pas leur parole à la Parole ; que surtout elles ne fouaillent ni dans les entrailles ni dans les âmes.

Je crois, oui, à l'instar de Serres, qu'il est un chemin direct qui du divin va à la morale. J'insiste : pas du dogme ou de la théologie à la morale ! non, du divin à l'ordonnancement de ma vie, de mes actes. J'éprouve un infini respect pour la foi des autres et jamais ne viendrais en disputer la légitimité ; en revanche une foi fièrement proclamée n'inspirant pas la conduite ni le sens que l'on donnerait à son existence me paraîtrait vaniteuse exhibition.

C'est de lire ceci qui me touche.

J'aime assez l'expression ligne de conduite : oui c'est une ligne. Que l'on trace et essaye de suivre. Que les tourments de l'existence, les affairements quotidiens, les petits et gros tremblements de la passion nous en écartent parfois est évident ; qu'il faille parfois efforts et rigueur pour nous y ramener, incontestable. Il n'est que pour l'enfant rêveur ou l'adolescent intransigeant comme la lame d'une épée fraîchement effilée, que le chemin est simple. Nous avons appris, par raison un peu et paresse beaucoup, à transiger. C'est la vie dit-on. Il faut bien quand on est adulte raisonnable. C'est bien tout le problème. Comme si d'entre douceur de l'enfance et calme obligé de la vieillesse s'étirait jusqu'à la démesure une immense période d'agitation et de troubles entremêlée qu'on appelle la vie, qui n'eût d’autre fonction que de nous faire perdre notre temps, et condamner au crépuscule à retrouver ce que nous étions aux aubes. Ce n'est pas tant que les forces déclinant nous nous fussions assagis mais plus cruellement que nos agitations ordinaires renoncent de faire écran entre nous et l'être. Ou encore que ce ne fût pas la vieillesse qui fût un naufrage mais l'âge adulte un brouhaha vain et fallacieux.

Ah si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ! dit l’adage, laissant entendre qu'il serait un point quelque part dans les années de maturité où, les deux lignes se croiseraient, où celle de la puissance, déclinant, rencontrerait au meilleur de son état, celle ascendante de la sagesse. Est-ce seulement vrai ? Et si, les lignes s'ignorant superbement, nous abandonnaient sales, nus et désemparés, sur un chemin où notre irrésistible pesanteur entravait avec toujours plus d'obstination nos moindres aspirations ?

Ivres d'absolu, veufs de Dieu : sans cette voix qui en nous clame que nous ne sommes pas de ce monde, sans ce désir qui s'étanche parfois de quelques rencontres, de quelques corps, parfois même de la contemplation de quelque objet mais sans jamais vraiment s'y rassasier ; sans cette pulsion venue du fond de notre enfance - ou de notre âme - qui nous souffle de dire non encore et toujours au monde comme à nous-même, avec insistance et patient entêtement ; sans cette fierté qui nous fait nous lever, et nos yeux, bien au-delà de l'horizon et reprendre inlassablement la marche, que serions-nous sinon cette épaisse noirceur de la pierre, qui est pierre et ne sera jamais que pierre sur quoi rien ne se peut édifier. Tout dans l'évidence bourgeoise incite à se contenter ainsi de croître, de se former, travailler et mourir en ayant entassé si possible quelque richesse faisant office de viatique ou de justification ; tout dans l'indigence populaire contraint de s'agiter et contrefaire le modèle de l'élite comme s'il n'était d'autre idéal pour le pauvre que de contrefaire l'affairé, éventuellement d'usurper sa place ou d'en parasiter les largesses. Qu'il ne fût d'autre aiguillon que d'emplir cassette sans se soucier des dévastations que cette monomanie inéluctablement enclenchera. Aimer et travailler disait Freud suggérant que l'un compensât les affres de l'autre : un peu de lueurs pour tant de pesanteur.

 

Oui, étouffés dans le tourbillon incessant, si n'était que pesanteur nous errerions aveugles dans le capharnaüm infernal Ce que nous oublions d'ordinaire et que nous rappellent cruellement ces rares instants de suspens où, angoissés, nous finissons par nous demander Homme, qu'as-tu fait de ton talent ? à craindre de nous être fourvoyés de poursuivre d'aussi sordides chimères … Nous ne tenons au réel que par la force de l'habitude ; le vertige du tourbillon.

Mais à l'inverse, n'étaient que noble aspiration et soif absolu de grâce, qu'invariablement nous finirions par mépriser le siècle .Par nous réfugier en quelque Port-Royal ou retraite roide et glaciale comme notre culpabilité, à traverser désert et aspirer avec impatience à une délivrance qui nous ouvrirait les portes de notre terre d'espérance. Qui n'a connu ce désarroi étrange même si fugace d'un désir qu'on crut à ce point accompli qu'il ressemblât au néant et manquât de peu de vous y consumer ? Qui n'a ainsi pressenti les premiers frémissements du néant ne peut entendre combien, oui, désir accompli est désir mort, combien nous ne nous maintenons en vie que de le voir s'effriter presque immédiatement. Oui, exister c'est manquer, défaillir ou faire défaut. Je sais pourquoi soleil ne se peut regarder en face, ou Dieu, sans vous consumer : nous sommes trop de bric et de broc contrefaits pour supporter la pleine lumière.

