index précédent suivant

 

 

De la gauche et du politique en général

Relisant - je n'ai pas retrouvé la vidéo - Deleuze explicitant Gauche dans son abécédaire. Frappé par cette pensée fatiguée pour ne pas dire paresseuse. Le bonhomme est un grand assurément - on n'écrit pas par inadvertance un Spinoza comme il le fit - mais quelle bienveillance est à mobiliser ici pour l'y retrouver. En dépit de l'évidente amitié béate d'admiration que lui voue la jeune femme qui l'interroge, je le vois que lascives évidences pas très fécondes qui plus est.

Après un long développement sur la chance qu'il eut de n'être pas pris dans le mouvement qui porta toute sa génération vers le PC, il se laisse la facilité de n'avoir jamais cru que les révolutions pussent faire autre chose qu'échouer. Assortissant la remarque d'un c'est débile.

La série est tournée en 1988 / 1989 : on n'est effectivement pas très loin des pseudo-révélations de la pseudo nouvelle-philosophie et dans ce contexte si particulier d'une gauche au pouvoir pour une longue période (Mitterrand vient d'être réélu) ce qui n'était jamais arrivé auparavant et n'allait pas sans provoquer d'amères désillusions.

Deleuze est dans son rôle de philosophe, reconnaissons-le, en démystifiant ainsi illusions, croyances et idoles. Il l'est un peu moins en paradant d'un moi je l'ai toujours su dont l'implicite n'efface guère la pseudo-humilité plus vaniteuse que tous les orgueils.

C'est peu dire que cela m'agaça.

Eût-il encore dit que l'histoire était tragique et que, contrairement à la douceâtre mais si décisive idéologie du progrès, l'histoire ne va pas au mieux à l'unisson, ou que, contrairement à ce que crut Hegel, le travail du négatif n'était pas nécessairement positif ; se fût-il au moins enquis, avec Leibniz, de la mesure et place du Mal, que nenni ! juste ce c'est débile à l'emporte pièce. Je n'ignore pas que ce type d'interview n'est ni un article de revue ni le chapitre d'un ouvrage mûrement médité et préparé et ne se prête que malaisément à l'approfondissement d'une idée ou d'une notion. C'était d’ailleurs en ce sens que Deleuze refusa toujours de paraître à la télévision. Mais quoi il accepta le principe de celle-ci, produite par P A Boutang à condition qu'elle fût diffusée après sa mort : raison supplémentaire pour éviter les oiseuses approximations, non ? Les propos passeraient inévitablement pour une forme de testament idéologique. Le fait que Deleuze se donna la mort en pleine diffusion de cette série amplifia le phénomène.

Sur la Révolution, j'avoue être plus intéressé par le dialogue Morin/Debray de la fin de l'année dernière qui fait justice à la fois des échecs, des désillusions et des espérances d'alors ; qui ne fait l'impasse ni sur les faiblesses, ni sur les manquements ou aveuglements et moins encore sur les erreurs alors commises. Mais donne un sens à ce qu'autrefois on appelait engagement. Au moins depuis Marx et Hegel on sait que l'homme fait autant l'histoire que l'histoire fait l'homme et que s'il fait l'histoire, l'homme ne sait pas vraiment l'histoire qu'il fait - autre manière de dire que les événements à un moment ou à un autre nous échappent. Mais quoi, qui a jamais dit que la gauche se résumât aux instants révolutionnaires ? qui peut nier qu'il est néanmoins des moments - que l'on nomme aussi révolution - où tout paraît possible, même si cela est en partie faux, où tout ce qui se joue, d'illusions ou de réalités, de positif ou de raté, moments qui seront décisifs et marqueront l'avenir parfois pour longtemps. Brefs, détermineront la suite. Sans doute les hommes qui font l'été 89 - droits de l'homme, abolitions des privilèges etc - s'égarent-ils en un moment de consensus et d'enthousiasme ambivalents ; sans doute les uns pensent-ils en finir avec la Révolution quand d'autres y voient tout au mieux les prodromes d'une société plus juste ; sans doute ne sont-ils d’accord ni sur les buts ultimes - que de toute manière ils rateront - ni sur les moyens - qui leur glisseront entre les doigts de la même manière ; sans doute sont-ils pris dans un flux irrésistible mais précisément ce flux, rare, moment échappant précisément à la pesanteur ordinaire, mérite d'être pensé. Pour autant quand se lève le peuple, aussi ambivalente que puisse paraître sa parole ou terribles ses interventions - souvenons-nous du Soyons terribles, pour dispenser au peuple de l'être de Danton le 10 mars 1793 - quelque chose se joue des soubassements même de la cité puisqu'il n'est pas de société qui ne s'érige et organise sans se prétendre parler au nom du peuple, être son défenseur voire son bras armé. Or quand on touche aux fondements, on frôle cette ligne qui sépare le sacré du politique : la franchir ne peut être anodin.

