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St Christophe de Javel

Curieuse église que celle-ci que je ne connaissais pas : moderne, construite au début du XXe selon des méthodes modernes (ciment moulé, éléments pré-fabriqués). Je redoutais le pire mais pour une fois un édifice qui ne l'a pas joué néo mais assume sa modernité.

Ce qui ne va pas sans paradoxes puisque l'organisation de l'espace demeure classique (chapelles latérales ; vitraux ; fresques murales …)

Néanmoins au lieu que les panneaux muraux retracent comme souvent les douze stations de la Passion du Christ, ici, ils décrivent la vie de Saint Christophe telle que la légende l'a rapportée.

Un esprit chagrin ou goguenard, un huguenot puriste ne pourraient que persifler combien le catholicisme éprouve difficulté à se maintenir dans la rigueur du monothéisme et manque souvent de sombrer dans l'idolâtrie. Mais voici remarque inadaptée qui pourrait être faite à propos de n'importe quelle église ou cathédrale ; qui relève au mieux de la théologie mais oublierait à la fois les limites - et parfois les affres - de l'iconoclastie mais le patrimoine artistique incroyable que le catholicisme aura ainsi offert au monde.

Rien ne m'impressionne plus s'agissant des deux derniers millénaires et notamment de ce Moyen-Age déclaré un peu hâtivement obscurantiste et de cette Renaissance empressée de balayer derrière soi mais en restaurant l'Antiquité, plus impressionné, dis-je, par la capacité qu'elles eurent de mobiliser des populations entières autour d'une même ferveur qui en constitua assurément la colonne vertébrale. La modernité qui se flatte de son esprit critique aura perdu cela au point de s'étioler dans un brouillage idéologique parfois insane et un aveuglement moutonnier souvent bien plus inquiétant. Qu'on ne me fasse pas dire que c'était mieux ; je relève seulement la puissance de ces sociétés, inventives et souvent dominatrices ; dynamiques mais souvent conservatrices, sitôt qu'elles parviennent à rassembler autour d'objectifs forts, d'une croyance se voulant universelle … Le marxisme a échoué à remplir ce rôle puis s'est effondré tout seul : il n'aurait pas détesté devenir la religion moderne, il fit souvent comme si avant de se révéler pour ce qu'il était : une théorie économique et politique qui n'aurait jamais du prétendre à plus, devenuetrès vite la proie des inquisiteurs et tyranneaux locaux; Ne restent désormais que nos petits intérêts qui divisent et nos angoisses de n'être pas.

Est-ce pour ceci que je les aime ? les églises catholiques sont en réalité de véritables encyclopédies qu'on peut lire comme à livre ouvert. Pourquoi irais-je mégoter sur l'éventuelle idolâtrie ? Après tout le christianisme a réussi ceci même que j'aimerais réaliser : raconter des histoires qui prises ensemble formeraient une philosophie ; composer un corpus qui ferait bloc, formerait le tout d'une pensée mais sous une forme moins rigide, moins austère et plus accessible que ces arides sommes critiques et phénoménologiques qu'on nous présente comme les sommets de la pensée philosophique du XIXe.

Oui, ce sont des legenda, des récits à lire qui ont vocation pédagogiques, édificatrices. Leur véracité importe peu - se pose-t-on la question pour un roman ? - et rejoignent un mode de transmission que les anciens pratiquaient volontiers : de l'Allégorie platonicienne aux Métamorphoses d'Ovide sans oublier les paraboles dans les Évangiles .

Demeure au centre du récit la scène universellement connue d'un Christophe portant l'enfant Jésus, même si l'histoire de Christophe est bien plus riche que cet épisode. Récit deux fois intéressant :

Il faut peut-être revenir à ce qu'écrivait S Weil :

Descendre d'un mouvement où la pesanteur n'a aucune part... La pesanteur fait descendre, l'aile fait monter : quelle aile à la deuxième puissance peut faire descendre sans pesanteur ? La création est faite du mouvement descendant de la pesanteur, du mouvement ascendant de la grâce et du mouvement descendant de la grâce à la deuxième puissance. La grâce, c'est la loi du mouvement descendant.

La grâce n'est pesante que pour qui tenterait de se dérober. Christophe n'est pas Atlas : il ne porte pas le monde sur ses épaules. Il ouvre les portes et témoigne de sa fidélité. Ce qui est déjà beaucoup. Jamais le mouvement ascendant n'est anodin en théologie : pour qui voudrait usurper la place du divin, oublier en tout cas qu'il n'est qu'intermédiaire, l'ascension est faute et se paie d'une chute irrémédiable (Babel). Il n'y a pas d'apothéose ; au mieux un retour à l'Eden perdu. Jamais le serviteur ne deviendra maître : la théologie n'est pas affaire de dialectique. Les positions jamais ne sont interchangeables. L'enfant, de plus en plus lourd, est là pour rappeler tout ce que le divin peut accomplir mais qu'il est ardente obligation à quoi nul ne peut se soustraire.

Non, décidément, ne pas prendre ces béatifications pour de simples idolâtries même si elles frôlent incessamment l'interdit originaire. A l'intersection de la doctrine et de la foi ces récits sont truchement pour de celle-ci mener à celle-là.

Une forme d'encyclopédie, oui, assurément.