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Illusion

Sans vouloir paraître plus bougon que d'ordinaire, ni vouloir jouer les atrabilaires que l'expérience aurait rendus moins sceptiques que blasés, je souris de voir ce changement de locataire à Matignon.

Non pour la chose elle-même, que pour les commentaires redondants de ces pauvres journalistes faisant le pied de grue devant Matignon extrapolant le moindre mouvement, sur-interprétant le moindre signe de la biographie de l'entrant ou imaginant l'expression de la moindre (mauvaise) humeur du sortant.

On aura tout entendu que l'on entendit déjà :

le choix d'un presque non-politique, en tout cas d'un politique sans dimension nationale révélerait le choix de Macron de gouverner seul ! L’aggravation du caractère sinon autoritaire en tout cas présidentiel du régime. On l'a dit de de Gaulle pour Pompidou en 62 ; de Pompidou pour Messmer ; de Giscard pour Barre … On rappelle cette fois le souvenir de Sarkozy envisageant en 2010 une réforme supprimant la fonction - accentuant donc la présidentialisation du régime et un Hollande qui finira par regretter de ne pas l'avoir fait.

l'absence de différence entre l'entrant et le sortant : l'argument du tout ça pour ça en somme. La difficulté de trouver un sens à ce changement : le profil du nouveau prêtant mal à augurer d'une inflexion fût-elle infime de la politique à suivre. Or, effectivement, sous la Ve, un changement de gouvernement - qui n'est pas nécessairement une crise - se doit d'avoir un sens politique. Depuis le quinquennat, le mitan du mandat représente à l'évidence cette croisée déterminante mais donc aussi la nécessité d'un tremplin pour une réélection. Sarkozy l'avait ratée en renommant finalement Fillon ; Hollande réussi avec Valls ce qui ne les empêcha pas tous les deux de rater le RV de 2017. De la à penser que cette simagrée n'a d'autre sens que la préparation de 2022 mais en rien la gestion de la crise à venir …

la province contre Paris : sous prétexte que les deux soient maires mais l'entrant d’une toute petite commune, on y voudra voir la préfiguration d'une reconnaissance des corps intermédiaires - que l'on avait d’abord négligés - et l'esquisse d'une nouvelle phase de décentralisation. Castex en joue lors de son interview sur TF1 le soir même … posture ? L'aimable provincial qui ne cherche pas la lumière au contraire de ces ignobles bobos éparpillés entre le 5, 6 et 7e arrondissements ! Non quand même, pas ça. Et pourtant si !

 

Chacun fait son métier ; mais, reconnaissons-le, s'il est trop tôt pour anticiper - on attend la seconde allocution de Macron supposée donner consistance au nouveau chemin ; mais aussi le traditionnel discours de politique générale d'un nouveau gouvernement, mais encore la composition fine de ce dernier qui pourra éventuellement esquisser quelques traits - on peut,c en attendant, au moins avancer ceci :

le et de gauche et de droite a bien vécu mais ceci on le savait. Voici second Premier Ministre issu de LR : le cœur de Macron penche décidément bien à droite ; sa pseudo-sensibilité de gauche était un leurre pour parachever son hold-up électoral. Sa volonté - quitte à y mettre les formes et quelques légères concessions - de reprendre les réformes, même les plus contestées - retraite notamment - de saupoudrer son action d'un peu de vert ne suffiront vraisemblablement pas à redresser à soi seul une popularité très écornée. La bonhomie provinciale de sa nouvelle recrue y suffira-t-elle ? Sa revendication d'un gaullisme social ?

Sûrement non !

J'évoquais il y a peu cette invraisemblable morgue qui saisit l'homme de pouvoir incapable de ne pas se croire bientôt seul capable de réussir ! Nous y voilà ! Macron, à l'ego démesuré, fier d'avoir en 2017 pris des risques et d'avoir tout emporté, n'imagine pas qu'il puisse en aller autrement demain. Qu'en brusquant les choses, il l'emportera derechef. Il a beau dire que désormais il va y mettre les formes ! Et ce ne sont pas les récentes déclarations à la presse régionale doublées de la volonté de Castex d'en finir au plus vite avec la réforme des retraites qui laissent quelque place à l'illusion.

Et les risques il va les prendre ! Les a déjà pris. Nul n'a oublié ces paroles lénifiantes préfiguratrices de rupture de la période de confinement ! nul n'a oublié les promesses du monde d'après, d'une nouvelle route ! Qu'un homme de droite se comporte en homme de droite nul ne lui en fera reproche ! Qu'il dise et promette blanc pour aussitôt faire noir, à la fin, qu'on le veuille ou non, cela se voit, s'agace et ne se pardonne pas.

