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Sept dormants d'Ephèse

La légende est belle de ces sept jeunes gens poursuivis pour ne pas vouloir abjurer leur foi et se retrouvant enfermés dans une grotte où l'on finit par les oublier. Où surtout ils finirent par se réveiller. Bien plus tard, aux détours de travaux à mener.

La légende veut que l'Empereur Théodose II tourmenté des attaques que subissait, de l'intérieur, la foi chrétienne s'était réfugié dans son palais et portait un cilice en acte de contrition. Entre l'hérésie nestorienne et pélagienne, il y avait fort à débattre et tirer plus au clair la nature du Christ, mais donc aussi la question de la résurrection de celui-ci, devenait urgent. Ému par les tourments de Théodose, le Seigneur s'arrangea pour qu'on rouvrit la grotte où dormaient les sept jeunes gens attestant ainsi de la véracité de la résurrection. Théodose passant par Éphèse, put attester de la réalité de ce miracle.

J'avais déjà rencontré ce récit à l'occasion de mes promenades philosophiques.

J'avais été troublé par ce lieu qui avait vu naître Héraclite et se réfugier et mourir Marie qu'accompagna Jean l’Évangéliste ; fasciné par ce lieu de rencontre des sources si différentes qui firent notre culture. la convoqué justement par Théodose puis du second qui ne fut qu'un simulacre qu'était supposé réparer celui de Chalcédoine, en 451. Alors que les deux premiers conciles (Nicée et Constantinople qui statuèrent sur l'unicité de Dieu, les suivants se préoccupèrent plutôt de la nature du Christ ( humaine et divine ) et le statut de Marie mère de Dieu. Événements qui pourraient sembler anodins ou en tout cas arguties subtiles de théologiens, ces synodes qui ont pour vocation de déterminer le dogme ; événements pourtant décisifs puisqu'ils décideront non seulement de la rupture entre l’Église d'Occident et d'Orient, mais seront liés aussi à la scission définitive entre empire romain d'Orient et d'Occident.

Dès lors Éphèse est à la fois ville qui rassemble et sépare. A l'intersection de deux mondes qui bientôt se feront face, bientôt s'ignoreront ; cesseront pour longtemps de se comprendre.

On comprend bien qu'il n'est pas de cause qui n'ait besoin de martyrs pour se légitimer, sacraliser ou sanctifier. C'est ici encore manière de canaliser la violence que de porter l'attention sur un persécuteur et focaliser le rituel sur ses victimes. L"histoire du christianisme commençant en compte d'autant plus que ce dernier dut, pour s'affirmer, résister non seulement à l'emprise romaine, mais aux inénarrables conflits internes entre les différentes communautés.

Il en va des idéologies et institutions comme des consciences : elles s'affirment et prospèrent en face et contre ce qui n'est pas elles. L'orthodoxie s'est lentement constituée par éliminations successives, par rejets dans l'hérésie.

Mais ces martyrs-ci sont plutôt bienheureux : même s'ils survivent à période qui n'est pas la leur où ils peinent à s'insérer, l'essentiel tient en leur résurrection. Au reste, sitôt reconnus ils n'intéressent plus. Ils n'ont pas affronté la mort en face, s'étaient simplement réfugiés. Leur persécuteur même voulut les libérer. Rien à voir avec l'intention furieusement meurtrière qu'on put observer ailleurs ou avec l'absolue fidélité d'un Christophe se refusant à abjurer quel qu’en fût le coût. Peut-être dormants mais finalement éveillés, ils traduisent plusieurs évidences.

Que d'abord nous ne croyons pas à la mort qu'au reste nous ne parvenons pas à penser. Qu'on adopte une attitude sage consistant à la déclarer faux problème ou que l'on imagine une vie après la mort, nous présumons de fait que la mort n'existe pas, n'est qu'un passage ou une manière de pensée quoique nous ne cessions en réalité de la craindre. La mettre en scène ainsi pour la nier incontinent, la ritualiser comme un passage obligé vers l'accomplissement c'est assurer en d'autres mots ce néant ou cet infini qui glisse entre nos concepts.

Que rien, en ces temps de légende n'est plus fondateur que la fidélité. Quoi qu'on en dise, le triple reniement de Pierre a laissé des traces. Même si le récit a pour fonction de rappeler à chacun sa faillibilité et que ces reniements n'ont pas empêché Pierre de se voir confier la mission de fondation qui fut la sienne, tous les martyrologes insistent sur les dangers qu'encourent les croyants et la nécessité de s'endurcir. A ce titre, ce réveil a le même sens que cette seconde naissance que représente le baptême ou la conversion. C'est épouser son siècle et en connaître les règles que d'y vouloir jouer les missionnaires.

Que les premiers temps de la chrétienté furent ceux d'une étonnante turbulence théologique, d'une puissante ferveur religieuse, et de passions hérétiques aux fioritures baroques. Il n'est qu'à lire Eusèbe de Césarée : les différents conciles eurent pour rôle de définir le credo mais aussi pour effet de diviser. Ces vivacité et variété, qui n'étonnent pas en Orient, sont évidemment un obstacle pour une Eglise qui se veut catholique et donc universelle. Ce faisant, le christianisme naissant heurta non seulement les croyances en place, mais aussi les pouvoirs religieux ou politiques : quoi d'étonnant au fond que le politique s'intéresse au religieux quand en retour ce dernier vise le politique ? On remarquera, certes, que l'empire romain parvint à se survivre - un peu - en se christianisant mais finit par se diviser à la mesure des disputes qui se voulurent théologiques n'étaient peut-être que politique.

Qu'il n'y a décidément jamais bien loin de la coupe aux lèvres : il y a peu de pas à franchir pour du religieux rejoindre le politique : il rode toujours quêtant sa proie.

A la fin la seule question qui vaille est : qui envoûte l'autre ? qui anesthésie l'autre ? Chacun se plaindra toujours d'être l'otage de l'autre au point de feindre parfois de s'en séparer. Ne nous laissons pas leurrer par leurs subterfuges respectifs : ces deux-là se tiennent et soutiennent mutuellement : ils ne sont que l'envers et l'avers de la même pièce.