J'avoue me reconnaître plus dans la démarche grecque, plus pessimiste effectivement, qui entrevoit dans l'ordre, y compris social, plutôt une exception rare, fragile et difficile à maintenir au sein d'un chaos ambiant que la naïveté scientiste concevant le désordre comme un échec, presque une faute de goût face à un réel sagement et soigneusement ordonné. Pour autant ce balayage des révolutions d'un revers paresseux de main me semble insuffisant.

On mélange deux choses absolument différentes... - les situations dans lesquelles la seule issue pour l'homme c'est de devenir révolutionnaire. Là encore, on en parle depuis le début... Finalement: c'est la confusion du Devenir et de l'Histoire. Si les gens deviennent révolutionnaires... Oui: c'est cette confusion des historiens... Les historiens, ils nous parlent de l'Avenir de la révolution, l'Avenir des révolutions... Mais c'est pas du tout la question ! Alors, ils peuvent toujours remonter aussi haut pour montrer que si l'Avenir a été mauvais, c'est que le mauvais était déjà là depuis le début, mais le problème concret, c'est: comment et pourquoi les gens deviennent-ils révolutionnaires. Mais ça, heureusement, les historiens ne l'empêcheront pas

Deleuze parle à ce moment où de la philosophie (BHL ou Glucksmann) à l'histoire (F Furet) chacun tente sa relecture - très à droite - où il s'agira de repérer les ferments totalitaires. Démarche funeste à la Heidegger où il s'agira de suspecter que le ver fût dans le fruit dès le départ. Mais c'est en même temps confondre l'histoire comme discours ou science avec Histoire comme série d'événements. Faut-il prendre la chose par le haut ou par le bas ? Problème d'épistémologue, simplement. L'Histoire est à la jonction de toutes les déterminations et l'histoire à celle de la sociologie, économie, idéologie, philosophie, anthropologie et tout autant de la biologie voire de la climatologie (voir Leroy-Ladurie).

Je suis moi-même tenté de comprendre ce qu'est la gauche ne serait ce qu'à cause de l'invraisemblable brouillage idéologique qui semble favoriser les Zemmour, Onfray et autres esprits chagrins. Sans illusion, mais sans esprit chagrin non plus, il me semble que serait plus important d'essayer de comprendre ce qui fut raté et, même partiellement réussi, et de le confronter à la cohérence des programmes respectifs plutôt que de se perdre en des généralités douteuses sur la dimension pernicieuse de la défense des droits de l'homme - Ça fait tellement partie de cette pensée molle de la période pauvre dont on parlait - Deleuze avait vu les risques d'une bien pensance conformiste et stérilisante mais fallait-il pour autant jeter l'enfant avec l'eau sale du bain comme le disait Marx ? L'exemple pris du chauffeur de taxi me paraît affligeant. Ne mener surtout à rien.