Depuis Chirac au moins, Sarkozy en tout cas, la démagogie a battu son plein et l'habitude a été prise de considérer que la parole politique - surtout de campagne - n'engageait que ceux qui voulaient bien y croire. Communication, ainsi a-t-on pris la sinistre habitude de nommer le mensonge éhonté, la démagogie - cette forfaiture démocratique.

Quand les ficelles du métier sont trop grosses, elles se voient : la vulgarité n'a pas d'autre nom !

Etre de son temps. Je me demandais ce que ceci pouvait signifier. Je sais en tout cas ce que n'en pas ou plus être impliquait. Tous, depuis Chirac, ont évoqué les problèmes environnementaux. Certains ont même évoqué la nécessité d'une transition énergétique … et n'ont rien fait. Aucun depuis trente ans n'aura maîtrisé l'appareil théorique nécessaire pour en concevoir l'urgence ; tous, la première crise venue, en sont revenus aux vieilles recettes économiques d'antan - parfois seulement financières et budgétaires parfois économiques en recherchant les moteurs de croissance … Tous raisonnèrent avec un logiciel vermoulu depuis au moins 50 ans.

Nous n'avons ni l'habileté qui sied à la gravité du tournant ! ni la théorie qui permette de la penser.

Voici ce qu'est être intempestif. Demeurer incapable de sentir les ruptures, de les penser ; de s'en saisir. Croire péripétie ce qui est bouleversement profond et prendre pour mutation ce qui n'est que péripétie. L'histoire montre, Arendt a raison, que tout en histoire est toujours possible ; que les choses ne sont prévisibles que dans les grandes lignes et claires seulement après coup. Il faut s'en accommoder. L'homme politique est celui qui, précisément, se targue de pouvoir s'orienter en pleine bourrasque et savoir anticiper ce qui ne peut l'être. Parfois il y parvient, même fugacement et alors c'est un grand ; le plus souvent, non : il demeure alors un gestionnaire plus ou moins fanfaron. Le nôtre est suffisamment vaniteux pour mériter surnom de tête d'ampoule !

Ici comme dans les sciences, il faut bien de l'imagination, de l'intuition et de la chance. Assurément les recettes ne marchent jamais ! ou si imparfaitement ! Que celui-ci soit un haut-fonctionnaire ne présage de rien ; qu'il ne fût que cela serait de toute manière contre-productif. Il est comme tous ceux de son engeance : soucieux de sa carrière et les grands mots d'intérêt général à la bouche. Cumule emplois, missions et fonctions qui lui font gagner somme peut-être légale mais suffisamment élevée pour lui faire perdre toute conscience du lot ordinaire de ses congénères, qu'ils travaillent dans le public ou dans le privé. L'élite, même gersoise, reste une élite qui très vite s'en ira nous donner des leçons de vie. Avec l'effronterie qui sied aux nantis.

Etrange fonction d'ailleurs que celle de chef de gouvernement, tout en trompe-l'œil. Doit-on rappeler qu'elle n'était pas initialement prévue dans cet insolite intermède qui allait durer de 1870 à 1875, où, faute de majorité, la République n'était pas proclamable, où, faute d'unité et d'intelligence politique, la monarchie n'était pas restaurable. Il aura fallu la hargne sotte des monarchistes croyant pouvoir juguler Thiers qui cumulait de fait le titre, personnel, de Président de la République et les fonctions de chef de gouvernement, pour vouloir lui interdire le droit de s'adresser directement à l'Assemblée autrement que par message, non suivi de débat. Il se dota d'un vice-président du conseil en titre. Le poste est né d'une manœuvre imbécile. L'ironie voudra que sous la IIIe comme la IVe, par peur de tout césarisme, la fonction finisse par envahir toute la place politique au point de ne laisser à l’Élysée que pâle couleur symbolique ; que la Ve inversa effectivement l'équilibre mais si systématiquement que c'en devient une caricature. La fonction n'a pas disparu ; elle est plus que nominale cependant mais dépend surtout des protagonistes.

 

 

 

Depuis 1852 en tout cas, nous n'avons jamais su trouver un juste équilibre entre les pouvoirs ; pas même entre les acteurs différents du pouvoir. La Ve a concentré sur la tête du Président plus de pouvoirs que n'en eut jamais aucun monarque d'ancien régime, pouvoir à peine tempéré par les transferts de compétence vers Bruxelles. Dès lors, faute de contre-pouvoirs, mais aussi de réelle volonté politique, un président ayant perdu sa majorité (Hollande) ou toute confiance populaire (Macron) peut néanmoins poursuivre son chemin en y mettant à peine les formes ; en changeant à peine les têtes.

