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Souvenirs ....

Trouvé ceci via Gallica .... qui fait remonter des recoins de l'enfance bien plus encore que des images, tout ce qui m'intriguait, fascinait voire inquiétait, de mes longs moments passés à rêver à la fenêtre de ma grand mère qui habitait précisément en face de l’Église St Guillaume.

Cette interminable cohorte de pieux fidèles, toujours de noir vêtus, à la mise aussi compassée que demeurait empesé le rythme roide de ses pas, s'engouffrait dans le temple avec une telle componction que je m'inquiétais de la gravité des actes qui pouvaient là se perpétrer. Qu'ils rendissent alors grâce à Dieu, car telle était bien l'explication que ma grand-mère m'avait donnée, m'avait laissé pantois. Dans la candeur de mes jeunes années, j'imaginais que ce fût ici plutôt acte d'allégresse que cet aveu contrefait de culpabilité mordorée ... Il y avait ici, qui se déroulait devant mes yeux, une aventure qui me demeurait étrangère et à quoi je n'aurai jamais nulle part.

Messe en si mineur / J.S. Bach, comp. ; Renée DEFRAITEUR (soprano) - Lore FISCHER (alto) - Helmut KRETSCHMAR (ténor) - Andre VESSIERES (basse) Alfred GREGOIRE (violon) - Camille SCHUCH (flute) - Edouard CARON (hautbois) - Maurice MINGARD (hautbois) - Paul KLEIBER (basson) Rodolphe WOLFERSTAEDTER (basson) - Guy ABRAHAM (cor) -Lucien SCHWEICKART (premiere trompette) - Charles MULLER (orgue) ; Choeur de l'EGLISE SAINT-GUILLAUME ; ORCHESTRE MUNICIPAL DE STRASBOURG ; Fritz Münch, dir., 1959 :

Mais, en même temps que ces images si peu amènes, ces volutes de contrepoints, ces chœurs et ces canons qui tonitruaient parfois, perçant les murs et le bourdonnement de la rue : l'orgue Silbermann ou les chœurs répétant la Passion qui se jouerait bientôt, comme chaque année... Pouvais-je savoir que ces doctes messieurs que je voyais pénétrer parfois dans l’Église n'étaient autre que F Munch et parfois son frère Charles Munch ?

Mon enfance durant j'aurais été bercé par la musique mais c'est celle de Bach qui m'accompagne encore que je dus découvrir à ces moments-là - mon père lui aura décidément préféré Mozart ! Parfois, petit privilège d'un long voisinage - mes grand-parents résidaient là depuis les années 30 - nous étions autorisés à assister aux répétitions. C'est ainsi que je les entendis successivement ces Passions selon Matthieu et Jean et ces deux visages remontent à ma mémoire.

Il y avait chez ces deux-là mais chez Fritz surtout et chez Schweitzer qui avait en son temps tenu l'orgue de St Guillaume à la suite de leur père Ernest, une posture de desservant d'un culte dont Bach était l'objet unique et la musique le seul univers qui vaille.

Je leur dois, à ces trois là, au souvenir que je garde d'une répétition émouvante où Schweitzer tenait le continuo mais où périodiquement ces austères figures partaient d'un fou-rire incompréhensible à d'autres qu'eux illustrant une complicité dépassant de loin leur commune passion ou parentèle je leur dois, oui, la certitude que le gravité protestante manque toujours de craqueler que, peut-être, seule la musique parvient à exalter. Il s'en faut de si peu.

Demeure encore cette dernière figure - Alfred Grégoire - violoniste, dont le nom figure sur cet enregistrement et que connaissaient mes parents. J'en garde le souvenir d'un sourire malicieux. Lui, venait de ce même petit monde où foi, musique et recherche se disputaient inlassablement la corde mais, pour des raisons qui furent siennes et que je ne pouvais alors connaître, il avait gardé de son incroyable liberté de ton cette aisance lumineuse qui l'autorisait à se rire - gravement - de tout. Et même de son art. C'est une leçon que je n'oubliais jamais.

Cette génération qui aura connu les troubles de deux guerres et un changement de nationalité, n'aura cultivé sa différence que pour mieux atteindre l'universel qui seul les concernait. Je me demande encore aujourd'hui, moi qui fut à ce point cerné par la musique, comment je fus préservé d'y verser mais je devine que si aujourd'hui je ne puis encore conjuguer piété, quête, philosophie et humanité que sous les fastes austères de Bach, c'est un peu à eux aussi que je le dois. J'aurai découvert au gré de mes chemins des ferveurs bien plus étincelantes, des enthousiasmes bien plus chaleureux, des piétés bien plus contagieuses.

Me demeure cette litanie, intérieure, qui me ramène toujours un peu trop vers ces rives rugueuses ....