Reste cette approche étonnante : être de gauche serait une question de perspective, d'horizon. Affaire de perception. Regarder le monde à partir de l'horizon plutôt qu'à partir de soi-même. Excentrer son approche donc … qu'il le veuille ou non c'est réintroduire l'universel quand il croyait l'avoir chassé. Passe encore qu'il affirme qu'il ne peut y avoir de gouvernement résolument de gauche ce qui est quand même suggérer que rien des aspirations de gauche ne serait jamais réalisable et que la gauche ne fût bien à sa place que dans une opposition critique mais stérile mais affirmer que la gauche serait l'ensemble du devenir minoritaire mériterait quand même un développement plus explicite.

Etre de gauche, c'est être par nature - ou plutôt devenir, c'est un problème de devenir -. C'est : ne pas cesser de devenir minoritaire.

Je devine bien que l'épreuve du pouvoir sera toujours périlleux à gauche et je ne m'étonne pas que de Guesde à Jaurès on y prit garde et que, sans doute, Blum eût préféré soutenir que participer ; participer que gouverner. Mais il le fit et quoiqu'on en dise, cette toute petite année - qui n'était pas une révolution - résonne encore, presque un siècle plus tard et ne peut être méprisée hautainement. Et je gage que des années Mitterrand au gouvernement Jospin en tout cas on dira de même. L'homme de gauche est toujours déçu qu'on ne fût allé plus loin car il attend tout ; peut-être trop. L'homme de droite ne l'est presque jamais : il n'attend rien du pouvoir : tout au mieux qu'il se limite à ses fonctions régaliennes et laisse l'individu grenouiller autour de ses petits affairements intéressés.

Mais je ne laisserai pas dire que fût débile l'émotion d'un Charles André Julien par exemple, voyant se rejoindre les cortèges de la SFIO et du PC en ce 12 février 1934 quelques jours seulement après le 6 février en protestation claire et consciente d'elle-même contre la montée des ligues fascistes.

Bien sûr ce mouvement populaire n'aboutira pas comme on l'espéra alors sur une victoire sans ombre encore moins sur un socialisme idyllique : mais certains de ses acquis (congés payés, semaine de 40 h ; scolarité obligatoire à l'époque jusqu'à 14 ans) restent suffisamment vivaces encore pour que, malgré les attaques, ils persistent et résistent ; suffisamment gênants encore pour les classes dominantes pour qu'on cherche encore et toujours à les écorner.

Ce moment-ci était un moment de gauche ; un moment républicain : un grand moment où parla le peuple. Clairement et distinctement. C A Julien n'a pas tort d'évoquer à ce sujet un impératif catégorique. Il mérite qu'on le pense avec un peu plus de rigueur, non ?

Je devine ce qui gît là dessous mais ne pas cesser de devenir minoritaire demande un étalon de même que l'inverse. Et c'est courir le risque d'abandonner la gauche à un discours stérile - ce que de Gaulle appelait le ministère de la parole - un rêve délicieux mais une utopie quand même. On peut jouer sur les mots : le Canard le fit en 1954 pour saluer Mendès France : ce n'est pas le Canard qui est devenu gouvernemental c'est le gouvernement qui est devenu d'opposition ! Mais la galéjade n'a qu'un temps et ne fait pas office de pensée. La gauche renvoie bien à quelque chose qui dépasse le fait d'être ou non majoritaire même si l'on peut admettre que tout gouvernement dit de gauche inéluctablement décevra, parce qu'il se heurte naturellement à des intérêts que les élites tiendront à préserver et parce que son électorat en attendra toujours plus que ce qui sera réalisé.

Je l'avoue, et tant pis si ceci peut sembler présomptueux, ce genre de discours me donne furieusement envie de poursuivre ma réflexion. Parce que, décidément, être de gauche est bien plus complexe que cela.

D'accord pour la perspective : il y a, implicite, une vocation de la gauche à l'universel, à regarder donc au delà de sa petite personne ; à ne pas se prendre pour unique critère. Mais c'est reconnaître que toute la question de la cause réside dans cette jointure entre le particulier et l'universel. Que le lien ne se soude point ou se délite et le corps social explose au profit d'individualités antagonistes. Qu'il consacre le primat de l'universel et l'individu menace à ce point d'être écrasé que pointerait la tyrannie voire le totalitarisme.