Ce qui se passe aujourd'hui.

Un non événement ? Sûrement non ! Un événement ? Il ne faut pas exagérer.

 

 

 

 


La mise en place du gouvernement de M. Pompidou consacre une nouvelle orientation du régime Huit parlementaires ou anciens parlementaires parmi les dix nouveaux membres du cabinet

La transmission des pouvoirs de M. Michel Debré à M. Georges Pompidou a donné lieu lundi matin à l'hôtel Matignon à une conversation d'une vingtaine de minutes entre le premier ministre démissionnaire et son successeur. Le nouveau chef du gouvernement était accompagné de deux de ses collaborateurs, MM. Jean Donnedieu de Vabres, directeur du cabinet, et Olivier Guichard, chargé de mission.M. Pompidou, qui avait constitué son gouvernement dimanche en début d'après-midi au terme de trois journées de consultations, réunit un premier conseil de cabinet à 15 heures, puis se rend à 18 heures à l'Élysée pour présenter ses ministres et secrétaires d'État au général de Gaulle.M. Michel Debré quittera Paris mercredi pour prendre quelques jours de repos dans sa propriété de Montlouis. Le même jour, le général de Gaulle présidera le premier conseil des ministres du nouveau gouvernement.

Par RAYMOND BARRILLON. Publié le 17 avril 1962

Le gouvernement constitué par M, Georges Pompidou après trois journées de conversations, qui prirent souvent tournure de négociations, est différent à plusieurs égards de celui qu'il remplace.

S'il n'y a point bouleversement de l'équipe ministérielle à proprement parler, le nouvel équilibre entre " techniciens " et députés donne l'impression de quelque retour à un régime plus " parlementaire ". Tout au moins le désir et le souci de répudier le passé sont-ils moins visibles qu'ils ne l'étaient depuis le décès de la IVe République.

Il n'y a point bouleversement dans la mesure où douze ministres et trois secrétaires d'État sont maintenus dans leurs attributions, la continuité se trouvant ainsi assurée pour plusieurs postes essentiels, dont les affaires étrangères, l'intérieur, les armées, les finances, les affaires algériennes, l'agriculture. Trois autres ministres - MM. Foyer, Sudreau, Bokanowski - et un autre secrétaire d'État - M. de Broglie - demeurent au sein de l'équipe en changeant de responsabilités. On retrouve ainsi au total dix-neuf " anciens ".

Il y a gonflement des effectifs : M. Debré avait auteur de lui vingt ministres et six secrétaires d'État lorsqu'il avait constitué son équipe, et il était entouré le jour de sa démission de vingt ministres et de quatre secrétaires d'État. Son successeur a fait appel à vingt et un ministres et sept secrétaires d'État.

On retiendra surtout de la mutation opérée pendant le week-end qu'elle modifie sensiblement la part faite aux parlementaires ou aux anciens parlementaires dans le gouvernement. On ne comptait que dix-huit anciens députés ou anciens sénateurs dans le cabinet formé par M. Debré, et ce nombre s'était réduit à quinze à la suite de modifications et remaniements qui révélaient tous une tendance favorable aux " techniciens ". On en compte vingt et un autour de M. Pompidou. On peut noter que sur les huit partants se trouvent quatre anciens parlementaires (Mlle Sid Cara, MM. Debré, Terrenoire, de La Malène) et autant de " techniciens " - MM. Chenot, Guillaumat, Teanneney, Paye - alors que parmi les dix nouveaux venus, M. Pompidou lui-même et M. Gilbert Grandval sont les seuls à n'avoir jamais disposé d'un mandat parlementaire.

Il s'agit peut-être de compenser le fait que le nouveau chef du gouvernement n'a jamais été ni ministre, ni député, ni sénateur. Il s'agit en tout cas de redonner quelque lustre aux élus, de tenir plus grand compte de leur existence et de l'influence qu'ils peuvent conserver, comme en témoigne le fait que l'un des nouveaux ministres délégués, M. Roger Dusseaulx, est officiellement chargé des " relations avec le Parlement ".

Le choix fait du secrétaire général d'un parti, fût-il le " parti du gouvernement ", révèle ou plutôt confirme que le pouvoir élyséen se trouve amené à tenir plus grand compte qu'hier des formations politiques. Si l'influence de la S.F.I.O. au sein du gouvernement disparaît totalement avec le retrait de M. Paye, quatre autres partis se sont trouvés mis en vedette, chacun à sa manière, pendant le week-end.