Nous ne sommes pas constitués pour la grâce et ne supportons pas la pesanteur. Invraisemblable paradoxe qui nous ronge et anime. N'existons que de parvenir, parfois, à enrouler les deux en une spirale vertueuse. Exister revient à osciller ainsi autour de la ligne tel le funambule du Zarathoustra, espérant un équilibre que nous ne maintenons que de nous désarticuler nous-mêmes ; qu'à la fin nous manquerons espérant seulement tomber plutôt de ce côté-ci que de ce côté-là ; de sombrer avec grâce plutôt que de vulgaire pesanteur.

Vivre avilit : à nous la charge, parce que c'en est une, de démentir l'augure sinistre ; de ne point trop nous empêtrer ni d'empeser l'autre.

J'aime l'énergie à déployer pour maintenir cette boucle d'entre pesanteur et grâce que je crois être au fondement de toutes les autres valeurs ; la signification profonde de toute moralité. Qui nous maintient en vie et nous oblige ; nous offre de pouvoir garder en nos tête et conduite ce qu'en nos âmes parfois nous perdons.

J'aime cette énergie parce qu'elle nous rappelle, oui, que cette violence qui est mal radical, est non seulement en nous mais nous est pourtant nécessaire pour nous affirmer et maintenir en état. Comme s'il n'était d'autre tâche qui nous incombât que de parvenir à canaliser cette agressivité ; à la sublimer ; à en faire puissance constructive plutôt que mortifère ; œuvre plutôt que guerre. Qui nous rappelle qu'entre la grâce absolue que représente un Dieu en appelant à l'amour et la violence incompréhensible et exclusive, nous demeurons en chemin, impuissant à atteindre l'une, ivres d'échapper à l'autre.

M Serres rappelle en ce chapitre à la fois Girard et cet étonnant tableau de Carpaccio où St Jérôme ramenant un lion qu'il avait soigné fit fuir de peur les autres moines du couvent où il résidait. Même si le récit de la Légende Dorée résulte sans doute d'une confusion, il suffit à alimenter une vaste iconographie où Jérôme est accompagné de son étrange animal de compagnie.

Personnage complexe que Jérôme de Stridon parce qu'il aura accompli les diverses facettes de l'idéal chrétien : aura mené une vie d'ermite en s'étant retiré dans le désert de Syrie, de moine en fondant une monastère double à Bethléem devant réunir autant d'érudits que d'ascètes, d'intellectuel enfin en traduisant notamment la Bible et la commentant.

L’iconographie chrétienne a une prédilection forte pour les animaux sauvages que l'intensité de la foi permet d'assagir. La conversion, comment l'illustrer autrement, n'est pas seulement une métamorphose intime, une résurrection spirituelle, elle traduit aussi ce passage du sauvage au spirituel, du déchaînement aveugle de la violence, à la puissance miraculeuse de la grâce. Aux deux extrémités de la ligne Dieu, tout de lumière et d'amour, et la bête fauve, cruelle et gouvernée exclusivement par ses instincts ; entre les deux, en une gradation subtile, le Saint, celui que la flamme a transfiguré, l'homme vertueux, l'animal apprivoisé - loup ou lion - et enfin l'homme ordinaire si près encore de la bête sauvage.

François d'Assise parlait aux oiseaux et conclut un pacte avec le loup pour qu'il ne terrorise plus les habitants de Gubbio … l'histoire est la même, presque toujours. Dieu, soit directement soit par l'intermédiaire de ses prophètes, Saints et autres hommes d'exemplarité, commande non seulement aux forces de la Nature (Déluge, cataclysmes, plaies diverses ) il permet de juguler aussi ce qui en cette Nature est destructeur. La confrontation souvent a lieu dans le désert - lieu de silence par excellence, de prière mais d'âpreté aussi - qui permet à la fois de repousser tentation, diable et pulsions de violence.

Oui, si Message d'espoir il y a, c'est bien en ceci qu'il réside : en cet ἀγαπάω qui désigne l'amour absolu, désintéressé de Dieu mais désigne aussi l'acte de grâce se révèle l'antidote parfait et réussi de la violence.

Serres a-t-il raison de rappeler que le lion, à un moment ou à un autre, risque de se réveiller de sa douce soumission, que sa nature reprendra un jour le dessus ? la crainte qu'il inspire toujours un peu dans les récits - mais c'est le cas aussi pour le loup - suffit à montrer la fragilité de ce miracle. La sublimation de la violence n'est pas son éradication non plus que les stratégies sacrificielles décrites par Girard : seulement la maîtrise partielle et temporaire de son explosion, de ses expressions.

Le chemin qui relie la grâce à la pesanteur, n'est pas simple, ni dans un sens ni dans l'autre, du reste. Les envoyés de Dieu sont rarement entendus et parfois même massacrés. Que malgré ceci il inspire encore amour est inespéré et totalement inaccessible à notre raison. A notre foi ? Quant à notre ascension, le long de cette ligne, il n'est rien de dire qu'elle ressemble plus souvent à l'ascension d'un Sisyphe qu'à une Odyssée triomphale. Que malgré tout la voie demeure ouverte est notre consolation. Qu'elle soit malgré tout à notre portée est notre espérance.

Oui, il y a un chemin qui d'ascension nous sollicite ; et des sens s'arrêtera bien vite ; de raison poussera un peu plus loin mais guère plus ni mieux tant elle s'obstine à faire l'économie de ces qualités qui importent et font couleur et saveur de notre vie.

Comment nommer cette faculté tierce dont Kant nie l'opportunité qui serait synthétique comme le sensible tout en portant comme la raison sur des abstractions, des relations ? Qui saurait faire le lien entre les ultimes promontoires auxquels la raison parvient à se hisser et les premiers contreforts de l'être.