Le politique est l'art de ce lien, délicat, changeant, oscillant autour d'un point d'équilibre qu'on ne trouve jamais. La gauche me semble toujours plutôt vouloir déplacer le point d"équilibre du côté de la liberté - donc de l'individu - la droite plutôt du côté de l'ordre - donc du collectif. On partira du principe qu'est républicain tout équilibre qui ne menace pas l'un au profit de l'autre. L'art de ce lien ? mais comme le religieux ! ce pourquoi ils ont toujours partie liée

Cette note d'Arendt :

La politique se présente toujours comme quelque chose qui existe «faute de mieux» - parce que les hommes ne sont pas des anges ou parce que les dieux ne nous gouvernent pas ou bien parce que nous sommes liés les uns aux autres par la nécessité matérielle et la contrainte et qu'ainsi, du fait que nous sommes «vraiment» déterminés pour l'autarcie, nous ne pouvons vivre ni sans les autres ni avec les autres.

Ceci nous le savions tous : si nous étions gouvernés par la raison, suggère Spinoza, la question du gouvernement des hommes ne se poserait même pas ; si la violence ne nous hantait pas ou que nous ne fussions pas pour nous-mêmes un loup, nul ne serait besoin de contrat qui nous contraigne. Le politique apparaît toujours comme un paratonnerre nous épargnant de nous éliminer nous-mêmes … en tout cas jamais comme une activité positive. Du judaïsme au christianisme, la méfiance est identique, qui tous deux exhortent plutôt à s’en éloigner et à ne s’occuper que de tension spirituelle ; bref de l'individu pas du collectif. Et toute l'organisation féodale de la cité ne se justifia jamais autrement que par la malignité des hommes et la nécessité d'un guide pour les maintenir dans le droit chemin.

Nous aurions du ne jamais l'oublier.

Le reste s'en suit. Mis à part, effectivement Platon qui entrevoit chez quelques uns la capacité de se gouverner eux-mêmes et par voie de conséquence les autres, il n'est pas une théorie politique même bienveillante qui ne finisse par voir dans l'individu, et donc la maîtrise de soi, la clé du politique.

Autant dire que l'essentiel se joue, mais on l'avait déjà souligné, dans la jointure entre l'individuel et le collectif.

Etre de gauche ou de droite se détermine assurément en cet interstice étroit par où l'individu s'impose vis-à-vis des autres soit comme un maître soit un contraire comme un serviteur. Qui répugnera toujours à disparaître sous le joug du collectif mais qui devra néanmoins toujours se contraindre qu’il ne veut pas - et il ne le peut pas - se couper du collectif dont il a besoin pour vivre.

Arendt a raison : c'est sans doute dans le concept de volonté générale que cet équilibre se met en scène :

La «volonté générale» de Rousseau est peut-être la plus meurtrière résolution de la quadrature du cercle, c'est-à-dire du problème fondamental de toute philosophie politique occidentale, à savoir comment constituer une singularité à partir d'une pluralité - c'est-à-dire, dans les termes de Rousseau : « réunir une multitude en un corps» ( Contrat social, I, 7). Ce qui rend cette solution si meurtrière, c'est le fait que le souverain n'est plus une personne ou une multiplicité que je commande, mais qu'il est pour ainsi dire installé en moi en tant que «citoyen » s'opposant à l'«homme particulier». Dans la « volonté générale», chacun devient en fait son propre bourreau.