L'U.N.R. se trouve grandement honorée par la désignation de MM. Maziol, Dusseaulx et Marette, tous trois nommés ministres sans avoir été jamais secrétaires d'État, et par les postes confiés à MM. Peyrefitte et Dumas. Le gaullisme d'hier autant que d'aujourd'hui se voit également représenté par MM. Gaston Palewski et Gilbert Grandval.

Tandis que le parti radical prouvait son existence en refusant à M. Pompidou la collaboration de M. Edgar Faure et manifestait ainsi son désir de demeurer dans l'opposition aux côtés de la S.F.I.O., le M.R.P. jouait aussi son rôle dans la formation du gouvernement.

C'est contre l'avis de leur président national, M. André Colin, favorable au statu quo, que les républicains populaires ont consenti au renforcement de leur représentation au sein du gouvernement. Alors qu'ils avaient simplement autorisé certains des leurs à être ministres de M. Debré, ils se sont cette fois prononcés par scrutin sur la participation. Conscients de perspectives électorales qui leur sont favorables, ils ont manifesté deux sortes d'exigences.

Peu soucieux de voir l'un des leurs assumer des tâches et des responsabilités comparables à celles que le M.R.P. avait endossées au lendemain de la libération, ils ont refusé le portefeuille de la justice pour M. Pflimlin. Ils ont d'autre part pris soin de souligner que leur participation n'était pas inconditionnelle en rappelant les objectifs qui demeurent fondamentaux à leurs yeux. M. Pompidou est d'emblée avisé que les aspirations européennes du M.R.P. demeurent inchangées, ce qui revient à dire que leurs réserves à l'égard de l'Europe des patries demeurent aujourd'hui ce qu'elles étaient hier.

En fait, les républicains populaires prennent un risque calculé. Plusieurs de leurs dirigeants souhaitent que l'option faite ne conduise pas le M.R.P. à se laisser absorber et dénaturer dans quelque coalition électorale " néogaulliste " au terme d'une année de cohabitation gouvernementale étroite et renforcée avec l'U.N.R.

Pour en finir avec les formations politiques, et pour mémoire, la petite équipe des " gaullistes de gauche " qui militait depuis si longtemps pour le départ de M. Debré a quelques raisons de se réjouir de la nomination de M. Gilbert Grandval, et se trouve ainsi présente au gouvernement, bien que totalement absente des Assemblées.

La part prise par les groupes politiques dans la formation du gouvernement a évidemment compliqué le tâche du successeur de M. Debré. Les interdits des uns, les préférences des autres, ont conduit à certaines renonciations et mutations de dernière heure.

Ainsi M. Sudreau, qui se consacrait à la construction depuis les premiers jours du cabinet Debré, doit-il renoncer à son idée d'un grand ministère de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Ainsi le ministère de l'éducation nationale change-t-il de titulaire au milieu du gué, à un moment où se poursuivait l'application progressive de la réforme de l'enseignement mise sur pied par M. Lucien Paye. Ainsi, M. Maurice Schumann, jusqu'alors président de la commission des affaires étrangères, est-il appelé à des tâches qui semblent assez nouvelles pour lui. Ainsi un diplomate succède-t-il à un polytechnicien à la tête de la recherche scientifique et a-t-il autorité sur l'atome et l'espace.

Telles étant les principales mutations ministérielles, faut-il voir l'amorce ou l'annonce d'une mutation d'un autre caractère dans la lettre adressée par le général de Gaulle à M. Debré ? Tel passage de cette lettre où est évoquée une " phase ultérieure " de l'action du premier ministre démissionnaire paraît le promettre à de hautes fonctions qui pourraient être par exemple celles de vice-président de la République si le général de Gaulle parvenait à faire élire le chef ! de l'État au suffrage universel, comme il le souhaite.

Prenant congé au terme de ce qui apparaîtra peut-être comme une longue épreuve, le chef du premier gouvernement de la Ve République a indiqué que sa démission avait été convenue, et s'expliquait par la fin de la guerre d'Algérie. Ces formules ont surpris. On avait en effet cru comprendre que l'affaire algérienne était du " domaine réservé " du chef de l'État, et que le " gouvernement de législature " était l'une des règles du régime.

C'est parce que ce régime évolue que M. Michel Debré " prend du champ ", et s'écarte d'un chef et d'un guide qui semble lui dire au revoir plutôt qu'adieu.

RAYMOND BARRILLON.