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Reims

J'évoquais le lien trouble, rarement assumé, pourtant indissoluble entre politique et religieux. S'il est un lieu qui le révèle c'est assurément Reims pour avoir été le lieu du sacre de (presque) tous les rois de France depuis Clovis.

Visiter la cathédrale n'est pas visiter n'importe laquelle et tout dans l'organisation de l'espace urbain, et touristique encore plus, est là pour vous rappeler que ce fut ici, la cité des rois. Elle est belle assurément mais se hausse dans la mémoire moins pour ce qu'elle, son architecture, ses vitraux, sa statuaire, que pour ce qui s'y passa.

Aux deux extrêmes, les sacres et le bombardement de la cathédrale en septembre 14. Ce dernier illustra une manière absolue de faire la guerre qui marquera tout le siècle et signe une manière de modernité honteuse qui dans sa démesure technicienne ne respectera rien pas même les édifices religieux ou monuments historiques. Ceux-là une féodalité, toute monarchique ou aristocratique qu'elle fût, tout absolutisme qu'elle finit par devenir qui s'évita le totalitarisme d'être borné par une Eglise qui s'était réservé le gouvernement des âmes.

D'un côté une plongée dans l'histoire à vous donner parfois le vertige ; de l'autre la confrontation à la modernité à vous donner la nausée.

Reims est un peu comme Chartres en ceci que très proche, trop, de Paris, elles eussent pu être avalées par sa puissance : les deux surent garder leur quant-à-soi, assise sur une terre prodigue (vigne et blé.)

Impressionné par la basilique St Rémi que je ne connaissais pas et ce qui en elle demeure de roman ne laisse de m'impressionner et séduire.

Les reliques me parlent peu, je l'avoue. Je n'ai pas l'idolâtrie des osselets ; en revanche, certains de ces vitraux, voire la couronne de lumière ne peuvent que laisser coi.

St Rémi qui aura baptisé Clovis inaugure plus qu'une lignée ; il fonde une histoire, celle d'une royauté et au-delà d'une nation, fille aînée de l’Église.

La bordure sacrée, toujours …

Que St Rémi, présumé sage et thaumaturge lui-même, eût vécu 96 ans en surajoute sur la légende miraculeuse que cette couronne aux 96 bougies ponctue.

Il n'est décidément pas de commencement absolu : il s'égare toujours dans la nuit, dans les flots, ou dans la lumière que des cieux dispense le divin. Il est bien, dans la série, une première proposition que rien ne justifie mais qui autorise tout : qu'on la nomme principe, axiome, légende n'a en réalité aucune importance. Cet instant fondateur est sacré et nécessite représentation, rituels ; répétitions. Les sacres de nos rois n'ont pas d'autre sens.

M'intéresse tellement plus l'emblème qu'est l'ange au sourire ! L'ange est messager, on le sait : il est au cœur du religieux, parce que l'acteur même du lien.

La cathédrale fait honneur à la Vierge en son portail central, plutôt qu'au Christ-Sauveur et triomphant mais les anges y sont légion qui presque tous sourient. Affaire de style, je veux bien.

J'aime l'idée ; j'aime la chose. J'aime que les messagers ne soient pas rongés de gravité mais assument leur mission avec la joie qui sied à qui sert la lumière. J'ai évoqué déjà, ces processions de protestants se rendant au culte du dimanche à St Guillaume qu'enfant je regardais passer de la fenêtre de ma grand-mère chez qui, les vacances durant, je passais mes journées de désœuvrement à scruter de quoi nourrir mon imagination. J'avais vocation aux portes et fenêtres sans doute ; l'ennui chevillé à l'âme, surtout.

Il faut avoir erré en pays protestant pour deviner la pesanteur insensée qu'on peut mettre en sa foi où j'imagine la culpabilité le disputer à la rage d'être plus authentique encore que les autres à montrer la pureté monolithe de sa foi.

A en rêver de savoir être athée …

Il y a en ce sourire une promesse de grâce. Au même titre que je me suis réjouis de ce pur bonheur de l'acte de penser qu'évoquait M Serres et qui me fait ne pas comprendre et vouloir m'écarter de tous ceux qui mettent en leurs réflexions acrimonie ou simplement sévérité fate, de la même manière j'ai toujours tenu, en toute chose et en particulier en celles auxquelles je tenais le plus, à instiller cette dose d'humour ou de sourire au moins qui épargnerait de se prendre trop au sérieux ou d'orgueilleusement se hisser où rien ne prédispose de se maintenir. Il faut avoir lu le Calvin de S Zweig pour saisir ce que l'exigence de purisme peut avoir de dévastateur. Je ne sais si c'est là défaillance ou coupable légèreté, je sais seulement que cette distance du sourire est à la fois un garde-fou, une esthétique et une promesse.

Qu'on puisse en sa foi, ses engagements et la conduite de sa vie mettre joie et entrain plutôt que componction et balourdise, voici ce que je veux retenir.

Souvenirs obscurcis

Il se trouve, ce que j'avais longtemps ignoré, qu'un lointain membre de ma famille s'y installa après la guerre de 1870 et y fit souche. Ce Léopold, pas très pratiquant mais président néanmoins aux destinées de la communauté rémoise tout en faisant partie d'une loge maçonnique, aura gardé avec son neveu, mon arrière-grand-père Camille, des liens au moins commerciaux que j'ignorais, que je crois mon père avoir ignoré tout autant. Je m'étais un jour aperçu qu'Annie Kriegel, née Becker, était issue de cette branche : elle parle ainsi dans ses Mémoires de son parcours de petite fille juive d'origine alsacienne dans le Paris des années trente où elle fait mention de Camille.

Outre la remarque triviale mais toujours surprenante des ramifications insoupçonnées et très vite pléthoriques que peut offrir une généalogie, outre la constante d'un rapport très distant avec la pratique religieuse sans pour autant jamais cesser toute relation avec la communauté elle-même, qui semble avoir été le point commun de tous, en même temps que le désir de s'inscrire dans la notabilité et d'user pour cela des truchements alors à leur disposition, j'aurai laissé les informations venir à moi plus que je ne les aurai cherchées. Arbre est finalement terme approprié tant en généalogie sont nombreuses les ramures qui partent dans tous les sens.

Je n'ai pas la passion des racines et si me parait plaisantes les découvertes qu'on peut y faire, je n'y éprouve pas assez d'intérêt pour pousser avant les recherches. Je ne suis pas ce passé si j'en dérive.

Dérive est le mot.