Ce qui est fondamentalement la définition du politique réside effectivement ici, qui m'apparaît quand même bien plus crucial que ces variations échevelées autour du minoritaire, dans cette invention de l'individu, apparemment contradictoire avec le collectif. Dans cet individu dont les hommes du XVIIIe ne voulurent pas faire l'élément souche de la cité, non plus que les philosophes d'ailleurs, arguant que seul une entité sociale - la famille - pouvait être l'élément premier de la société. Dans cet individu, j'insiste, qu'il a fallu inventer, dont l'invention n'est au reste pas achevée. Dans cet individu qui interdit que le collectif avale et dissolve tout ce qui n'est pas lui, mais qui pour autant ne peut occuper toute la place ni être la source exclusive de toute valeur ou démarche.

 

 


 


 1) Rousseau, Contrat Social I, 7

On voit, par cette formule, que l'acte d'association renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, et que chaque individu, contractant pour ainsi dire avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport : savoir, comme membre du souverain envers les particuliers, et comme membre de l'État envers le souverain. Mais en ne peut appliquer ici la maxime du droit civil, que nul n'est tenu aux engagements pris avec luimême ; car il y a bien de la différence entre s'obliger envers soi ou envers un tout dont on fait partie.

Il faut remarquer encore que la délibération publique, qui peut obliger tous les sujets envers le souverain, à cause des deux différents rapports sous lesquels chacun d'eux est envisagé, ne peut, par la raison contraire, obliger le souverain envers lui-même et que, par conséquent, il est contre la nature du corps politique que le souverain s'impose une Ici qu'il ne puisse enfreindre. Ne pouvant se considérer que sous un seul et même rapport, il est alors dans le cas d'un particulier contractant avec soi-même ; par où l'on voit qu'il n'y a ni ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contrat social. Ce qui ne signifie pas que ce corps ne puisse fort bien s'engager envers autrui, en ce qui ne déroge point à ce contrat ; car, à l'égard de l'étranger, il devient un être simple, un individu.

Mais le corps politique ou le souverain, ne tirant son être que de la sainteté du contrat, ne peut jamais s'obliger, même envers autrui, à rien qui déroge à cet acte primitif, comme d'aliéner quelque portion de lui-même, ou de se soumettre à un autre souverain. Violer l'acte par lequel il existe, serait s'anéantir ; et qui n'est rien ne produit rien.

Sitôt que cette multitude est ainsi réunie en un corps, on ne peut offenser un des membres sans attaquer le corps, encore moins offenser le corps sans que les membres s'en ressentent. Ainsi le devoir et l'intérêt obligent également les deux parties contractantes à s'entraider mutuellement ; et les mêmes hommes doivent chercher à réunir, sous ce double rapport, tous les avantages qui en dépendent.

Or, le souverain, n'étant formé que des particuliers qui le composent, n'a ni ne peut avoir d'intérêt contraire au leur ; par conséquent, la puissance souveraine n'a nul besoin de garant envers les sujets, parce qu'il est impossible que le corps veuille nuire à tous ses membres ; et nous verrons ci-après qu'il ne peut nuire à aucun en particulier. Le souverain, par cela seul qu'il est, est toujours ce qu'il doit être.

Mais il n'en est pas ainsi des sujets envers le souverain, auquel, malgré l'intérêt commun, rien ne répondrait de leurs engagements, s'il ne trouvait des moyens de s'assurer de leur. fidélité.

En effet, chaque individu peut, comme homme, avoir une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu'il a comme citoyen ; son intérêt particulier peut lui parler tout autrement que l'intérêt commun ; son existence absolue, et naturellement indépendante, peut lui faire envisager ce qu'il doit à la cause commune comme une contribution gratuite, dont la perte sera moins nuisible aux autres que le payement ne sera onéreux pour lui ; et regardant la personne morale qui constitue l’État comme un être de raison, parce que ce n'est pas un homme, il jouirait des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet ; injustice dont le progrès causerait la ruine du corps politique.

Afin donc que ce pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement, qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale, y sera contraint par tout le corps ; ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera à être libre, car telle est la condition qui, donnant chaque citoyen à la patrie, le garantit de toute dépendance personnelle, condition qui fait l'artifice et le Jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes les engagements civils, lesquels, sans cela, seraient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus énormes abus